Vote crucial au Sénat pour l'inscription de l'IVG dans la Constitution française
Le Sénat se prononce mercredi après-midi sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution, un vote rendu très incertain par les réticences de la droite et qui pourrait bouleverser le calendrier parlementaire de la réforme. C'est l'étape la plus périlleuse de la révision constitutionnelle promise par le président de la République, Emmanuel Macron : l'exécutif ne pourra la faire aboutir sans un vote majoritaire des 348 parlementaires du Palais du Luxembourg.
Suspense à la Chambre haute : l'inscription de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution se heurte, mercredi 28 février, aux réticences de la droite lors d'un vote indécis au Sénat, où certains pourraient tenter de freiner la réforme à défaut d'être suffisamment nombreux pour la rejeter.
Les débats s'annoncent tendus à partir de 16 h 30 au Palais du Luxembourg. D'un côté, le gouvernement soutenu par la gauche en faveur de cette révision promise par Emmanuel Macron ; de l'autre, une partie de la droite et des centristes encore sceptiques devant la formulation retenue par l'exécutif.
"La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse." Le texte soumis au vote des 348 sénateurs peine à convaincre les rangs de la majorité sénatoriale, une alliance entre Les Républicains (LR) et le groupe centriste.
Pourtant, un vote favorable – et sans modification – de la Chambre haute est un préalable à cette révision constitutionnelle soutenue par 86 % des Français, selon un sondage Ifop de novembre 2022.
Modifier le texte suprême n'est pas simple : l'Assemblée nationale et le Sénat doivent valider la réforme à l'identique, avant la réunion d'un Congrès du Parlement à Versailles où une majorité des trois cinquièmes sera requise.
Agenda contesté
Après l'Assemblée, quasiment unanime fin janvier, le vote du Sénat est l'étape la plus périlleuse du processus : les trois chefs de la majorité sénatoriale – le président du Sénat Gérard Larcher, le patron du groupe LR Bruno Retailleau et celui du groupe centriste Hervé Marseille – sont en effet opposés à la réforme.
"Il n'y a pas de menace qui pèse sur l'avortement en France", insiste Bruno Retailleau. "Le gouvernement ne peut pas nous imposer un calendrier au mépris du débat parlementaire", ajoute-t-il auprès de l'AFP, encore échaudé par l'agenda avancé fin 2023 par Emmanuel Macron.
Le président avait envisagé de réunir le Congrès le 4 mars, ce qui impliquait un vote du Sénat sans modification rédactionnelle... Rien de pire pour froisser la droite sénatoriale. Depuis, l'exécutif reste muet sur l'agenda, même si une source gouvernementale confirme que le 4 mars est toujours un "scénario privilégié".
"Nous prendrons le temps qu'il faut", répète à l'envi le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, assurant que la France deviendrait "le premier pays au monde à protéger [constitutionnellement] la liberté des femmes à disposer de leur corps", alors que celle-ci est remise en cause aux États-Unis ou dans certains pays d'Europe.
Les associations de défense des droits des femmes comme les collectifs d'opposition à l'IVG ont multiplié les initiatives ces derniers jours pour convaincre les sénateurs. Plusieurs rassemblements pro et anti-constitutionnalisation sont annoncés aux abords du Sénat dans l'après-midi.
Ne pas "se tromper de combat"
Dans les rangs de la droite, la pression sociale ou familiale a fait basculer certains votes : en privé, plusieurs sénateurs reconnaissent qu'ils ont changé d'avis et ne s'opposeront pas à la réforme, laissant entrevoir une nette majorité en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution.
Le président LR de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand a lui aussi exhorté sa famille politique à ne pas "se tromper de combat", dans une tribune publiée dans le magazine Elle.
La question est surtout de savoir si le texte sera modifié, ce qui obligerait l'Assemblée à s'en saisir à nouveau et repousserait le calendrier de la réforme.
"Il n'y a pas d'opposition pour la constitutionnalisation, à condition que ce soit fait proprement", résume la rapporteuse Agnès Canayer, désignée par le groupe LR. Cette dernière s'interroge sur la notion de "liberté garantie".
Un amendement de suppression du mot "garantie", au profit d'une simple "liberté", est ainsi défendu par une partie de la droite et des centristes. Cette rédaction avait déjà été approuvée par le Sénat en février 2023.
"Le seul objectif : faire échouer le texte", s'est insurgée l'écologiste Mélanie Vogel, déterminée comme toute la gauche à obtenir une adoption sans modification.
Une trentaine de sénateurs LR portent par ailleurs un autre amendement pour inscrire dans la Constitution la clause de conscience des médecins, non tenus de pratiquer l'IVG s'ils ne le souhaitent pas. Parviendront-ils à réunir une majorité de sénateurs ? "J'ai des doutes", reconnaît un élu LR bien au fait des rapports de force. De quoi relancer le suspense.
Avec AFP