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"Un air moins pollué", "plus d'embouteillages" : rendre Paris 100 % cyclable, un projet qui divise

Multiplier les pistes cyclables, limiter la circulation automobile dans le centre… Fin octobre, la Mairie de Paris a présenté un plan pour rendre la capitale 100 % cyclable d'ici à 2026. Un projet à 100 millions d'euros, destiné à limiter la pollution mais qui divise les Parisiens. Depuis son arrivée à la Mairie de Paris en 2014, c'est l'une des priorités d'Anne Hidalgo : développer l'usage du vélo et inciter les Parisiens à laisser leur voiture au garage. Parmi ses principales motivations, améliorer la qualité de l'air alors que la ville est régulièrement victime de pics de pollution, lutter contre le réchauffement climatique ou encore réduire les nuisances sonores. En six ans, grâce à un plan d'investissement de 150 millions d'euros, le nombre de pistes cyclables a décuplé, atteignant près de 1 000 kilomètres. À certains endroits, notamment les quais de Seine, la circulation automobile a été interdite et réservée aux piétons et vélos. Depuis fin octobre, la municipalité a décidé de passer la seconde. En allouant 100 millions d'euros supplémentaires au développement du vélo, Anne Hidalgo espère rendre Paris 100 % cyclable d'ici à 2026. Au total, 52 kilomètres de "corona-pistes", ces pistes cyclables créées pendant la pandémie de Covid-19, vont être pérennisées. Quelque 130 km de pistes sécurisées vont également être créées et 100 000 places de stationnement sécurisées pour les deux-roues seront par ailleurs mises en place aux abords des gares. À l'inverse, les automobilistes doivent faire face à des mesures de plus en plus contraignantes. Après avoir limité la vitesse maximale autorisée à 30 km/h pour les voitures, la Mairie de Paris souhaite maintenant piétonniser le centre de la capitale en interdisant la circulation automobile. Avec ces mesures, la municipalité espère ainsi voir l'usage du vélo, qui représente actuellement 5,6 % des déplacements dans la capitale, devancer celui de la voiture, utilisée pour 9 % des trajets. Le projet permet par ailleurs à la maire de Paris, Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste à la présidentielle de 2022, de souligner son engagement dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le plan d'Anne Hidalgo est cependant régulièrement décrié par une partie des Parisiens. De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer des embouteillages plus fréquents et une ville devenue "impraticable" pour les automobilistes. France 24 s'est entretenu avec un urbaniste, un chauffeur de taxi, un chauffeur de VTC, un défenseur de l'environnement et une directrice commerciale. Divisés sur la question, ils expliquent comment ce projet touche leur quotidien. Vincent Cottet, urbaniste : "Les voitures, ce n'est pas l'avenir" L'urbaniste Vincent Cottet se dit totalement favorable à la limitation de la circulation automobile à Paris. Un projet, souligne-t-il, déjà mis en œuvre dans plusieurs autres capitales, comme Londres, Sydney ou encore Vancouver. "Les gens sont contre le projet parce qu'ils se concentrent uniquement sur leur confort immédiat et leur situation personnelle", déplore-t-il. "Mais en 2021, on est face au changement climatique. C'est un fait. Il faut faire des choix politiques courageux et aller vers des mobilités plus neutres en carbone." L'urbaniste pointe du doigt la congestion actuelle des routes de la capitale. "Il y a trop de circulation", insiste-t-il. "Les chiffres montrent que la majorité des déplacements se font juste sur quelques kilomètres. Sur le périphérique, seulement 30 % des trajets dépassent les dix kilomètres." Avec la politique mise en place par la Mairie de Paris, Vincent Cottet espère que la circulation automobile va baisser drastiquement. "Avec moins de circulation et en utilisant le vélo, notamment le vélo électrique, vous pouvez vous déplacer de manière très aisée, avec des vitesses de déplacement qui sont beaucoup plus intéressantes qu’en voiture," assure-t-il. Surtout, il aimerait voir de nouveaux modes de déplacements, meilleurs pour l'environnement – comme les vélos électriques, les scooters mais aussi les transports en commun – se multiplier et devenir plus abordables. Vincent Cottet argue ainsi que l'entretien des routes d'Île-de-France coûte chaque année pas moins de 100 millions d'euros. Pour l'urbaniste, une grosse partie de ce budget pourrait être économisée et investie dans le développement de ces modes de transport. Enfin, "limiter l'usage de la voiture a d'autres avantages", insiste-t-il. Parmi eux, la baisse du nombre d'accidents de la route, la réduction de la pollution de l'air et, avec elle, celle des problèmes de santé qui y sont liés. À la fin, "le coût pour la société sera moindre", termine l'urbaniste. Émilie Lemoule, directrice commerciale : "Rencontrer des clients sera plus difficile" Émilie Lemoule vit dans la banlieue sud de la capitale. Deux fois par semaine, cette mère célibataire et directrice commerciale doit se rendre à Paris pour rencontrer des clients. Si l'offre de transports en commun pour relier la petite et la grande couronne au centre de Paris s'améliore, notamment grâce au vaste projet du Grand Paris Express, Émilie Lemoule avoue être "totalement dépendante de sa voiture". "Le trajet me prendrait beaucoup trop de temps en transports en commun. Ce n'est juste pas possible", assure-t-elle. D'autant plus qu'à chaque déplacement, elle doit rencontrer deux ou trois clients dans des endroits totalement différents de la capitale. Si elle admet que "Paris est super polluée" et que pour l'environnement, ce projet "pourrait être bien", la multiplication des pistes cyclables et des zones piétonnes suscite avant tout de l'inquiétude. "J'ai peur de me retrouver à passer un temps monstrueux dans ma voiture", coincée dans les embouteillages provoqués par tous ces changements, explique-t-elle. "Dans ce métier, ce serait vraiment compliqué de me déplacer en vélo ou en trottinette", poursuit-elle. "On est toujours très chargés. On a l'ordinateur, on a les dossiers... On a tout avec nous." Pour Émilie Lemoule, laisser sa voiture au garage devrait ainsi, obligatoirement, passer par une réorganisation de sa manière de travailler. "Peut-être qu'il faudra organiser certains de nos rendez-vous sur [la plateforme de visioconférence] Teams plutôt qu'en personne, par exemple. Ce sera tout de même très compliqué." Karim, chauffeur de taxi : "Je pense que ça peut fonctionner" Karim arpente les rues de la capitale avec son taxi depuis plus de dix ans. Plutôt favorable au plan d'Anne Hidalgo, il aimerait cependant une amélioration de la cohabitation entre les automobilistes et les cyclistes. "Aujourd’hui, c'est l’anarchie", alerte-t-il. Ces six dernières années, il a vu le nombre de personnes se déplacer en vélo monter en flèche. Et plus encore depuis l'automne 2019, lorsque les grèves, qui avaient mis à l'arrêt les transports en commun, puis la crise du Covid-19, ont incité de nombreux Parisiens à adopter ce mode de transport. Lors d'un voyage récent à Vienne, il a vu comment les cyclistes et les automobilistes pouvaient coexister sur les routes, "et ça se passe très bien", explique-t-il. "Mais il faut que les pistes cyclables soient sécurisées et que les cyclistes respectent le Code de la route." Depuis l'arrivée au pouvoir d'Anne Hidalgo, Karim admet par ailleurs avoir vu le trafic automobile s'intensifier à certains endroits. "Ça nous pénalise parce que ça nous fait faire plus de détours", admet-il. "Un trajet peut prendre un peu plus longtemps et être un peu plus compliqué qu'auparavant." Mais il avoue ne pas être à plaindre : les taxis sont exemptés des interdictions de circuler et sont autorisés à emprunter les voies de bus, comme les transports de marchandises et les ambulances. "Cela n’aura pas un gros impact sur notre activité", poursuit-il. "Dans notre convention, il est prévu que nous facturions le temps de trajet si nous roulons à moins de 30 km/h. Au-dessus de 30 km/h, nous facturons au kilomètre." Brahim Ben Ali, chauffeur de VTC : "C'est une mise à mort de la profession" Depuis 2016, Brahim Ben Ali, lui, travaille dans la capitale comme chauffeur de VTC. Le 20 octobre dernier, quelques jours avant qu'Anne Hidalgo ne présente son plan pour "un Paris 100 % cyclable", lui et une centaine de collègues ont manifesté devant la mairie pour dénoncer un "traitement injuste" de sa profession et tirer la sonnette d'alarme. "C'est une mise à mort des chauffeurs de VTC", assure-t-il. La raison de sa colère : contrairement aux taxis, les chauffeurs de VTC ne sont pas autorisés à emprunter les lignes de bus ou à rouler dans les nouvelles zones interdites à la circulation. "Les taxis, eux, n'ont pas de problème parce qu'Anne Hidalgo n'arrête pas de dire qu'ils sont affiliés au service public. Mais nous, on ne compte pas", déplore-t-il. "Pour les clients, il est plus intéressant de prendre un taxi qui emprunte les couloirs de bus qu'un VTC qui va passer 45 minutes dans les bouchons." Pour Brahim Ben Ali, qui affirme travailler environ 80 heures par semaine pour un salaire mensuel d'environ 1 500 euros, ces aménagements viennent ainsi porter un nouveau coup dur à sa profession, déjà mise à mal par l'abaissement de la vitesse autorisée à 30 km/h. "Avant, nous faisions environ quinze courses par jour. Maintenant, c'est dix", explique-t-il.  "Certains d'entre nous envisagent de déménager de Paris ou d'arrêter l'activité", termine-t-il, annonçant une nouvelle manifestation le 24 novembre prochain. Tony Renucci, militant pour l'environnement : "Rendre l'air respirable" "Ce sera intéressant s’il y a vraiment une substitution de certains déplacements réalisés aujourd'hui en voiture par des trajets en vélo", estime Tony Renucci, à la tête de l'association Respire, spécialisée dans la lutte contre la pollution de l'air. Selon Airparif, l'observatoire de la qualité de l'air en Île-de-France, le trafic automobile est responsable de 65 % de la pollution à l'ozone (NO2). Pour la pollution aux particules fines, le chiffre s'élève à 35 %. S'il est difficile d'estimer le bénéfice réel de la politique d'Anne Hidalgo, l'organisme avait enregistré en 2021 une baisse de 20 % des émissions de polluants lors de la Journée sans voiture, organisée chaque année à Paris. "La stratégie aujourd'hui, c'est quand même de créer de la congestion pour décourager l'usage de la voiture à Paris", assure Tony Renucci. "Ça aura un effet positif sur la qualité de l'air." Cet article a été traduit de l'anglais par Cyrielle Cabot. L'original est à retrouver ici.

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