TÉMOIGNAGE. "Ma fille est la seule des disparues de Perpignan dont on n'a pas retrouvé le corps"
Les trois mamans des "disparues de Perpignan" se sont unies en quête du coupable, avec Marie-Jo pour porte-parole. Alors que le meurtrier de deux d'entre elles a été condamné, Marie-Jo attend encore...
Elles étaient jeunes, jolies, joyeuses, avec le même physique méridional. Le 24 septembre 1995, Tatiana Andujar, 17 ans, la fille de Marie-Jo Garcia, disparaît. En décembre 1997, Mokhtaria Chaïb, 19 ans, est retrouvée morte, violée, et les organes sexuels mutilés. En juin 1998, c'est Marie-Hélène Gonzalez, 22 ans, retrouvée six mois plus tard avec cette même "signature". Toutes dans le quartier de la gare de Perpignan. "La police traquait un serial killer, avec un doute pour Tatiana, faute de corps.
J'ai longtemps pensé qu'elle était vivante, et puis...", se rappelle Marie-Jo, 63 ans, sans finir sa phrase. Deux fausses pistes font vibrer les mères des disparues à l'unisson lorsqu'un "coupable idéal" est arrêté en 1998. Il est relâché après neuf mois de prison quand survient le quatrième drame ! Fatima Idrahou, 23 ans, est retrouvée morte en février 2001, étranglée après avoir été violée. Encore une ! Toute la ville est sous le choc. Mais le coupable est vite arrêté grâce à un témoin. Il s'agit de Marc Delpech, un trentenaire bien inséré, représentant en boissons, qui n'a pas supporté que Fatima refuse ses avances !
Marie-Jo et son mari se sont transformés en enquêteurs mais ont fait face à un mur de silence
Mis hors de cause dans les crimes de Mokhtaria et Marie-Hélène, il est entendu pour la disparition de Tatiana. "Ce qui troublait les enquêteurs est qu'il avait chez lui un roman appelé Tatiana racontant son enlèvement, et les coupures de presse de l'époque. Mais faute d'aveux et d'indices, il a été condamné à trente ans de prison, dont vingt ans de sûreté, pour Fatima, mais pas pour Tatiana, disparition pour laquelle il n'a pas été mis en examen. Moi, je reste troublée... ", avoue Marie-Jo. L'été 1995, Tatiana travaillait chez un glacier, à Port Leucate près de Narbonne. Ses parents trouvent qu'elle a changé.
Lors de l'enquête sur sa disparition, ils découvrent même qu'elle séchait ses cours de terminale. Mais pour voir qui ? Le jour de sa disparition, elle rentrait d'un week-end avec de nouvelles copines. Avant son départ, elle s'était cachée pour téléphoner du fixe, le portable n'existait pas. Et à sa descente du train, selon le dernier témoin à l'avoir vue, elle appelle d'une cabine, puis attend. Qui est son mystérieux correspondant ? Un flirt ? Un soupirant ? Ses nouvelles copines rencontrées sur la côte savent forcément quelque chose. Marie-Jo et son mari, transformés en enquêteurs, les retrouvent... Mais ils font face à un mur de silence. "A cet âge, on craint la police, mais il n'est pas trop tard", lance Marie-Jo.
"Les parents des quatre coins de la France confrontés à un cold case forment comme une grande famille"
Chaque mère des disparues de Perpignan a son scénario, parfois commun. Toutes restent soudées par l'épreuve, et ça dure des années... "Les parents des quatre coins de la France confrontés à un cold case forment comme une grande famille qui dialogue dans des manifestations, dans les associations, dans les émissions de télévision ou maintenant sur les réseaux sociaux, raconte Marie-Jo. On s'en serait passé bien sûr, mais on s'attache."
Pourtant, c'est en octobre 2014 que les destins des mamans de Perpignan se séparent. La police scientifique réussit à relier un bout d'ADN retrouvé sur une chaussure de Mokhtaria à Jacques Rançon, la cinquantaine, le casier judiciaire plein, déjà condamné pour viol et violences conjugales. Il avoue aussi, en juin 2015, le meurtre de Marie-Hélène Gonzalez. Mais à la date de la disparition de Tatiana, il était en prison dans le nord de la France... C'est un espoir qui se brise une nouvelle fois pour Marie-Jo, qui reste toutefois solidaire. "J'étais soulagée pour les familles, j'étais à leurs côtés au procès, en mars 2018, pour les soutenir, surtout la maman de Marie-Hélène avec qui je suis devenue amie. C'était si horrible que j'ai perdu 10 kg..."
"Il faut qu'un jour, quelqu'un parle, ou au pire, que son corps retrouvé parle"
Rançon est condamné à perpétuité, puis, le 12 juin 2021, à trente ans de réclusion criminelle, assortie d'une période de sûreté de vingt ans, pour le crime et le viol, dans la Somme, d'Isabelle Mesnage, 20 ans, en... 1986 ! D'autres agressions sont prescrites. "Je n'ai pas eu la force de suivre ce procès, souffle Marie-Jo. Ils détruisent des familles entières !" Depuis, son couple a explosé. Ses fils, Alex, 5 ans à l'époque, ingénieur du son, a écrit une chanson-hommage à sa sœur en espagnol. Julien, 11 ans à l'époque, est parti en internat pour échapper à "une maman zombie et un père obsédé par la vérité". Devenu chorégraphe, il projette un spectacle mémoriel.
Quant à Marc, 15 ans à l'époque, encore en souffrance, il s'est fait tatouer sur le bras le prénom Tatiana... "Tatiana a sa place intacte dans nos mémoires (sur Facebook, Tatiana, on ne t'oublie pas). Il faut qu'un jour, quelqu'un parle, ou au pire, que son corps retrouvé parle. Ma hantise, c'est de mourir avant", glisse dans un souffle cette maman courage...