TÉMOIGNAGE. "A cause d'une arnaque, nous avons perdu notre île paradisiaque aux Maldives"
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Katy Kalb A l'aube de ses 50 ans, Katy Kalb avait prévu de se consacrer à l'île. Rihiveli, un écrin de nature que des passionnés ont tenté de sauver du tourisme de masse.
Katy Kalb, son mari et une cinquantaine d'actionnaires avaient créé une société, Save the dream, pour sauver une île des Maldives. Des malversations ont transformé le rêve en cauchemar.
L'île de leur vie depuis vingt ans, c'était Rihiveli, un confetti de sable fin entouré d'eau turquoise aux Maldives. On y nage au milieu des tortues de mer, on s'y détend dans un des 47 bungalows posés sur la plage, en tout petit comité, sans WiFi, climatisation ou piscine artificielle. "Nous étions tous des habitués, 70 % de Français, que des amoureux de la nature à l'état brut puisqu'il n'y a qu'elle. Il régnait un esprit de famille, c'est ce qu'on y adorait", soupire, nostalgique, Katy Kalb.
Voilà pourquoi elle et Christian, son mari, chef d'entreprise dans le domaine du sport, ont répondu à l'appel du cœur quand un employé les a informés que la licence d'exploitation de l'île et de l'hôtel était à vendre, en 2017. Des investisseurs chinois rôdent, l'île est menacée de perdre son caractère sauvage pour devenir une usine à touristes. Inconcevable ! Pour ce couple qui n'a pas d'enfant par choix, pas de charge de propriété principale ou secondaire, c'est l'occasion d'investir ses économies à l'aube de la cinquantaine.
Après un business plan, une cinquantaine d'actionnaires s'engagent à hauteur de plus de 2 millions d'euros
Katy souligne : "Longtemps employée à la Française des jeux, j'avais distribué des chèques et de la joie. Veiller au bonheur des clients dans notre paradis me convenait très bien ! " Après un business plan, une cinquantaine d'actionnaires s'engagent à hauteur de plus de 2 millions d'euros ; la part est à 43 000 euros, certains en prennent une demie. En janvier 2018, l'affaire est conclue. La société Save the dream, en partenariat avec les enfants du propriétaire maldivien, obtient sa licence d'exploitation jusqu'en 2042, et Katy s'installe à Rihiveli pour gérer la relance, avec quelques allers-retours en France et des visites régulières de Christian.
"Il y a eu des moments merveilleux les premiers mois, se souvient Katy, comme la fête de mes 50 ans avec une cinquantaine d'amis à Rihiveli, où Christian avait déjà fêté ses 40 ans, et surtout la réunion des (encore) heureux actionnaires en juin 2018. L'un savait sauver les coraux, l'autre était spécialiste en photovoltaïque, d'autres en faune ou en flore. J'ai repensé le spa, commencé à donner des cours de yoga après avoir suivi une formation."
Certains partenaires étaient plus motivés par l'argent que par l'écologie
Mais derrière les corbeilles de fruits frais dégustés face à la mer, Katy perçoit des dysfonctionnements. Elle comprend bientôt que la licence a été vendue deux fois ! Les enfants du propriétaire originaire des Maldives se tirent dans les pattes. Les comptes ne sont pas transparents, les marchandises commandées même pas chiffrées. Elle finit par découvrir que l'un des fils prélève via sa société, en tant qu'intermédiaire, une marge sur toutes les commandes, jusqu'à 17 % sur le fuel des générateurs et des bateaux par exemple. Le couple réalise, sidéré, qu'il est tombé dans un panier de crabes.
Mais Katy tient bon : "Je n'ai jamais autant travaillé de ma vie, mais je savais que si je laissais le champ libre, on perdait tout." Elle saisit la justice pour démêler l'imbroglio. Peine perdue. "On a découvert une justice locale inerte au mieux, corrompue plutôt, reconnaissant des droits au plus offrant. Et face à nous, de nouveaux prétendants mettent des millions sur la table, avec des projets touristiques industriels." Pendant deux ans, Katy résiste à l'ennemi, même quand on lui coupe l'eau et l'électricité de son bungalow, même confinée par le Covid et privée de clients. Robinsonne a de la ressource : "Je donnais descours de yoga aux employés, certains se confiaient à moi. On s'est attachés les uns aux autres, privés de tout sauf de l'essentiel."
Malgré la déception, Katy préfère garder le souvenir d'une belle aventure
C'est le 20 septembre 2021 qu'un visa non renouvelé par les autorités a chassé Katy de son paradis écologique, comme si elle n'était plus chez elle. Pourtant, l'affaire n'est pas terminée puisqu'elle est portée devant la Haute Cour de justice maldivienne. Derrière le couple Kalb, il y a des petits actionnaires, un chef d'entreprise, un carreleur, un enseignant, un expert-comptable, un agriculteur, un ingénieur en environnement... Des grands rêveurs, qui n'osent plus espérer un jour retrouver leur bout de paradis.
"Ce qui me manque le plus, souffle Katy, c'est la chaleur humaine des clients et des employés, dont l'un m'avait offert un petit chat. Un autre m'écrit tous les jours en me souhaitant une bonne journée. Il faut dire qu'un des actionnaires, médecin, l'avait soigné en lui faisant des infiltrations. La vie marchait comme ça... " Katy n'a pas encore de projet pour l'avenir, pas la force, mais une philosophie porteuse, quoiqu'il arrive : "Je continuerai de rêver, même si les rêves tournent au cauchemar, parce que c'est ça, la vie, suivre son cœur, essayer, même si parfois on se trompe ou qu'on est trompé."