TÉMOIGNAGE. “Harpiste paraplégique, je jouerai en clôture des Jeux paralympiques”

Anja Linder est une musicienne qui fait corps avec son instrument. “La harpe est un instrument qu’on enlace, c’est très fusionnel”, confie la Strasbourgeoise de 49 ans. Une rencontre coup de foudre lors d’un concert de l’instrumentiste Marielle Nordmann. “Ma mère était pianiste. J’avais 9 ans, j’hésitais alors entre le piano et le violoncelle. Quand j’ai vu la harpe, j’ai trouvé que c’était le plus beau des instruments. C’était devenu une obsession. J’ai harcelé ma mère jusqu’à ce qu’elle cède et m’en achète une. Et à partir de ce moment, c’était cet instrument-là et plus jamais un autre.” La jeune virtuose remporte un concours international et se destine à une grande carrière lorsqu’un terrible accident survient le 6 juillet 2001. “C’était un concert de mon ex-mari au parc de Pourtalès près de Strasbourg”, se souvient Anja qui était présente dans le public ce fameux soir. “Quand il a commencé à pleuvoir, je me suis réfugiée sous la buvette avec les spectateurs du concert. Sous l’effet d’un violent orage, un érable de 40 m de haut s’est abattu pile sur notre tente.” Quand les premiers secours arrivent, ils se repèrent aux sons émis par les victimes écrasées sous les décombres. Anja se remémore ce terrible souvenir. “Sous l’arbre, je n’ai pas perdu connaissance immédiatement. J’ai entendu les secours qui déblayaient les branches pour sortir les blessés. Ils ne m’ont pas trouvée immédiatement sous les débris. J’avais un pneumothorax – de l’eau dans les poumons – et je ne pouvais ni crier ni appeler à l’aide. Je me suis vue mourir. Avant de sombrer dans le coma, j’ai eu le réflexe de lever ma main. Un pompier l’a vue, et m’a sauvée.” Le bilan humain du drame est terrible : treize morts dont dix le soir même et 102 blessés. A l’hôpital, le pronostic vital d’Anja est engagé. A son réveil, elle a perdu une grande partie de la mobilité de ses jambes. Une renaissance grâce à sa harpe magique Paraplégique, elle enchaîne les opérations “au-delà de la douzième, je ne les compte plus”, reconnaît l’artiste qui vit encore aujourd’hui avec des douleurs récurrentes. En 2006, elle retrouve son instrument conçu spécialement pour elle. Anja Linder joue sur une harpe électro-pneumatique baptisée «Anjamatic». “Elle est unique au monde ! C’est une harpe adaptée, car je ne peux pas utiliser mes jambes pour jouer. Les sept pédales qui permettent les altérations sont remplacées par une pédale unique que j’actionne avec ma bouche par un petit câble, et les modulations sont programmées sur un ordinateur que j’actionne à la demande au fil de la partition à jouer.” Avec ce système ingénieux et révolutionnaire, Anja a repris les concerts. Le prochain a lieu à Paris le 19 mars*. Elle y présentera son disque* sorti en février où elle interprète les œuvres de Schubert. “Cet album est dédié à ma mère que j’ai perdue en 2019. J’interprète des morceaux qui ont jalonné ma vie. J’ai entendu ma mère pianiste jouer Schubert tant de fois. C’est une manière de me raconter autrement qu’avec des mots. Et de montrer ce qu’on peut faire de beau avec sa douleur.” “Je me sens proche de ces athlètes incroyables, qui dépassent les limites et se réapproprient leur corps avec talent” La musicienne a été conviée à jouer en orchestre et en duo avec un guitariste à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de Paris le 8 septembre au Théâtre du Châtelet. “Une fierté et un rêve” pour la musicienne qui se réjouit d’apporter sa touche à un tel événement. “Je me sens proche de ces athlètes incroyables, qui dépassent les limites et se réapproprient leur corps avec talent. Comme eux, je m’en suis sortie: comme quoi, c’est possible !”  *Le 19 mars elle sera en concert à la bibliothèque musicale de La Grange-Fleuret à Paris pour y présenter son album Schubert, en trio avec la violoncelliste Julie Sévilla-Fraysse et le violoniste Laurent Korcia. Schubert de Anja Linder avec Laurent Korcia (Violon) et Julie Sevilla Fraysse (Violoncelle)- Naïve/ Believe