Projet de Super ligue : pour les joueurs, "les rêves ne peuvent s'acheter"
Les joueurs de Leeds ont fait passer un message à Liverpool avant leur match mardi 19 avril sur le projet de "Super ligue" : "Méritez-la".
Les voix de plusieurs joueurs, entraîneurs et anciennes gloires du ballon rond se sont élevées contre le projet de "Super ligue" européenne semi-fermée, portée par 12 clubs anglais, italiens et espagnols. Unanimement, ces contestataires vantent la valeur sentimentale de la Ligue des champions et les bienfaits du mérite sportif.
Le monde du football est en ébullition depuis l'annonce de la création d'une "Super ligue" semi-fermée visant à concurrencer la Ligue des champions. Les douze clubs à l'origine du projet – Liverpool, Manchester City, Manchester United, Tottenham, Arsenal, AC Milan, Inter Milan, Juventus, Chelsea, Atlético Madrid, Real Madrid et Barcelone – sont sous le feu des critiques des instances du football, des gouvernements et des supporters.
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Les premiers concernés, les joueurs, commencent à prendre la parole. Si les illustres anciens du ballon rond tirent à boulets rouges sur le projet, les joueurs en activité sont plus timides – probablement par crainte de représailles. Le patron du football européen, Aleksander Ceferin, a en effet prévenu que les clubs et joueurs engagés dans ce projet seraient interdits "dès que possible" de toutes les compétitions organisées par l'UEFA ainsi que de la Coupe du monde de football. Les joueurs qui se prononceraient en faveur de la Super liguer pourrait donc se voir refuser de jouer le Graal footballistique que constitue le Mondial avec leur sélection nationale. A contrario, en se prononçant contre, ils s'exposeraient à une sanction de la part de la direction de leur club.
Une position inconfortable qui n'a pas empêché des premiers avis d'émerger au sein même des clubs fondateurs de la "Super ligue". Dans l'après-midi qui a suivi l'annonce du projet, le Portugais Bruno Fernandes, milieu de Manchester United, a été l'un des premiers joueurs d'un des clubs concernés à prendre position contre la nouvelle compétition.
Sur son compte Instagram, il a partagé, en rajoutant la mention "les rêves ne peuvent s'acheter", la publication de son compatriote de Wolverhampton, Daniel Podence, qui exprimait son attachement à la Ligue des champions évoquant "la volée de Zidane" ou la finale dramatique de Ligue des champions en 1999, où Manchester United avait renversé le Bayern dans le temps additionnel.
Le joueur de Manchester United peut compter sur le soutien d'illustres anciens des "Red Devils". Gary Neville n'a pas mâché ses mots en apprenant l'existence de ce projet : "Je suis un supporter de Manchester United, et je l'ai été pendant 40 ans de ma vie, mais là je dois dire que je suis dégoûté, vraiment dégoûté par Manchester United et Liverpool. Liverpool, ils prétendent que 'vous ne marcherez jamais seuls' [en référence à l'hymne du club : 'You'll never walk alone', NDLR]. Manchester United est né grâce à des travailleurs de la région, et ils font participer ce club à une ligue sans compétition, dont ils ne peuvent pas être relégués. C'est une honte absolue. Et honnêtement, nous devons récupérer le pouvoir dans ce pays des mains des clubs du haut de tableau, et cela inclut mon club", a-t-il critiqué.
"C'est un acte criminel contre les fans, une honte, ce sont des escrocs !", s'est-il ensuite emporté. "Qu'ils soient sévèrement punis. Des amendes dissuasives, des retraits de points, qu'on leur retire leur titres !", a-t-il fulminé sur Sky dans un furieux monologue de trois minutes.
"Parler d'une Super ligue, c'est s'éloigner de 70 ans du football européen. [...] À mon époque, à United, nous avons disputé quatre finales de la Ligue des champions et elles ont toujours été les soirées les plus spéciales [...] Les fans du monde entier adorent la compétition telle qu'elle est", a pour sa part déclaré à Reuters, l'iconique sir Alex Ferguson, manager du club entre 1986 et 2013, qui assure ne pas avoir été consulté par la direction sur le sujet.
Klopp et Milner contre
Du côté de Liverpool, l'entraîneur allemand Jürgen Klopp, vainqueur en 2019 de la compétition avec les "Reds", a assuré qu'il n'avait "pas changé d'avis" sur la question, lui qui s'était prononcé contre par le passé.
"Mon rêve a toujours été d'y entraîner une équipe, je n'ai donc évidemment aucun problème avec la Ligue des champions" actuelle, a-t-il souligné, en marge d'une rencontre de Liverpool contre Leeds (1-1). "J'aime l'aspect compétitif dans le football, j'aime l'idée que West Ham (actuellement 4e et virtuellement qualifié pour la C1) puisse jouer la Ligue des champions l'an prochain. Je n'ai pas envie qu'ils y soient, pour être honnête, parce que nous on veut y être, mais j'aime qu'ils aient une chance."
Après la rencontre, James Milner, l'un des vice-capitaines des Reds, a été plus direct encore.
"Cela soulève beaucoup de questions. Mon opinion personnelle, c'est que je n'aime pas ça et j'espère que ça ne se fera pas", a-t-il lâché, lapidaire, au micro de Sky
À Leeds, Liverpool a en tout cas eu peut-être un avant-goût de ce qui attend les cinq autres équipes de Premier League impliquées dans le projet – les deux Manchester et les trois Londoniens, Chelsea, Tottenham et Arsenal – lorsqu'ils joueront à l'extérieur. Les joueurs de Leeds portaient un t-shirt avec l'inscription "Méritez-la !" [la qualification en C1, NDLR] devant et "Le football appartient aux fans" dans le dos, lors de l'échauffement, alors qu'un avion tirant une banderole "#SayNoToSuperLeague" ("Dites non à la Super ligue") a survolé le stade juste avant le match.
"Si cette Super Ligue se concrétise, tous ces rêves vont disparaître"
Parmi les joueurs en activité, le champion du monde français Benjamin Pavard a rappelé "les émotions indescriptibles" suscitées par l'actuelle Ligue des champions qu'il a remportée avec le Bayern la saison passée, alors que son club a refusé de faire partie du projet.
"Ce sont des émotions indescriptibles en tant que joueur, des souvenirs incroyables en tant que fan. C'est une compétition à laquelle tous les joueurs et tous les clubs doivent pouvoir aspirer s'ils le méritent", a-t-il expliqué sur son compte Twitter.
"Les enfants rêvent de gagner le Mondial ou la Ligue des champions, pas n'importe quelle Super ligue", renchérit Mesut Özil, lui aussi champion du monde 2014 avec la Mannschaft. "Le plaisir des grands matches, c'est qu'on en joue un ou deux dans l'année, pas toutes les semaines", soupire l'ancien d'Arsenal.
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Ander Herrera, joueur du PSG, vibre des mêmes émotions : "Je suis tombé amoureux du foot populaire, du foot des supporters, avec le rêve de voir le club de mon cœur jouer contre les plus grandes équipes. Si cette Super ligue se concrétise, tous ces rêves vont disparaître (...) Les riches ont volé ce que les gens ont créé, et qui n'est rien d'autre que le plus beau sport de la planète".
Ada Hegerberg, qui a remporté cinq fois la Ligue des champions féminine avec l'Olympique Lyonnais, a elle aussi estimé que le projet de Super ligue reposait sur de la cupidité.
"J'ai grandi en aimant la Ligue des champions, puis j'ai joué en Ligue des champions féminine", a-t-elle raconté. "Ensuite, j'en ai gagné cinq et je suis devenue la meilleure buteuse de tous les temps. C'est un héritage. C'est le passé, le présent et l'avenir, tout comme la méritocratie dans le sport. La cupidité n'est pas l'avenir."