Procès de l'attentat de Nice : qui sont les huit accusés renvoyés devant la cour d'assises spéciale de Paris ?
Sept hommes et une femme sont jugés à partir du 5 septembre. Trois d'entre eux comparaissent pour terrorisme, en raison de leurs liens avec Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l'auteur de l'attaque, tué par les forces de l'ordre le 14 juillet 2016.
Ils vont succéder aux accusés du procès des attentats du 13-Novembre dans la salle d'audience de la cour d'assises spéciale de Paris. Sept hommes et une femme sont jugés à partir du lundi 5 septembre dans le procès de l'attentat de Nice. Le soir du 14 juillet 2016, le terroriste Mohamed Lahouaiej Bouhlel a foncé sur la foule à bord d'un camion, faisant 86 morts et des centaines de blessés sur la promenade des Anglais, avant d'être abattu par les forces de l'ordre.
Sur les huit accusés, trois sont renvoyés devant la justice avec une qualification terroriste. Si leur adhésion à l'idéologie jihadiste n'a pas été établie, ces derniers ne pouvaient pas ignorer, selon les juges d'instruction, la fascination de Mohamed Lahouaiej Bouhlel pour les exactions du groupe Etat islamique (EI). Les cinq autres accusés, dont deux sont en fuite, comparaissent pour association de malfaiteurs et des infractions à la législation sur les armes. Voici les faits qui leur sont reprochés.
Deux proches de Mohamed Lahouaiej Bouhlel
L'attentat a été revendiqué par le groupe Etat islamique, mais les investigations ont prouvé qu'il s'agissait d'une déclaration opportuniste. Aucun lien n'a été établi entre l'organisation et le Tunisien de 31 ans, au profil psychologique instable et violent. L'enquête s'est donc concentrée sur son entourage. A partir de l'analyse de la téléphonie, deux noms sont ressortis, Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud.
Mohamed Ghraieb comparaît libre, car il a été placé sous contrôle judiciaire depuis le 30 janvier 2020. Il est renvoyé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et encourt trente ans de réclusion. Cet homme de 46 ans, qui travaille dans l'hôtellerie, est un ami d'enfance de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, rencontré en Tunisie.
La justice lui reproche de s'être associé aux démarches de l'assaillant pour louer le poids lourd. Deux photos de cet homme à bord du 19 tonnes, datant du 11 juillet, ont été retrouvées par les enquêteurs. Mohamed Ghraieb est aussi accusé d'avoir fourni au terroriste une arme de poing hors d'usage en juin 2016 et d'avoir reçu plusieurs SMS de Mohamed Lahouaiej Bouhlel concernant la livraison de cinq armes en vue d'une "action violente" prévue, selon l'accusation, pour le 15 août 2016.
L'intéressé conteste l'ensemble des faits. Il dément aussi être l'auteur d'un message "Je ne suis pas Charlie", envoyé à Mohamed Lahouaiej Bouhlel le 10 janvier 2015. Ses avocats, Vincent Brengarth et William Bourdon, comptent plaider l'acquittement.
La défense de Chokri Chafroud est similaire. Ce Tunisien de 43 ans est accusé peu ou prou des mêmes faits et encourt la même peine. Il a rencontré Mohamed Lahouaiej Bouhlel cinq à six mois avant les faits, à Nice. Immigré clandestin, il est alors dans une situation précaire. "Mohamed Lahouaiej Bouhlel lui payait des sandwichs", explique son avocate, Chloé Arnoux. Les deux hommes ont échangé à 1 505 reprises dans ce laps de temps. Un message de Chokri Chafroud, daté du 4 avril 2016, a particulièrement intéressé la justice : "Charge le camion de 2 000 tonnes de fer et coupe-lui les freins mon ami et moi je regarde."
Cette phrase n'a finalement pas été retenue contre lui, faute d'élément étayant sa radicalisation. Comme Mohamed Ghraieb, Chokri Chafroud se voit reprocher d'être monté à bord du poids lourd, le 12 juillet, et d'avoir été informé de sa location. Il est accusé d'avoir contribué à fournir une arme de poing à Mohamed Lahouaiej Bouhlel dans les semaines précédant l'attentat et a, lui aussi, reçu les SMS au sujet de cinq armes, dont un sibyllin : "Chokri et ses amis sont prêts pour le mois prochain."
"On lui reproche d'avoir reçu des textos, ce n'est pas une action !" rejette son avocate. Son client est en détention provisoire depuis six ans. "Il a fait des séjours en hôpital psychiatrique parce qu'il clame son innocence depuis le début", selon Chloé Arnoux, qui compte aussi plaider l'acquittement.
Un trafiquant de stupéfiants qui a fourni l'arme retrouvée dans le camion
Ramzi Arefa, un Franco-Tunisien de 28 ans, est le troisième accusé renvoyé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Il est poursuivi pour avoir joué un rôle d'intermédiaire entre Mohamed Lahouaiej Bouhlel et les fournisseurs d'armes. En état de récidive, pour des faits de trafic de stupéfiants, il encourt la perpétuité.
Depuis octobre 2015, Mohamed Lahouaiej Bouhlel se fournissait en cannabis et cocaïne auprès de Ramzi Arefa environ une fois par semaine. Quelques mois avant l'attentat, il le contacte pour trouver des armes : "J'étais un touche à tout", s'est justifié Ramzi Arefa auprès des enquêteurs. Il reconnaît lui avoir remis un pistolet automatique et des munitions le 12 juillet 2016, moyennant 1 400 euros. Cette arme a été utilisée par Mohamed Lahouaiej Bouhlel le soir de l'attentat pour tirer sur des policiers.
Ramzi Arefa avait également récupéré une kalachnikov le 13 juillet mais celle-ci est restée entreposée dans une cave de son immeuble et il dément avoir eu l'intention de la vendre au terroriste. Les juges doutent de cette version. Ils estiment en outre que Ramzi Arefa ne pouvait ignorer la récente radicalisation de Mohamed Lahouaiej Bouhlel.
Ils retiennent aussi contre lui les SMS reçus concernant la location du poids lourd et cette supposée action violente, prévue en août 2016. Pour les conseils de Ramzi Arefa, ces messages "ne peuvent être considérés comme des preuves, à l'aune de la personnalité de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui envoyait des tonnes de message dénués de sens".
"J'ai été très choqué par rapport à cette histoire, quand j'ai appris dans quoi j'étais mêlé, a déclaré Ramzi Arefa pendant l'enquête. Mon histoire est toute balourde, je suis juste un mec de cité et j'ai fait le con. J'ai juste voulu gratter [de l'argent]". "C'est un vendeur de stupéfiants qui a accepté d'être l'intermédiaire pour une vente d'arme à un client, dans une logique de business", appuie Adélaïde Jacquin. Son client, en détention provisoire depuis six ans, "a très envie de s'exprimer" mais il est "impressionné" par la perspective d'un procès.
Des intermédiaires du circuit des armes
Pour trouver les armes demandées par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, Ramzi Arefa s'est tourné, selon l'accusation, vers une connaissance, Brahim Tritrou. Cet homme de 37 ans, consommateur de cocaïne, est jugé pour l'avoir mis en contact avec son dealer, Artan Henaj, un ressortissant albanais. A ce titre, il est poursuivi pour association de malfaiteurs et encourt dix ans de prison.
Remis en liberté début 2019, Brahim Tritrou s'est enfui en Tunisie. Interpellé par les autorités tunisiennes en janvier dernier, il a été placé sous contrôle judiciaire, précise à franceinfo son avocate. "Il a fait 25 mois de détention provisoire en France alors qu'il n'y a quasiment aucune charge contre lui", déplore Margot Pugliese, qui entend plaider l'acquittement.
Artan Henaj, 44 ans, est renvoyé devant la justice pour avoir fourni à Ramzi Arefa deux armes, le pistolet automatique retrouvé dans le poids lourd et la kalachnikov, qui n'a finalement pas été utilisée. Remis en liberté pour vice de procédure en décembre 2020, il est retourné derrière les barreaux pour d'autres délits. "Il n'a pas le profil d'un trafiquant d'armes. C'est quelqu'un qui s'est ponctuellement retrouvé à en vendre", assure à franceinfo son avocat, Karim Laouafi. Il espère que son client n'écopera pas de la peine maximale encourue (dix ans) parce que son nom est associé à un dossier terroriste.
Son ex-compagne Enkeledja Zace comparaît libre pour association de malfaiteurs. Placée sous contrôle judiciaire après un an et demi de détention provisoire, cette femme de 48 ans est accusée d'avoir tenu le rôle de traductrice entre Artan Henaj et Ramzi Arefa, d'avoir assisté à la transaction des armes et d'avoir perçu au passage 100 euros. Selon son avocat, Joseph Hazan, elle conteste fermement les faits qui lui sont reprochés. "On traque des gens qui ont apporté leur pierre à un édifice terroriste. Mais juridiquement, c'est très compliqué de prouver qu'elle aurait participé à un groupement", avance-t-il auprès de franceinfo.
Dans ce cercle d'intermédiaires, on retrouve également Maksim Celaj, un compatriote albanais d'Artan Henaj. Lui aussi a bénéficié d'une remise en liberté pour vice de forme, fin 2020. Cet homme de 30 ans a reconnu être allé chercher la kalachnikov sur les hauteurs de Nice, le 13 juillet 2016. "Son rôle est très circonscrit et l'arme en question n'a pas été utilisée pour les projets mortifères, rappelle son avocate Clémence Cottineau. Il s'est retrouvé dans ce dossier qui l'a complètement dépassé."
Le huitième et dernier accusé dans ce volet est Endri Elezi, un Albanais âgé de 30 ans. Il est poursuivi pour être le fournisseur de la kalachnikov, qui provenait d'un cambriolage. Reparti en Albanie en août 2016, il fait l'objet d'un mandat d'arrêt et devrait donc être jugé par défaut, comme Brahim Tritrou. Son cousin, Adriatik Elezi, s'est suicidé en détention en juin 2018. Cet homme de 38 ans avait été identifié comme le fournisseur de l'arme de poing retrouvée dans le camion. Comme l'a confié à franceinfo son avocate, Olivia Ronen, il "ne supportait pas l'étiquette de terroriste" et les conditions de détention qui allaient avec.