Procès "Air Cocaïne" : "Qu'on arrête les arguties juridiques !" réclame Christophe Naudin, qui avait organisé l'évasion des deux pilotes
Alors que s'ouvre lundi le procès en appel d'"Air Cocaïne", rencontre avec un des acteurs de l'affaire, Christophe Naudin. Il fait partie de ceux qui, en 2015, ont organisé l'exfiltration des deux pilotes français, détenus en République dominicaine pour trafic de drogue. Avant d'être lui-même extradé puis d'y être emprisonné.
L’affaire "Air Cocaïne" revient sur le devant de la scène avec un procès en appel lundi 7 juin, devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Dans le box, onze accusés dont les deux pilotes français – Bruno Odos et Pascal Fauret – soupçonnés d’avoir aidé à transporter près de 700 kg de cocaïne à bord d’un jet privé entre la République dominicaine et la France. C’était en mars 2013. En avril 2019, la cour d'assises spéciale a condamné sept des neuf accusés dans le volet français de l'affaire à des peines allant jusqu'à 18 ans de prison, dont six ans contre les pilotes Bruno Odos et Pascal Fauret.
Avant le procès en appel, rencontre avec l’un des acteurs de cette histoire rocambolesque, Christophe Naudin, qui avait participé à l’exfiltration des deux pilotes depuis la République dominicaine vers la France. Après avoir quitté la pire prison de Saint-Domingue, atteint d'un cancer des os, cet expert en sûreté aérienne aux faux airs de barbouze s'est refait une santé et il règle ses comptes dans son livre Air Cocaïne : les dessous d’une mystification (éditions L’Archipel). Sa colère, il l'a réserve d'abord à la justice dominicaine, celle qui l'a envoyé en prison près d'un an sans enquête ni procès. "L'ennemi du peuple", comme on l'avait baptisé là-bas, a plusieurs fois pensé mourir dans sa cellule. "On me l'a répété en permanence : 'Tu vas mourir ici, tu ne reviendras jamais en France'. Je me suis dit : je suis chez l'ennemi, un détenu de guerre. Et donc, il faut tenir."
Christophe Naudin va assister au procès en appel de Bruno Odos et Pascal Fauret, à Aix-en-Provence. L'affaire les a tous les trois marqués au fer rouge. Mais lundi, ce sont les deux pilotes qui seront à nouveau dans le box.
franceinfo : L’affaire Air Cocaïne réunit toute une galerie de personnages : des pilotes, des intermédiaires, des commanditaires, des trafiquants, des politiques. Comment vous définissez-vous dans ce dossier ? Un justicier, un barbouze, un facilitateur ?
Christophe Naudin : Ni un justicier, ni un barbouze. Moi, je suis quelqu'un qui est très attaché à l'Etat de droit. Au départ, je dois rappeler que j'ai fait confiance en la justice, y compris dominicaine. Et puis, c'est au bout de quelques années, après avoir été moi-même témoin pour a justice dominicaine, que j'ai réalisé que ça ne servait à rien [En juillet 2015, Christophe Naudin a témoigné au tribunal de Saint-Domingue comme expert en sûreté dans le cadre de la défense de Pascal Fauret et Bruno Odos]. L'affaire était écrite. La justice locale n'entendait pas des arguments de droit. Il ne voulait pas les entendre parce qu'il y avait d'autres choses derrière. Alors j’ai fait profiter de mon savoir-faire que j’ai acquis dans mes plus jeunes années pour faire sortir deux camarades qui étaient injustement accusés et qui étaient partis pour faire quarante ans de prison. C'est très injuste de faire quarante ans de prison quand on ne le mérite pas.
Dans le livre, vous détaillez, comme dans un film d’espionnage, ce plan d’évasion de vos deux amis pilotes. C’est le point de départ de votre entrée dans cette affaire.
Ce n'est pas une évasion. C'est une exfiltration, C'est à dire qu'on les a exfiltrés d'un endroit dont ils n'arrivaient pas à partir. Ce n'est pas juridiquement la même chose.
Juridiquement, la République dominicaine a estimé qu'il s'agissait d'une évasion.
Si vous vous basez sur les éléments juridiques de la République dominicaine, on n'a pas terminé ! Je démontre dans le livre que rien de ce que fait la justice dominicaine ne ressemble à de la justice. Pas d'expertise, des fausses dates, des faux documents, de fausses déclarations, etc. La justice dominicaine, ce n'est pas la justice. Elle ne sert qu'à piéger des gens et à les transformer en otages auprès des nations occidentales, les Etats-Unis, la France, l'Espagne principalement. L’Etat français abandonne trop souvent ses compatriotes quand ils sont aux mains d'une justice étrangère, même s'ils savent que cette justice est complètement dévoyée, qu'elle n'existe pas.
Dans votre livre, vous détaillez ce plan d'évasion, en octobre 2015, sur lequel vous avez travaillé d'arrache-pied avec un déroulé prévu minute par minute. D'une certaine façon, vous estimez que ce plan a été parfaitement mené. Vous ne regrettez rien…
C'est vrai, je ne regrette pas. Pourtant, ça m'a causé des blessures. Pour mes proches également. Le seul problème dans cette opération, c’est la trahison du camp d'Aymeric Chauprade [Un ex-parlementaire d’extrême-droite qui a participé et médiatisé très tôt l’opération]. Il m’a exposé inutilement. Il n'a pas respecté le plan et le silence de six mois prévu.
En février 2016, alors qu'un mandat d'arrêt international a été émis par la République dominicaine, vous êtes arrêté lors d'un séjour en Egypte, puis extradé et condamné à cinq ans de prison. Vous décrivez amplement dans le livre ce qui vous a marqué au fer rouge, cette détention en République dominicaine. Ça vous a marqué à vie ?
Bien sûr que ça m'a marqué à vie. J'ai été mis face à des gens que je n'aurais jamais rencontrés dans d'autres circonstances et je me suis quand même aperçu des dégâts que ça provoquait. J'ai été mélangé à plein de criminels. J'ai fait de mon mieux, mais même en faisant de son mieux, le corps, lui, ne tient pas et c’est ce que j'ai expérimenté. On avait des longues pénuries d'eau ou de nourriture. On devient fou. Ça a été dur parce que je voyais que je devenais dingue. J'ai perdu espoir parce qu'en fait, on me le répétait en permanence. C'était ça qui était difficile. On me disait : “Tu vas mourir ici, tu ne reviendras jamais en France”. Je ne savais pas comment j'allais mourir, si j'allais mourir de maladie, de folie. Est-ce que j'allais me prendre un coup de boîte de conserve transformée en couteau ? Ça, c'était dur pour moi. Je me suis dit : je suis chez l'ennemi, un détenu de guerre. Et donc, il faut tenir.
Selon vous, les pilotes Pascal Fauret et Bruno Odos n'avaient pas du tout connaissance de ce que contenaient ces valises. Qu'est-ce que vous pouvez dire aujourd'hui qui pourrait éclairer différemment le début de ce procès en appel ?
Oui, Pascal Fauret et Bruno Odos ne savaient pas et ils n'ont pas à savoir, d'ailleurs, ce qu'ils transportent, puisque ce n'est pas leur travail, ce n'est pas leur responsabilité. Une société qui s'appelle Swissport avait été payée pour ça. Ils n'avaient pas s'en préoccuper. Mais qu'est-ce qu'on peut dire de nouveau ? Moi, j'ai essayé de démontrer dans ce livre que l'ensemble des actes judiciaires de la République dominicaine étaient faussés. D'autre part, je pense que la drogue, elle, n'a jamais été dans l'avion.
Ça, vous le soutenez encore aujourd'hui ?
J'en suis quasiment certain. Parce que cette drogue, je sais qu'elle était vendue à 50% par un narcotrafiquant et 50% par la police dominicaine. La police a des stocks tirés des saisies et ils revendent ces stocks à l'étranger. Ils ont appris par hasard que le Falcon allait être contrôlé par la justice française à son arrivée en France. Imaginez que la justice française découvre cette drogue : ça veut dire que la police dominicaine, la sûreté dominicaine, les douanes dominicaine, l'anti drogue dominicaine ne font pas leur travail correctement, puisque cette drogue arrive. Donc, je pense qu'ils n'ont pas pris le risque d'embarquer la drogue dans l'avion.
Mais pourtant, il y a des intermédiaires qui reconnaissent avoir voulu faire transiter de la drogue...
Je ne dis pas que le vol n'était pas prévu pour rapporter de la drogue. Je dis qu'effectivement, les clients qui étaient transportés étaient sans doute, mais je n'en ai pas de preuve, des narcotrafiquants. Mais ils se sont fait rouler eux mêmes par leurs propres fournisseurs. Les Dominicains voulaient un réseau et iI fallait pour cela qu'il y ait ces deux pilotes. Pourtant, ils volaient sous plan de vol commercial. Et puis l'analyse de la drogue est datée de sept jours avant la date de l'arrestation. C’est sans doute une saisie précédente. Deuxième problème, la personne qui fait l'analyse de la drogue, pas de chance, se suicide deux jours après l'arrestation. C'est quand même pas de bol ! De plus, Pascal Fauret et Bruno Odos ne volaient jamais ensemble. Ils ne pouvaient donc pas être des narcotrafiquants organisés.
Ça veut dire qu'il y aurait eu 700 kg de drogue dans l'avion. Moi, je veux qu'on me le démontre. Je veux qu'on me prenne 26 valises, dont la valise personnelle de Bruno Odos et Pascal Fauret, et qu'on les remplisse avec 700 kg. On va voir si ça tient déjà… Tout est faux,
Le procès en appel démarre le 7 juin. Vous avez un contact régulier avec ces pilotes. Qu'est ce que vous pouvez nous dire d'eux à la veille de ce procès ?
Nous sommes huit ans après les faits. Huit ans de calvaire pendant lesquels ils n’ont pas exercé leur métier. Ils n'ont pas eu les mêmes revenus, leurs familles ont commencé à être moins solides. C'est difficile, une épreuve comme ça. Quelque part, ils ont perdu leur dignité et ils ont perdu leur honneur. Mais moi, j'aimerais que les magistrats tiennent compte, déjà, de l'état des accusations qui ont été faites en République dominicaine. On attend la vraie justice. S”ils ont été exfiltrés de République dominicaine c'est justement pour qu'ils se présentent à la justice française. Il faudrait qu'on arrête les arguties juridiques et que maintenant, on se penche vraiment sur leurs cas.
Pascal et Bruno savent que, sans cette exfiltration, ils auraient été pendant vingt ans en prison en République dominicaine. Donc, de toute façon, ils savent qu'ils ont échappé à ça. Déjà, pour eux, c'est le plus important.