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Présidentielle : Marine Le Pen victorieuse en Outre-mer, une conquête "fragile"

ÉLYSÉE 2022 La présidente du Rassemblement national salue des artisans guadeloupéens au Salon de l'agriculture 2019 à Paris, le 28 février 2019. Au second tour de la présidentielle française, la candidate du Rassemblement national a enregistré une percée record dans les Outre-mer, historiquement hostiles à l'extrême droite. Une victoire symbolique forte pour Marine Le Pen, dont le soutien dans ces territoires reste néanmoins fluctuant, selon la chercheuse Christiane Rafidinarivo.  Les chiffres avaient fuité dans l'après-midi suscitant la stupeur parmi les opposants du Rassemblement national. Le décompte officiel des résultats a confirmé, dimanche 24 avril à 20 h, la percée record de Marine Le Pen dans les départements français d'Outre-mer.  La candidate du RN, devancée de 17 points par Emmanuel Macron à l'échelle nationale (58,54 % contre 41,46 %) a remporté 69,6 % des voix en Guadeloupe, 60,87 % en Martinique, 60,70 % en Guyane, 59,57 % à la Réunion et 59,10 % à Mayotte. Des résultats historiquement hauts pour Marine Le Pen dans ces régions qui avaient placé, à l'exception de Mayotte, le candidat de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon largement en tête au premier tour.  Comment le Rassemblement national est-il parvenu à fédérer autant de soutien dans des territoires historiquement hostiles à l'extrême droite ? Éléments de réponses avec la politologue réunionnaise Christiane Rafidinarivo, chercheuse invitée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).  La forte progression de Marine Le Pen en Outre-mer est-elle le fruit d'un effort particulier sur ces territoires ?  Christiane Rafidinarivo : Cette percée record s'inscrit dans une dynamique graduelle sur plusieurs élections. En 2017, déjà elle était parvenue au premier tour à remporter le plus grand nombre de voix sur l'ensemble de l'Outre-mer, avant d'être battue par Emmanuel Macron.  En 2019, lors des européennes, son parti était déjà arrivé largement en tête dans la majorité des territoires. Cette montée graduelle s'explique par une campagne très méthodique de "dédiabolisation", menée depuis plusieurs années par le Rassemblement national.  Pour Marine Le Pen, ces territoires ont une importance particulière car conquérir les Outre-mer, c'est fournir un contre-argument face aux perceptions de racisme. Il ne s'agit pas pour le RN d'une affaire strictement ultramarine, mais d'une stratégie qui vise à améliorer son image et élargir le nombre de ses électeurs à l'échelle nationale. C'est pourquoi Marine Le Pen est la seule candidate à avoir mis en place un programme spécifique, défini de longue date, pour ces territoires.  S'agit-il selon vous d'un vote de rejet ou bien véritablement d'adhésion au programme du Rassemblement national ?  Le score de Marine Le Pen traduit ces deux types de vote. Il existe bien une adhésion sur la base de ses propositions car elle a pris le parti d'adapter son argumentaire pour chaque territoire. À Mayotte, elle se présente comme le remède contre l'immigration illégale venue des Comores. À La Réunion, qui n'a pas ce problème, elle insiste sur la pouvoir d'achat face à l'inflation galopante. En proposant des réponses ciblées, elle capitalise également sur la demande de spécificité, particulièrement forte aux Antilles et à La Réunion, ainsi que sur le sentiment d'abandon.  Car les territoires d'Outre-mer comptent à la fois parmi les plus pauvres de France, mais également parmi les plus inégalitaires. C'est particulièrement vrai à La Réunion, où 37 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit un taux 2,5 fois supérieur à celui de la métropole.  Au-delà même de la question des moyens, il existe de longue date dans ces territoires une forte défiance vis-à-vis de l'État, considéré comme incapable d'apporter des solutions politiques appropriées. Plusieurs mesures mises en place par Emmanuel Macron ont encore accentué cette perception.  À La Réunion, l'argent débloqué à la suite de la crise des Gilets jaunes n'a pour l'instant pas permis d'endiguer le chômage des jeunes, alors qu'aux Antilles l'obligation du passe vaccinal et de la vaccination pour les soignants a été très mal vécue. C'est pourquoi les votants ont massivement opté pour les solutions alternatives, incarnées par Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen.  Jean-Luc Mélenchon avait appelé à ce qu'aucun de ses électeurs ne vote Le Pen au second tour. Comment interprétez-vous ce report massif de voix vers la candidate du RN en Outre-mer ?  Ce retournement montre tout d'abord que malgré la progression continue de Marine Le Pen dans les urnes, son électorat dans les Outre-mer reste volatil. Le nombre de ses électeurs grandit, mais il ne s'agit pas forcément des mêmes à chaque élection, et de ce fait son socle demeure fragile.  Nous ne disposons pas d'outils précis pour savoir dans le détail combien d'électeurs de Jean-Luc Mélenchon se sont abstenus, combien ont voté Marine Le Pen ou bien Emmanuel Macron, mais il est évident que sa consigne de vote a été peu suivie. Ce revirement entre Mélenchon et Le Pen ne traduit pas à mon sens une dépolitisation au sens de l'ignorance ou d'un manque d'éducation, mais est plutôt symptomatique du déclin des partis politiques. Avec les réseaux sociaux, la pratique de la citoyenneté a changé, elle s'est individualisée et les électeurs se sentent de moins en moins représentés par les partis. Si Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen parviennent encore à attirer les électeurs, leurs résultats dans les Outre-mer montrent qu'ils n'exercent pas une attractivité assez forte pour fidéliser les citoyens.  >> À lire aussi : Comment le programme RN de Marine Le Pen s'est imposé à Mayotte

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