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La nouvelle affiche de Marine Le Pen, ou les faux-semblants de la com' de l'extrême droite

PRÉSIDENTIELLE 2022 La candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, affronte pour la deuxième fois Emmanuel Macron lors du second tour de l'élection présidentielle. La candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, a dévoilé mardi sa nouvelle affiche pour le deuxième tour de la présidentielle et son nouveau slogan, "Pour tous les Français". Une nouvelle étape de la communication de Marine Le Pen, soignée jusque dans les moindres détails pour continuer à dédiaboliser son parti, sans pour autant rien renier à son discours. Sans le nom du père, ni celui du parti. Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national, a dévoilé, mardi 12 avril, son affiche de campagne pour le second tour de la présidentielle de 2022. Elle s'y présente tout sourire, debout devant une table de bureau, dans un décor très dépouillé. La présidente du mouvement d'extrême droite en a profité pour concocter un nouveau slogan – "Pour tous les Français" – qui vient remplacer le "Femme d'État" du premier tour. Une Marine Le Pen plus "modeste" qu'en 2017 À première vue, c'est une affiche "assez classique et spécifique des candidats du second tour qui 'départisanisent' leur message pour rassembler au-delà de leur famille politique", résume Marion Ballet, spécialiste du discours politique au Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines de l'université Paris-Saclay, contactée par France 24.  La disparition de la référence au parti n'est pas propre au Rassemblement national. Emmanuel Macron ne fait pas non plus allusion à LREM sur son affiche, et plus généralement, "c'est une réponse d'une partie des candidats face à la défiance grandissante des Français à l'égard de l'appareil des partis", précise cette politologue. Quant à "l'oubli" du patronyme – et même du prénom –, c'est une stratégie assumée par Marine Le Pen depuis qu'elle a pris les rênes du parti et qu'elle a entamé son effort de normalisation. "Cela permet de se détacher de l'image sectaire, viriliste encore véhiculée par le nom Le Pen", assure Marion Ballet. >> À lire sur France 24 : Présidentielle : des reports de voix éparpillés et incertains pour le second tour Mais ce n'est pas une simple affiche du deuxième tour. Elle en dit aussi long sur la manière dont Marine Le Pen a mené sa campagne et sur sa quête de respectabilité politique. Et rappelle que malgré les efforts de lissage de l'image, "le fond du discours, aussi doux qu'il puisse paraître reste xénophobe", affirme Stéphane Wahnich, politologue à l'université de Tel-Aviv et auteur de "Marine Le Pen prise aux mots : décryptage du nouveau discours frontiste", contacté par France 24. Impossible, tout d'abord, d'échapper à la comparaison avec l'affiche de son premier face-à-face avec Emmanuel Macron, lors du second tour en 2017. "Les deux sont très institutionnelles, avec le bureau et les moulures, mais cette fois-ci, elle n'a pas voulu rentrer directement à l'Élysée, comme en 2017 où on distinguait une bibliothèque en arrière-plan qui faisait penser à celle du palais présidentiel", analyse Stéphane Wahnich. Autrement dit, à l'époque la candidate voulait faire comprendre qu'elle se voyait déjà confortablement installée sous les ors de la République alors que cette fois-ci  "elle cherche à donner une image plus modeste d'elle-même", poursuit le chercheur. Cette modestie transparaît aussi dans la posture adoptée. En 2017, l'affiche du second tour la montrait assise nonchalamment sur ce bureau censé représenter celui de l'Élysée, tandis que sa jupe remontait jusqu'au-dessus de son genou ce qui "était une posture plutôt provocante pour montrer une candidate qui assumait sa féminité", rappelle Jean-Philippe De Oliveira, spécialiste de la communication politique à l'université de Grenoble Alpes, contacté par France 24.  Des chats et un grand sourire Rien de tel cette fois-ci : Marine Le Pen se tient debout, sans chichi, et en toute sobriété. Cette mise en scène "plus simple et sans provocation lui permet d'incarner avant tout la fonction en suggérant qu'elle a compris ce que ça impliquait de briguer la présidence de la République", détaille Jean-Philippe De Oliveira. Et ce que cela implique donc de ne pas faire… Cette modestie et simplicité permettent ainsi à la candidate d'extrême droite de suggérer qu'elle ne volera pas dans les plumes d'Emmanuel Macron comme lors de sa très critiquée prestation durant le débat de l'entre-deux-tours en 2017. Ce refus de toute agressivité affichée va se nicher jusque dans les moindres détails, comme la graphie. "Elle a choisi d'utiliser des lettres toute en rondeur, et relativement fines pour son slogan, ce qui donne cette impression de non-agressivité", souligne Stéphane Wahnich.  Et puis surtout, il y a le sourire. "Elle sourit franchement, pas comme sur l'affiche de 2017. C'est une manière de dire que le message, c'est elle avant tout. Car Marine Le Pen pense qu'elle a réussi à se forger une image positive auprès des Français et qu'il faut capitaliser là-dessus pour susciter un élan de sympathie au-delà de son parti", estime Christian Delporte, spécialiste de l'histoire de la communication politique au Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines de l'université Paris-Saclay, contacté par France 24. Cette représentation d'une femme souriante, "simple et modeste" sur l'affiche cadre bien avec sa communication depuis le début de la campagne. Entre la "starification" de ses chats, la présentation d'Ingrid, "sa coloc", "il y a eu une sorte de dépolitisation de son message en faveur d'un effort pour la dépeindre comme quelqu'un de normal", analyse Marion Ballet.  Marine Le Pen, la candidate "next door" ? Il y a de quoi hérisser le poil des vieux de la vieille de l'extrême droite française. "C'est une rupture évidente avec la communication traditionnelle de ce mouvement, qui repose sur l'image d'un chef fort derrière lequel le peuple pourra se rassembler", confirme Stéphane Wahnich.  Un slogan à deux niveaux de lecture Mais ce n'est pas une nouveauté pour Marine Le Pen. Elle travaille à rendre l'image du FN (puis du Rassemblement national à partir de 2018) plus accessible depuis sa prise de pouvoir en 2011. "Cette affiche représente le résultat ultime de la stratégie de dédiabolisation du parti. On est à l'opposé de ce que faisait Jean-Marie Le Pen sur ses fameuses affiches 'Le Pen, Le Peuple' [utilisées pendant dix ans, de la fin des années 1980 à la fin des années 1990, NDLR]. Il n'y a plus aucune référence au peuple et donc au populisme", note Stéphane Wahnich. Il serait, cependant, faux de penser que le message du parti à l'ère Marine Le Pen a changé en profondeur. Les relents d'exclusion ou de xénophobie transparaissent d'ailleurs dans l'affiche à travers le slogan, qui a deux niveaux de lecture. "Pour tous les Français" représente, en premier lieu, "le message le plus neutre possible. Tous les nouveaux présidents affirment qu'ils représenteront 'tous les Français'. Donc, en un sens, c'est une formule qui permet à tous, et en particulier les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, de s'y retrouver", estime Jean-Philippe de Oliveira. Mais c'est aussi un rappel au slogan d'Emmanuel Macron – "Nous tous" – en y ajoutant le qualificatif de "Français", lourd de sens. "Elle a réussi à utiliser un 'tous' non-inclusif, puisqu'elle en exclut ceux qu'elle estime ne pas être Français", conclut Stéphane Wahnich. C'est donc toujours ce même discours qui se cache derrière ce grand sourire d'affich(ag)e.

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