Gifle, propos complotistes : les prémices d’une campagne présidentielle française sous tension
Le président français, Emmanuel Macron, saluant la foule lors d'une visite à Valence, le 8 juin 2021, dans le département de la Drôme, dans le sud ouest de la France.
La campagne présidentielle française part très tôt et très fort. Le président giflé lors d’un déplacement, des propos complotistes de Jean-Luc Mélenchon... Faut-il y voir les signes d’une campagne particulièrement virulente ? Éléments de réponse.
Des propos complotistes tenus par Jean-Luc Mélenchon, une gifle reçue par Emmanuel Macron lors d’un bain de foule improvisé, une possible candidature d'Éric Zemmour, la campagne présidentielle est bien lancée en France, charriant son lot d’incidents et de surprises. Ces derniers événements politiques laissent-t-ils présager une campagne présidentielle particulièrement agressive ? "Il est encore trop tôt pour le dire mais on risque bien d’assister à une campagne rock’n roll voire lunaire”, estime Benjamin Morel, maître de conférence à l’université Paris II.
"Le calendrier électoral est ainsi fait que les élections régionales arrivent à moins d’un an de l’élection présidentielle, ce qui accélère mécaniquement la présidentielle, explique pour sa part Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. On se trouve donc de plain-pied dans un contexte de campagne présidentielle avec toute la nervosité qui peut en émerger".
Une campagne précoce
Car les responsables politiques sont bien entrés en campagne. Marine Le Pen a dégainé la première. Depuis le mois d’avril, la présidente du Rassemblement national a parcouru l’Hexagone en soutien à ses têtes de liste pour le scrutin régional des 20 et 27 juin. Crédité d'environ 8 à 11 % des intentions de vote depuis le début de l’année, Jean-Luc Mélenchon est lui aussi parti à la rencontre des électeurs. Le 16 mai, le leader de La France insoumise a choisi la cité minière d’Aubin, dans l'Aveyron, pour le premier meeting de sa troisième campagne présidentielle. Dans ses conditions, Emmanuel Macron n’a pas eu d’autres choix que de se lancer lui aussi à l’assaut des Français.
Le chef de l’État a lui aussi empoigné son bâton de Marcheur pour un "pèlerinage laïque" destiné officiellement à "prendre le pouls de la France" secouée par quinze mois de pandémie. Ce "tour de France des territoires", entamé le 2 juin dans le Lot et qui l'a mené le 8 juin dans la Drôme, montre tous les signes d’une campagne officieuse. L’agression du président, recevant une gifle d’un militant royaliste, est un autre élément qui marque la grande fébrilité ambiante.
La crise sanitaire, un accélérateur d’agressivité ?
"Depuis plusieurs semaines, on sent une exacerbation du débat public à travers les clashs, les provocations, les images transgressives, constate Arnaud Benedetti. On assiste peut-être là à un changement de nature du débat. L’agressivité de la société fracturée ne va pas forcément ressurgir dans le discours des responsables politiques mais bien dans le débat démocratique".
La crise du Covid peut-elle expliquer cette agressivité ? "La société a été mise sous cloche pendant de longs mois alors qu’elle connaissait déjà des tensions, note Arnaud Benedetti. On peut penser que cette sortie de crise sanitaire risque de libérer davantage les pulsions agressives et donner un effet amplificateur aux violences”.
Les incidents de campagne sur des personnalités publiques ne sont pourtant pas nouveaux. En 2001, Jacques Chirac s’était fait traiter de "connard" lors d’un bain de foule. En 2017, l’ancien Premier ministre Manuel Valls s’était lui aussi fait gifler en campagne pour la primaire de la gauche. La même année, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors candidate aux législatives à Paris, avait été bousculée sur un marché.
Quant aux propos de Jean-Luc Mélenchon, il n’en est pas à sa première provocation. S’il a pu tenir des propos ouvertement complotistes, dimanche, sur France inter, "on sait qu’il est capable de faire bien pire”, assure le sociologue Michel Wieviorka à France 24. Notamment lorsqu’il s'était opposé avec virulence aux policiers "venus perquisitionner son domicile et le siège de LFI dans le cadre de deux enquêtes préliminaires du parquet de Paris." Jusqu’ici, "la stratégie de la provocation entreprise par le chef de LFI lui a été plutôt bénéfique, observe Arnaud Benedetti, donc il poursuit son entreprise de surenchère. Mais il n’est pas sûr que ce référentiel complotiste soit rassurant pour qui veut briguer une élection présidentielle".
Un contexte politique et médiatique qui "favorise les outrances"
Dans toutes les campagnes, "il y a toujours eu des incidents, des moments de flottement, des candidatures ubuesques, abonde Benjamin Morel. Tout cela n’est pas si singulier. Cependant certains éléments doivent nous alerter. Notamment la décomposition du paysage politique français. Les partis traditionnels ont toujours eu un effet de refroidissement de la parole avec des éléments de langages travaillés sur des thématiques préparées. Or l’affaiblissement de ces organes politiques favorise les outrances. Sans leadership dans les partis, les candidats doivent davantage transgresser pour exister".
Par ailleurs, "c’est un peu tarte à la crème de le dire, mais la multiplication des plateaux de chaîne d’information et les réseaux sociaux ont aussi favorisé les propos tenus à chaud", donc plus souvent provocateurs, poursuit le professeur.
Autre phénomène, Benjamin Morel ajoute qu’il y a une distorsion de l’offre des candidats et de la demande des électeurs : les citoyens ont bien souvent des idées plus radicales que leur candidat. "Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il prend aujourd’hui une plus grande ampleur."
Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant de voir émerger des personnalités clivantes et disruptives comme Éric Zemmour, plus à l’image des attentes des électeurs de droite. "S’il se présente, on assistera probablement à une surenchère des propos tenus par la droite, conclut Benjamin Morel. Et Marine Le Pen pourrait bien être obligée elle aussi de radicaliser son discours".