Opération "Spamouflage" : beaucoup de propagande chinoise pour (presque) rien ?
DÉSINFORMATION
Meta, la maison mère de Facebook, a dévoilé, mardi, les détails de l’opération de désinformation chinoise “Spamouflage”. Décrite comme la plus importante campagne de propagande sur le réseau social, celle-ci brille surtout par le faible écho rencontré. Un étonnant décalage entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus.
Ils n’avaient jamais rien vu de tel. Les responsables de Meta, la maison mère de Facebook, sont pourtant habitués à la désinformation et à la propagande sur leurs plateformes. Mais l’opération chinoiseque le groupe californien a annoncé avoir démantelée, mardi 29 août, est d’une ampleur sans précédent pour eux.
Plus de 7 700 comptes, 954 pages et 15 groupes Facebook ont été suspendus, tout comme des dizaines de comptes sur Instagram (qui appartient également à Meta). Cette galaxie de comptes à la solde des propagandistes pro-Pékin étaient suivie par plus d’un demi-million d’internautes, a précisé Meta dans un billet de blog détaillant cette opération.
Reflets des priorités de Pékin
Ils n’étaient pas seulement actifs dans l’univers Meta. Ces “influenceurs” postaient aussi des contenus sur une cinquantaine d’autres plateformes, telles que TikTok, Quora, YouTube, Reddit, Tumblr ou encore X (anciennement Twitter).
L’opération, qui a été baptisée "Spamouflage", a débuté en 2018. “Au fil des ans, elle a épousé les priorités du moment du régime chinois”, souligne Oleg Abdurashitov, spécialiste des questions de cybercriminalité internationale pour l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona, un collectif international d’experts des questions de sécurité internationale.
Cette campagne de désinformation a d’abord tenté de dénigrer le mouvement prodémocratie à Hong Kong au moment des manifestations de 2019. L’apparition du Covid-19 a ensuite fait évoluer les priorités de “Spamouflage” : il fallait présenter la Chine comme l’exemple à suivre en matière de réponse à une pandémie.
Enfin, la guerre en Ukraine a été l’occasion pour ces cyberagents de dépeindre les États-Unis comme le grand déstabilisateur de l’ordre mondial. Ainsi, souligne Meta, ils ont posté sur l'ensemble des réseaux sociaux de faux articles suggérant que Washington était le réel donneur d’ordre pour le sabotage du gazoduc Nord Stream 2 en septembre 2022.
“Spamouflage” misait tout sur sa force de frappe. Le raisonnement est simple : “Un grand nombre de comptes, aidés par des ‘bots’ [des robots censés reposter automatiquement les contenus, NDLR], permettait de garantir un début de viralité à chacun des messages postés”, souligne Benoît Grunemwald, expert en cybersécurité pour la société Eset. Les Chinois espéraient que les algorithmes de Facebook et autres plateformes assurent ensuite le service après-vente en faisant eux-mêmes la promotion de ces messages qui pouvaient apparaître comme populaires grâce à tous ces retweets et “J’aime” des bots.
Ces "désinformateurs" se sont même donné du mal à fabriquer des contenus spécifiquement élaborés pour être ensuite largement diffusés. C’est ainsi qu'ils ont conçu une fausse étude scientifique censée démontrer que le virus du Covid-19 était apparu tout d’abord aux États-Unis et non pas à Wuhan en Chine.
Les bots chinois parlent aux bots chinois
Pour autant, toute cette débauche de propagande n’a pas vraiment fait mouche, assure Meta. Rares sont les vrais internautes à avoir interagi avec ces contenus à la gloire de Pékin, ont constaté les responsables de Facebook. Dans toute cette affaire, les bots semblent avoir parlé aux bots.
“On a l’impression que les Chinois ont privilégié la quantité à la qualité”, souligne Rogier Creemers, spécialiste de l’Internet chinois et auteur de l'article “Comment la Chine projette de devenir une cyberpuissance".
La plupart du temps, les agents de “Spamouflage” se contentaient de copier-coller les messages d’une plateforme à l’autre et ne portaient guère attention aux fautes de grammaire ou d’orthographe. Pire, ils pouvaient poster leur propagande sans aucun égard pour le contexte. Ainsi, sur le site de questions/réponses Quora, l’un d’entre eux a écrit un message à la gloire de la politique de coopération internationale de la Chine en matière de lutte contre la fraude en réponse à une question sur… les meilleurs moyens de perdre du poids.
“Ce sont des procédés quand même assez archaïques et on peut se demander pourquoi ils n’ont pas eu recours à des outils plus modernes, comme l’intelligence artificielle, qui permettent de rédiger rapidement des textes personnalisés et adaptés au contexte”, souligne Benoît Grunemwald.
C’est le grand mystère de cette opération d’influence chinoise : d’un côté, Pékin n’a pas lésiné sur les moyens pour créer du contenu - y compris en prévoyant des équipes pour traduire les textes dans plusieurs langues -, mais la promotion de ces messages a été pour le moins bâclée.
L’une des raisons pourrait être que Pékin “n’a peut-être pas le bon personnel sous la main”, estime Oleg Abdurashitov. Les Chinois n’ont pas forcément l’habitude des réseaux sociaux occidentaux - dont la plupart sont interdits en Chine - et ne disposent pas des bons réflexes pour s’assurer que leurs contenus vont faire mouche. N’est pas un influenceur à la mode qui veut…
Vrai échec ou succès potentiel ?
Pékin restreint aussi l’accès aux programmes d’intelligence artificielle occidentaux comme ChatGPT. Autrement dit, les agents n’ont peut-être pas le savoir-faire “pour effectuer la mise à jour nécessaire de leurs opérations et rester à la page”, note Benoît Grunemwald.
Il pourrait aussi y avoir des raisons plus profondes à cet apparent échec de l’opération “Spamouflage”. Cette campagne suit la même logique qui anime “la plupart des médias traditionnels ne regardant que le nombre potentiel de lecteurs ou de spectateurs qu’un article ou une émission de télévision peut toucher”, note Rogier Creemers.
Autrement dit, les responsables de cette opération sont peut-être satisfaits. On leur a dit qu’il fallait faire quelque chose pour améliorer l’image de la Chine sur la scène internationale, et ils ont imaginé une large campagne menée sur une cinquantaine de réseaux sociaux populaires dans le monde entier. De quoi toucher des milliards d’internautes… potentiellement ! C’est l’essentiel : ainsi, ces cyberpropagandistes peuvent “rassurer leurs supérieurs qui ont donné l’ordre d’agir”, souligne Rogier Creemers.
“Spamouflage” permet aussi de comprendre en partie une autre tendance de fond. Dans son rapport, Meta rappelle que c’est la septième campagne de propagande chinoise découverte en six ans. Pékin n’en finit donc pas de revenir à la charge. Pourtant, “plusieurs études ont démontré que l’image de la Chine a continué à se dégrader dans l’opinion occidentale ces dernières années”, rappelle Rogier Creemers.
De quoi écorner la réputation de Chinois maîtres en art de la propagande. Si cette campagne démontre “qu’ils ont les moyens d’influencer les opinions”, comme l'assure Oleg Abdurashitov, ils n'ont, semble-t-il, pas forcément le manuel pour le faire à l’échelle mondiale.