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"On ne veut pas d'un bunker" : après l'attentat d'Arras, la sécurité à l'école en question

écoles forteresses Après l’attaque terroriste d'Arras perpétrée vendredi, le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal a annoncé vouloir "aller plus loin" dans la sécurisation des établissements scolaires. Si certains collèges et lycées ont déjà opté pour des mesures plus drastiques comme des détecteurs de métaux ou des systèmes d'alarme, ces dispositifs peinent à faire leurs preuves.  Un policier patrouille devant le lycée Gambetta lors de son évacuation après une alerte à la bombe, à Arras, le 16 octobre 2023, trois jours après qu'un enseignant a été tué lors d'une attaque au couteau. "Nous serons au rendez-vous pour assurer votre sécurité", a assuré au corps enseignant la Première ministre Élisabeth Borne, samedi 14 octobre, au lendemain de la mort de Dominique Bernard, professeur assassiné devant son établissement scolaire par un ancien élève radicalisé, trois ans quasiment jour pour jour après l'assassinat de Samuel Paty. "On n'enseigne pas dans l'angoisse, on n'apprend pas la peur au ventre. Toutes les forces de sécurité intérieures sont mobilisées." La promesse avait déjà été formulée la veille par le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, et accompagnée d'une première série de mesures. Depuis vendredi soir, le passage de la France en alerte "urgence attentat", le niveau le plus élevé du dispositif de sécurité Vigipirate, impose de "renforcer la surveillance et le contrôle aux abords des établissements scolaires", selon un document de la Police nationale, avec la possibilité de vérifier les identités et de fouiller les véhicules. Dans l'enceinte même des établissements, les personnels sont quant à eux appelés à "renforcer leur vigilance" dans l'accès aux lieux. "Renforcer les mesures de sécurité dans les établissements scolaires en ce moment, étant donné le contexte général, est quelque chose de nécessaire", réagit Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa, l'un des principaux syndicats enseignants. "D'autant plus que cette journée de lundi était marquée par les rassemblements et hommages. Toutes les précautions étaient donc bonnes à prendre." Des dispositifs de sécurité variables Mais derrière ces mesures exceptionnelles, une question est dans toutes les têtes : la sécurisation habituelle des établissements est-elle suffisante ? Depuis 2015, toutes les écoles, collèges et lycées ont mis en place des dispositifs de sécurité. Un guide destiné aux directeurs d'école préconise, par exemple, "d'afficher les consignes de sécurité à l’entrée de l’école et de les diffuser le plus largement possible", "d'organiser l'accueil à l'entrée" ou encore de "vérifier systématiquement l’identité des personnes étrangères aux lieux".    Dans les faits, sur le terrain, cette sécurisation passe – a minima – par un filtrage des entrées et sorties des établissements. Les élèves doivent montrer une carte ou un carnet de liaison pour rejoindre la cour de récréation tandis que les parents ou autres adultes extérieurs doivent passer par la loge d'un gardien ou un bureau administratif pour pouvoir accéder aux locaux. Depuis 2010, chaque académie s'est par ailleurs dotée d'équipes mobiles de sécurité composées de gendarmes, policiers et membres du personnel chargés de lutter contre la violence scolaire.  Mais d'autres établissements vont plus loin, ajoutant à ces filtrages des interphones, des caméras, voire des portiques détecteurs de métaux. "Tout dépend des collectivités et des décisions politiques locales", détaille Jérôme Fournier. "Car toutes ces mesures ont un coût qu'il faut pouvoir assumer." En France, avec la décentralisation, les écoles sont gérées par les municipalités, les collèges par les départements, et les lycées par les régions. Si ces mesures sont pour le moment cantonnées à quelques collèges et lycées, Gabriel Attal envisage désormais de les généraliser. "Il y a plein de pistes [pour améliorer la sécurité des écoles], plein de solutions qui sont sur la table. Des établissements mettant en place des portiques, de la vidéosurveillance, mobilisant des vigiles. Il n'y a aucun tabou. On avancera avec les collectivités locales sur ces questions", a-t-il assuré dimanche sur le plateau de TF1. Aux États-Unis, le bilan en demi-teinte des écoles forteresses  "Mais il faut être conscient que nous ne parviendrons jamais à avoir une protection totale de nos établissements scolaires, ni des enseignants. Une école, un collège ou un lycée, c'est grand. Ça ne pourra jamais être 100 % étanche", insiste Jérôme Fournier. "Et ce n'est pas souhaitable, l'école ne peut pas devenir un bunker !"  "Il ne faut pas tomber dans une forme de techno-solutionnisme", abonde de son côté Éric Debarbieux, professeur émérite à l'université Paris Créteil et spécialiste des questions de violence à l’école. "Les outils de sécurisation qui se sont multipliés à l'école – vidéosurveillance, portiques – n'ont jusqu'ici pas prouvé leur efficacité, au contraire." Preuve en est, selon lui, les fusillades dans les écoles américaines qui viennent régulièrement faire la une de l'actualité. Depuis plusieurs années, en réaction à ces violences, les établissements scolaires ne cessent de se barricader. Selon une vaste étude menée à l'échelle nationale, publiée en janvier et relayée par The New York Times, environ deux tiers des écoles américaines sondées contrôlent aujourd'hui l'accès à leurs terrains – deux fois plus qu'en 2017. Et 43 % d'entre elles sont aussi aujourd'hui dotées d'un "bouton de panique", une sorte d'alarme silencieuse qui alerte directement la police en cas d'urgence, contre 29 % il y a cinq ans.   Plus frappant encore, certains lycées américains n'hésitent désormais plus à se protéger derrière de vastes clôtures et des portes sécurisées. D'autres (3 %) vont jusqu'à armer leurs enseignants.  Pourtant, ces investissements massifs n'ont pas fait chuter le nombre d'incidents dans les collèges et lycées américains. D'après la K-12 School Shooting Database, une base de données indépendante, 271 incidents armés ont eu lieu dans des écoles américaines en 2023, tuant ou blessant 199 personnes. Un chiffre en constante augmentation : on en dénombrait 40 en 2015, et 115 en 2020.  "Ces mesures matérielles peuvent même apporter leur lot de problèmes", insiste Éric Debarbieux. "Par exemple, le passage par le détecteur de métaux ralentit l'entrée des élèves dans l'établissement. Cela entraîne donc parfois de longues files d'attente et les enfants deviennent une cible facile." "Sur le plan social, aussi, cela peut avoir de graves conséquences. Aux États-Unis, plusieurs études scientifiques ont montré que l'abondance de mesures sécuritaires peut créer une fracture entre l'école et le quartier où elle se trouve et donc entre l'école et les habitants. Cela rompt les liens", poursuit-il.  Miser sur toujours plus de prévention Pour Jérôme Fournier, au-delà des dispositifs de sécurisation, l'accent devrait ainsi être davantage mis sur la prévention. "Nous ne parviendrons pas à empêcher les intrusions mais nous pouvons mieux les gérer, être toujours plus réactifs", insiste-t-il. "Et pour cela, il faut que chaque adulte et chaque élève sachent exactement quoi faire en cas de problème. Les procédures doivent être connues sur le bout des doigts par tous."  Le syndicaliste, lui-même professeur d'histoire-géographie, appelle donc à renforcer les exercices anti-intrusion déjà régulièrement organisés dans les écoles, pendant lesquels élèves et personnel apprennent à se barricader dans les classes sans faire de bruit – procédure d'ailleurs mise en place vendredi dans la cité scolaire d'Arras lors de l'attentat contre Dominique Bernard. "Cela nous a montré que c'était la meilleure protection", termine-t-il. "Et c'est cela qui nous permet de rassurer nos élèves : ils deviennent acteurs de leur sécurité." Un constat que partage Éric Debarbieux, qui rappelle par ailleurs que 95 % des violences à l'école viennent de l'intérieur même des établissements. "Cette prévention doit aussi avoir lieu dans les salles de classe à travers l'enseignement et la lutte contre les discriminations, le racisme, la LGBT-phobie", conclut-il. "Car si les événements comme l'attentat d'Arras restent heureusement exceptionnels,le harcèlement scolaire et les agressions verbales ou physiquesdans les établissements, eux, restent trop fréquents."

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