"Nous ne voulons pas d'une audience aseptisée" : au procès du 13-Novembre, l'épineuse question de la diffusion de photos et de sons du Bataclan
"Nous ne voulons pas d'une audience aseptisée" : au procès du 13-Novembre, l'épineuse question de la diffusion de photos et de sons du Bataclan
La cour d'assises a tranché : trois extraits sonores et des images des attaques contre la salle de concert seront diffusées en début d'audience ce vendredi. Le sujet a divisé les avocats des parties civiles.
"Je ne pensais pas qu'il y aurait un débat". Un peu gêné, Me Jean-Marc Delas, avocat de l'association Life for Paris, s'est avancé à la barre, jeudi 31 mars, devant la cour d'assises spéciale de Paris. Il est venu plaider la demande de l'association de victimes qui souhaite diffuser, au procès des attentats du 13-Novembre, trois extraits sonores d'un dictaphone resté allumé pendant les attaques du Bataclan et une cinquantaine de photos de l'intérieur de la salle de concert.
Les parties civiles se sont montrées divisées sur le sujet. Pourtant, a rappelé Jean-Marc Delas, "il n'existe pas un procès d'assises dans lequel on ne montre pas les scènes qui sont au cœur du sujet, même si c'est douloureux, morbide, affreux". Mais les familles endeuillées craignent que la dignité de leurs proches ne soit atteinte "et ne veulent pas qu'on les montre dans une position insoutenable", a insisté Me Aude Rimailho, qui a noté que les avis des victimes qu'elle représente étaient divergents.
Même constat pour Jean Reinhardt, avocat de l'association 13Onze15, qui accompagne plus de 100 parties civiles, très divisées sur la question. Certaines sont "pour pour, d'autres pour contre, contre pour ou contre contre", résume-t-il avec une pointe d'humour. Lui craint surtout la réactivation des traumas. Deux extraits sonores issus du même dictaphone, avaient été diffusés au début du procès. L'un d'eux a provoqué chez une victime, qui suivait le procès sur le webradio,"un choc psychologique profond", à tel point qu'elle a dû reprendre "les séances EMDR [une technique de thérapie], est retournée chez le psy et a arrêté tout contact avec le procès".
Crainte de fuites "dans la presse ou sur le web"
Ce débat de près de deux heures montre une nouvelle fois l'aspect "hors-normes" de ce procès, au cours duquel on n'a toujours pas vu de photos de l'intérieur du Bataclan, alors qu'il s'agit de la principale scène de crime : 90 personnes y sont mortes sur 130 victimes au total. Fait d'autant plus étrange que les photos des terrasses ont, elles, été projetées lors des précédentes audiences.
Mais les précautions prises vis-à-vis des victimes, face à la vision d'horreur des corps empilés dans la fosse, ont primé jusqu'ici sur cette diffusion, ce que regrette Me Cosima Ouhioun, qui trouve "infantilisant" de penser que ses deux clients, rescapés du Bataclan, ne seraient pas en mesure d'affronter ces éléments visuels et sonores. "Si la cour choisit de diffuser, elle laissera le choix aux victimes de voir ou ne pas voir. Faire le choix de ne pas diffuser, c’est ne leur en donner aucun", résume Me Daphné Pugliesi.
Camille Hennetier, avocate générale du Parquet national antiterroriste (PNAT), pointe quant à elle les risques de captation des images ou de la bande sonore lors des audiences, ce qui serait "inconcevable pour les victimes", insiste Me Aude Rimalho. Elle représente les parents d'une jeune femme de 30 ans, décédée au Bataclan, qui s'opposent à la diffusion de l'enregistrement sonore "car ils ne veulent pas qu'on entende les derniers instants de leur fille".
"Parfois la violence, il faut la voir"
Mais la plupart des avocats ayant pris la parole ce jeudi après-midi se sont montrés très favorables à la diffusion de ces différents éléments. "On le sait, ce sera une épreuve dans l'épreuve, mais il est inconcevable sur dix mois de procès que les crimes commis ne soient pas montrés", a lancé Géraldine Berger-Stenger, représentante de l’Association française des victimes de terrorisme (AFVT).
Plusieurs de ses confrères et consoeurs insistent sur la nécessité de ne pas édulcorer le procès. "On ne peut pas faire l'économie de ce fragment de réel qu'est un enregistrement sonore. Parfois la violence, il faut la voir, pour avoir autre chose qu'une reconstitution imaginaire ou symbolique", a ainsi argumenté Me Véronique Truong, avocate de deux rescapés du Bataclan.
Me Méhana Mouhou a rappelé que les mêmes questions s'étaient posées au moment du procès des attentats de Toulouse en 2017. En première instance, il avait été décidé de ne pas montrer les images issues de la GoPro de Mohamed Merah, qui avait filmé ses tueries. Les mêmes questions se poseront en septembre, pour le procès des attaques de Nice, a-t-il rappelé. Que faudra-t-il montrer du passage de "ce camion qui a déchiqueté des corps entiers" ? "Votre décision va être importante monsieur le président", a prévenu Me Mouhou avant la suspension de séance jeudi, en fin d'après-midi.
Après un délibéré d'une trentaine de minutes, Jean-Louis Périès a tranché : les photographies et la diffusion des extraits sonores seront bien diffusées ce vendredi, en début d'audience. Le président assure que des mesures de précaution seront renforcées pour éviter les fuites et a appelé les gendarmes à avoir une grande vigilance pour que des photos ne soient pas prises.