"Lutter contre le streaming illicite, c'est protéger le fait culturel sportif", assure le député Cédric Roussel
Le nouvel épisode d'une bataille qui dure depuis des années. L'Assemblée nationale a adopté, mercredi 29 septembre, le projet de loi relatif à la régulation et la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique. En son cœur, un dispositif anti-piratage sportif qui vise avant tout les sites illégaux. Cédric Roussel, député LREM de la 3eme circonscription des Alpes-Maritimes (06), porteur du dispositif, décortique son fonctionnement, l'écosystème des droits télévisés, et l'idée de fait culturel sportif.
Franceinfo: sport : Pourquoi créer un arsenal législatif contre le streaming illégal d'événements sportifs ?
Cédric Roussel : La mesure part d'un diagnostic que tout le monde partage : il y a une recrudescence du nombre de pirates et de consommateurs de sites illicites de streaming de retransmission sportive. Tout le sens du dispositif est de s'attaquer à cette filière illicite, sur le plan économique et pratique, puisque la plupart de ces sites sont hébergés à l'étranger, en dehors du territoire français. Le but est de couper leur flux de diffusion sur le sol français et vers des consommateurs en France.
On parle d'une retransmission sportive en direct, dont la valeur économique pour les ayants droits est basée sur le fait que ce soit en direct, ce qui fait tout le charme du sport. L'idée est donc d'avoir un dispositif réactif, pour agir non pas après le match, mais avant, ou du moins le plus rapidement possible. Ce dispositif est nécessaire puisqu'on s'est aperçu, avec la crise Mediapro et la crise économique, qu'il y a une "télédépendance" assez importante du monde du foot et du modèle économique des clubs.
Comment va fonctionner, concrètement, le dispositif ?
L'idée est de permettre aux ayants droits, que ce soient les ligues professionnelles ou les diffuseurs, de pouvoir agir en amont, en demandant une ordonnance dynamique auprès du juge, pour identifier et faire connaître les sites sur lesquels il y a une retransmission. L'ordonnance est valable sur une période de 12 mois, elle permet donc, en s'appuyant sur une nouvelle organisation, l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) de notifier également des sites miroirs, qui apparaitraient en duplication après le blocage de certains sites. L'Arcom va devenir le tiers de confiance vers lequel les ayant droits vont pouvoir se tourner. C'est en cela que cette ordonnance est dynamique, elle permettra de lutter contre les sites déjà identifiés, et les sites miroirs.
Le principe est donc de couper le tuyau d'alimentation de retransmission des sites illégaux en France, avec l'intervention d'un tiers de confiance qui pourra agir auprès des hébergeurs, des fournisseurs d'accès à internet et aussi des réseaux sociaux, pour demander le blocage de référencement des sites concernés.
Le dispositif sera-t-il efficace contre le phénomène d'IPTV, qui ne cesse de se répandre ?
L'IPTV est un boitier très confortable pour le consommateur, qui agit comme une box et qui évite toute manipulation pour aller chercher les sites. Là, il faut la chose la plus inconfortable possible. Ces boitiers diffusent des flux, ils seront donc aussi concernés si les flux sont coupés, ils ne pourront plus diffuser. C'est un phénomène qui sera pris en compte, tout comme les retransmissions illicites qui peuvent avoir lieu au travers d'une duplication sur les réseaux sociaux. Le dispositif couvre toutes les possibilités d'utilisation et de lutte contre le streaming illégal, quelque soit son origine.
Pourquoi s'attaquer aux sites de streaming illicite plutôt qu'aux utilisateurs et aux raisons qui les poussent à se tourner vers le streaming ?
C'est une manière de s'attaquer au problème, mais ce n'est pas la seule et unique. Le streaming illégal est un fléau qui appelle plusieurs responsabilités. On est dans la même préoccupation qu'il y a quelques années au sujet des œuvres cinématographiques et musicales. J'ai toujours considéré que le spectacle sportif était un fait culturel et qu'il fallait lui donner les mêmes moyens. Il se doit d'avoir les mêmes outils de lutte.
Il n'empêche qu'il faut s'attaquer aux origines du mal, et il y en a plusieurs. On peut devenir consommateur illicite par le fait que la technologie est tellement conviviale qu'on n'a pas l'impression d'être dans l'illégalité. Après, on l'a vu avec Mediapro, la crise et les difficultés économiques, il y a une logique commerciale. Les ayants droits commercialisent un produit avec une offre appréciée selon la qualité et le prix, qui rentre en compte dans les choix des consommateurs. On voit également que la multiplicité de l'offre est un facteur. Et il faut prendre en compte un fait qui n'est pas nouveau : il y a moins de sport en clair à la télé.
Cette offre sportive payante que le streaming illicite cherche à contourner rentre aussi dans une logique de budgets et de moyens pour le financement du sport…
Il faut se rappeler que les droits télévisuels donnent lieu à une solidarité entre le sport professionnel et le sport amateur. Les droits sportifs irriguent en premier lieu les clubs professionnels et les fédérations sportives, mais aussi le budget du sport, à travers la taxe Buffet (instaurée en 2000, permet de financer le sport amateur selon un mécanisme de solidarité avec le sport professionnel). La part fléchée vers l'Agence nationale du sport représente par exemple 20 à 30 millions d'euros. Tout ce qui échappe aux droits télévisés, c'est de l'argent en moins pour le financement du sport de manière plus large, qu'il soit professionnel et amateur. Il s'agit donc de protéger le fait culturel sportif, mais aussi les finances de notre pays.
Selon vous, ce dispositif va conforter la valeur des droits télévisés de la Ligue 1 par exemple, dévalorisés après l'affaire Mediapro ?
Les solutions apportées vont permettre une plus grande attractivité de notre championnat pour des investisseurs qui souhaitent s'engager dans la retransmission des rencontres, ça va les conforter. Maintenant, il y a aussi plus largement une volonté politique, que le sport puisse s'exposer le plus largement possible, qu'il y ait le plus grand nombre de consommateurs licites. Cela représente un travail d'adaptation de la part de l'ensemble des acteurs. Parce qu'on parle encore de droits télévisés, mais aujourd'hui, les usagers les plus jeunes n'ont pas forcément la télé comme canal de diffusion.
C'est aussi pour ça que vous avez lancé une grande consultation citoyenne sur les habitudes de consommation du public ?
Oui, elle rentre dans le cadre de la mission d'information parlementaire sur les droits sportifs audiovisuels, dont je suis le rapporteur. Je souhaitais aussi entendre les consommateurs, qui sont aussi partie prenante, sur leur usage, leur niveau de consommation, leur approche vis-à-vis du spectacle en dehors de l'écran, savoir s'ils vont au stade par exemple. Je souhaite à travers cette grande consultation que les Français participent à la rédaction de ce rapport. C'est aussi à partir du ressenti des spectateurs qu'on va pouvoir établir des pistes pour qu'il y ait à nouveau un bon équilibre.