Loi immigration : le gouvernement face au risque de fracture de sa majorité
COMPROMIS IMPOSSIBLE ?
Le gouvernement tente de négocier avec Les Républicains un compromis sur le projet de loi immigration qui soit acceptable pour sa majorité, et en particulier pour son aile gauche qui entend ne pas renier ses valeurs et pourrait voter contre un texte qu’elle jugerait trop proche de l’extrême droite.
Le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale et chef de file de l'aile gauche de la majorité présidentielle, Sacha Houlié, s'exprime au Palais Bourbon, le 7 décembre 2023, sous le regard du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.
Se rapprocher des positions de la droite sans prendre le risque de fracturer sa majorité. En choisissant d’envoyer le projet de loi immigration en commission mixte paritaire (CMP) lundi 18 décembre, le gouvernement est contraint d’avancer sur une ligne de crête difficile à tenir pour parvenir à un accord avec les parlementaires Les Républicains (LR).
Après la motion de rejet votée le 11 décembre à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron et sa Première ministre, Élisabeth Borne, ont préféré accélérer en convoquant une CMP. Mais le projet de loi immigration n’ayant pas été examiné par les députés, les quatorze parlementaires – sept députés et sept sénateurs – qui négocieront lundi à partir de 17 h auront comme base de travail la version votée au Sénat.
Une copie largement durcie par la droite LR lors de son examen en novembre à la Chambre haute : suppression du droit à la régularisation des travailleurs sans papiers des métiers en tension, suppression de l’aide médicale d’État (AME), resserrement des critères du regroupement familial, durcissement du droit du sol ou encore conditionnement des allocations familiales et de l'aide au logement (APL) à cinq ans de résidence pour les étrangers.
Or, les dirigeants LR, Éric Ciotti en tête, ont été clairs : la CMP devra entériner "tout le texte du Sénat, rien que le Sénat". Une position sans concession qui fait tiquer l’aile gauche de la majorité, pour laquelle il est inconcevable de voter en faveur d’un texte aussi dur.
"On part sur des bases qui me semblent assez déséquilibrées. Le texte du Sénat n’a gardé que les aspects qui associent l’immigration à un danger et a ajouté des mesures type 'préférence nationale' clairement inspirées du programme du Rassemblement national. Pour ma part, je voterai contre si nos lignes rouges ne sont pas respectées et je ne suis pas toute seule à tenir ce discours", confie à France 24 la députée Renaissance Caroline Janvier.
"Entre un texte de droite et un texte d’extrême droite, un pas à ne pas franchir"
"Je suis capable de voter contre", affirme également la députée Renaissance Stella Dupont, contactée par France 24. "Que le texte soit à droite, bien entendu, il est évident que ça va être le cas. Mais entre un texte de droite et un texte d’extrême droite, il y a un pas à ne pas franchir. Le texte du Sénat stigmatise les étrangers. On est très loin de l’esprit républicain de notre pays, de nos valeurs de fraternité. J’ai refait hier soir [jeudi] la liste de toutes les horreurs présentes dans le texte avec la Première ministre. Ce serait une faute politique de voter un tel texte. Les Français ne pourraient pas le comprendre."
Un certain nombre de lignes rouges ont été fixées par les députés Renaissance lors d’une réunion du groupe mercredi soir : maintien de l'AME, interdiction de placer en centre de rétention des mineurs de moins de seize ans, pas de restriction du droit du sol, retrait de l'article qui conditionne le bénéfice de certaines aides sociales à cinq années de résidence en France.
En revanche, un recul notable sur la régularisation des travailleurs sans papiers pourrait être consenti. Dans le texte voté au Sénat, la mesure est remplacée par une possibilité, et non plus un droit, d’être régularisé, les dossiers étant traités au cas par cas à la discrétion des préfets. La majorité espère trouver un compromis et se dit prête à laisser un droit de veto au préfet, mais insiste pour que l’initiative reste à la main du salarié.
"Il faut quand même que la mesure apporte quelque chose et qu’elle ne soit pas une régression par rapport au droit existant et à la circulaire Valls, souligne Stella Dupont. L’initiative du salarié est fondamentale pour nous, c’est un point majeur."
"Pas prêts à sacrifier notre identité politique"
Le président de la commission des lois, le député Renaissance Sacha Houlié, figure de cette aile gauche de la majorité, présidera la CMP. Il avait signé une tribune, avec Stella Dupont notamment, mais aussi des élus de la gauche, parue dans Libération en septembre et appelant à régulariser les travailleurs sans papiers des secteurs en tension. Jeudi matin, il reconnaissait sur France 2 que les discussions avec LR sont "âpres" et "difficiles" et que la majorité tenterait de sauvegarder la mesure concernant les travailleurs sans papiers "dans la mesure du possible".
À l’image de plusieurs de ses collègues, il pourrait ne pas voter le texte issu de la CMP. C’est du moins ce que laissaient entendre ses propos sur France 2 : "Il y a deux rôles que je joue et qui sont distincts. (…) Il y a le président de la commission des lois qui préside la commission mixte paritaire qui doit constater si oui ou non il y a un accord entre le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale et le groupe Les Républicains, majoritaire au Sénat, sur ce texte. Ensuite, il y a le parlementaire lorsque le texte de la CMP sera connu. Ces deux rôles vont être exercés de façon tout à fait différente", a-t-il affirmé.
Une chose est certaine : l’aile gauche de la majorité entend rester fidèle à ses valeurs. "Un vote, ça nous engage chacun personnellement avec notre histoire, nos combats politiques. On est un certain nombre à ne pas être prêts à sacrifier notre identité politique au prix de ce texte. Il y a des moments où il faut reconnaître qu’on a perdu", estime Caroline Janvier.
"La sagesse doit l’emporter chez tout le monde, ajoute Stella Dupont. Nos représentants à la CMP devront être dans une logique d’échange, mais sans perdre le fil de nos marqueurs politiques. Soit on parvient à sortir un texte acceptable pour tout le monde, soit il faut acter un échec de la CMP."
Au-delà du projet de loi immigration, c’est un test majeur que vit la majorité présidentielle, qui n’a jamais été aussi divisée, selon un "marcheur" de la première heure qui constate une divergence de lignes entre les députés de 2017 et les nouveaux arrivants de 2022, pour beaucoup issus de la droite. La CMP de lundi pourrait donc avoir des conséquences inédites sur l’avenir du groupe Renaissance, dont l’unité est plus que jamais menacée.