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Loi Immigration : chronique d’une majorité politique introuvable

LIMITES DU "EN MêME TEMPS" Les députés ont adopté lundi une motion de rejet présentée par les écologistes, retoquant le projet de loi Immigration avant même son examen à l’Assemblée nationale. Le résultat d’une stratégie de l'exécutif consistant à rechercher une majorité politique introuvable pour un texte par nature clivant sur lequel s’opposent droite et gauche. Coup d’arrêt pour la loi Immigration de Gérald Darmanin. La motion de rejet présentée par les écologistes, lundi 11 décembre à l’Assemblée nationale, a été approuvée par 270 voix contre 265, empêchant son examen dans l’Hémicycle alors qu’il avait été voté – dans une forme très durcie – en novembre au Sénat. La motion de rejet a été soutenue, en plus des élus de gauche, par les députés Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN). Le gouvernement a désormais trois options : le retrait complet du texte, son renvoi en seconde lecture au Sénat ou la convocation d’une commission mixte paritaire. Quoi qu’il décide, il s’agit d’ores et déjà d’un échec politique pour Gérald Darmanin, qui n’a cessé de courtiser la droite depuis des mois dans le but d’obtenir une majorité, allant jusqu’à se satisfaire d’une large réécriture de son projet de loi voté dans un Sénat contrôlé par LR. Problème : les rapports de force ne sont pas les mêmes à l’Assemblée nationale. L’aile gauche de la majorité présidentielle et les députés de gauche – du Parti socialiste (PS), d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), du Parti communiste (PCF) et de La France insoumise (LFI) – ont d’abord détricoté en commission, du 27 novembre au 2 décembre, la plupart des mesures introduites par la droite au Sénat. Si bien que le texte présenté lundi après-midi dans l’Hémicycle ne ressemblait plus vraiment à celui voté au Sénat, au grand désarroi de LR. "On demande au président de la République de revoir sa copie. (...) Le gouvernement, s'il veut reprendre ce texte, est obligé de repartir de la version durcie par le Sénat", a affirmé le président du groupe LR, Olivier Marleix, après ce coup de théâtre au Palais Bourbon. Des divisions jusque dans la majorité En subissant la première motion de rejet adoptée par l’Assemblée nationale depuis sa création en 2019, le gouvernement touche ainsi aux limites du "en même temps" prôné par Emmanuel Macron depuis 2017. Ce qui était possible lors du premier quinquennat, avec une majorité absolue, ne l’est plus désormais avec une majorité relative et des oppositions renforcées. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’une loi Immigration dont l’origine est avant tout politique et à chercher dans la volonté du gouvernement de ne pas laisser à l’extrême droite une thématique sur laquelle elle prospère. "Le président de la République a estimé qu’il était nécessaire de répondre à ce qu’il pense être une demande de l’opinion face à la multitude d’événements qui, dans l’actualité, ont mis en exergue les questions d’immigration. D’où la volonté de l’exécutif de montrer aux citoyens qu’il est à l’initiative et qu’il agit", analyse le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof. Résultat : pour satisfaire les 72 % de Français jugeant nécessaire un meilleur contrôle de l’immigration, selon un récent sondage Odoxa pour Public Sénat et la presse régionale, le projet de loi possède une jambe droite davantage musclée que sa jambe gauche. Mais pas suffisamment pour satisfaire la droite et l’extrême droite, qui entendent supprimer l’aide médicale d’État (AME) et ne veulent absolument pas entendre parler de régularisation des travailleurs sans papiers. Et beaucoup trop pour la gauche, pour qui cette éventuelle régularisation ne suffit pas à faire oublier les restrictions d’accès au titre de séjour pour soins, le durcissement du regroupement familial ou l’instauration d’un débat annuel sur les quotas migratoires. Enfin, et c’est peut-être la donnée la plus importante pour Gérald Darmanin, même la Macronie se divise sur ce texte. L’aile gauche de Renaissance, emmenée notamment par le président de la commission des lois Sacha Houlié, n’a pas digéré les concessions faites au Sénat par leur ministre de l’Intérieur, en particulier sur l’AME, la régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension ou le délit de séjour irrégulier – supprimé depuis en commission. "Nous avons des lignes rouges", déclarait-il dimanche dans Les Échos. "Il serait irresponsable d'aller au-delà de notre ADN politique (...). L'adoption du texte ne peut se faire au prix d'une division de la majorité", prévenait-il. "Un sujet qui fait apparaître les contradictions du macronisme" "Il est très difficile d’obtenir du consensus sur l’immigration, qui génère beaucoup de diversité de points de vue et un clivage net entre droite et gauche, observe Bruno Cautrès. Il y a eu beaucoup d’hésitations durant des mois de la part du gouvernement. Le dosage était trop difficile à trouver car c’est typiquement le genre de sujet où les contradictions du macronisme peuvent apparaître." Les contorsions du ministre de l’Intérieur, notamment, ont marqué les esprits. Capable un jour de se satisfaire du texte voté au Sénat alors qu’il ne ressemblait en rien au projet de loi présenté initialement, et un autre d’applaudir des deux mains la version largement remaniée en commission de l’Assemblée nationale. Pour Gérald Darmanin, qui espérait accrocher à son tableau une loi Immigration, comme l’avait fait en son temps son mentor Nicolas Sarkozy, une motion de rejet est un échec politique. Sommé par la Première ministre Élisabeth Borne de trouver une majorité, il sait que le passage d’une motion de rejet est presque plus dommageable encore qu’un recours au 49.3 pour faire adopter le texte. "C’est un échec car il n’a cessé de dire qu’il trouverait une majorité. Il a beaucoup misé sur ses contacts directs avec ses anciens camarades LR et sur le fait qu’une partie des députés LR disait que le texte allait dans le bon sens, souligne Bruno Cautrès. Cette motion de rejet entame son capital politique et l’image qu’il voulait avoir de quelqu’un qui a le sens des négociations." Mais ce rejet de la loi Immigration à l’Assemblée nationale est avant tout gênant pour l’exécutif dans son ensemble et en particulier pour Élisabeth Borne, qui risque, si elle compte adopter ce texte malgré tout, de devoir utiliser une nouvelle fois le 49.3, soit le 21e en un an et demi à Matignon. De quoi poser un sérieux problème politique, notamment après son utilisation controversée au printemps sur la réforme des retraites.

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