Durcir, choisir, restreindre : en France, une trentaine de lois immigration en 40 ans
L’examen de la loi immigration de Gérald Darmanin débute lundi au Sénat. Ce nouveau texte législatif vise à restreindre l’immigration en France et à faciliter les expulsions, tout en régularisant les sans-papiers travaillant dans les "métiers en tension". Une philosophie en phase avec la trentaine de lois immigration votées en France ces quarante dernières années.
S’agit-il d’une maladie française ? Avec une trentaine de lois portant sur l’immigration en quarante ans, les gouvernements français, de droite comme de gauche, n’ont cessé de légiférer dans le but de réduire les flux migratoires vers la France. Emmanuel Macron n’échappe pas à la règle : après une loi asile et immigration portée par son ministre de l’Intérieur Gérard Collomb lors de son premier quinquennat, c’est Gérald Darmanin qui présente un nouveau projet de loi, dont l’examen débute lundi 6 novembre au Sénat.
La question migratoire est devenue centrale dans le débat politique et médiatique français depuis le début des années 1980. Cela coïncide avec la montée du Front national, parti d’extrême droite fondé par Jean-Marie Le Pen qui accuse les étrangers d’être la cause principale de la hausse du chômage dans le pays.
Dans ce contexte, les gouvernements successifs ont voulu montrer qu’ils prenaient le sujet au sérieux et ont mis le doigt dans un engrenage législatif qu’il ne semble plus possible d’arrêter. Avec toujours une même ligne directrice : durcir les dispositifs et les conditions d’accueil.
Le premier levier que l’État peut activer pour restreindre l’immigration concerne les arrivées légales, et en particulier celles concernant l’immigration familiale, qui constitue à partir des années 1970 la majorité des arrivées.
Ainsi, alors qu’un immigré présent légalement en France pouvait jusqu’en 1984 demander la régularisation de sa famille arrivée, elle, illégalement, il ne le peut plus après le passage de la loi Defferre cette année-là. Deux ans plus tard, la loi Pasqua accroît les formalités et les conditions à remplir pour entrer en France, notamment en exigeant des étrangers un document relatif à ses "moyens d’existence", tout en limitant l’attribution de plein droit de la carte de résident. Les conjoints de Français, notamment, n’obtiennent plus immédiatement la carte de résident : leur mariage doit avoir au moins un an d’ancienneté. Et si l’attribution d’une carte de résident de dix ans devient possible de plein droit au bout de dix ans et non plus 15 ans comme auparavant, ces dix années sur le sol français doivent désormais avoir été passées en situation régulière (par exemple après avoir renouvelé un titre de séjour d’un an pendant dix ans).
En 1993, une nouvelle loi Pasqua durcit encore davantage les conditions d’accueil des familles d’immigrés. Alors qu’un étranger devait attendre un an avant de pouvoir faire une demande de regroupement familial, il doit désormais attendre deux ans – cette durée sera ramenée à un an en 1998 par la loi Chevènement puis rallongée à un an et demi en 2006 par la loi Sarkozy II. La loi Pasqua de 1993 exige également de l’étranger désirant faire venir sa famille en France un revenu au moins égal à un smic (le salaire minimum). Dix ans plus tard, la loi Sarkozy I précise que les prestations familiales ne doivent pas être prises en compte dans ce revenu. Puis la loi Hortefeux, en 2007, ajoute que le revenu minimum demandé peut être de 1,2 smic en fonction de la taille de la famille.
Brice Hortefeux est alors à la tête du tout nouveau ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale créé par Nicolas Sarkozy après son élection à l’Élysée. Il ajoute des conditions d’intégration pour pouvoir faire venir sa famille : le niveau de français est évalué, de même que la connaissance des valeurs de la République.
En parallèle de toutes ces mesures se développe l’idée d’une immigration "à la carte" ou "choisie" concernant la main d’œuvre. Cela commence dès 1980 et la loi Bonnet, qui permet de refuser le renouvellement de l’autorisation de travail si les chiffres du chômage ne sont pas bons. Le virage est surtout opéré lors des années 2000. La loi Sarkozy II de 2006 crée une carte de séjour "compétences et talents" ainsi qu’une carte d’un an renouvelable permettant de travailler – déjà – dans les secteurs en tension. La loi Cazeneuve de 2016 crée quant à elle le "passeport talent", tandis que la loi Collomb de 2018 l’étend aux "salariés d’entreprises innovantes" et favorise la mobilité des étudiants étrangers vers la France.
Au-delà de l’immigration légale, les gouvernements successifs entendent démontrer leur fermeté en s’attaquant à l’immigration illégale. Et si la gauche a par deux fois régularisé massivement des sans-papiers – 130 000 en 1981 et 80 000 en 1998 –, les quatre dernières décennies sont surtout marquées par une machine répressive qui se met officiellement en marche en 1980 avec la loi Bonnet. Celle-ci légalise les expulsions de sans-papiers et leur maintien dans des centres de rétention administrative (CRA) avant qu’elles n’aient lieu.
La durée de rétention est fixée à sept jours en 1981 par la loi Defferre et n’a cessé d’être allongée depuis. Elle est ainsi portée à dix jours en 1993 par la loi Pasqua, à 12 jours en 1998 par la loi Chevènement, à 32 jours en 2003 par la loi Sarkozy I, à 45 jours en 2011 par la loi Besson et à 90 jours en 2018 par la loi Collomb.
En parallèle, le contrôle d’identité prend toujours plus de place. La loi Peyrefitte de 1981 instaure le contrôle d’identité préventif permettant aux policiers de demander ses papiers à n’importe quelle personne croisée dans la rue, officiellement "pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment une atteinte à la sécurité des personnes ou des biens", mais en réalité utilisé pour faire la chasse aux sans-papiers. La loi Debré de 1997 permet le recueil dans un fichier de police des empreintes digitales des étrangers. La loi Sarkozy I de 2003 y ajoute le recueil des photos des étrangers. La loi Cazeneuve de 2016 étend le contrôle de la régularité du séjour des étrangers en France grâce à la possibilité pour les préfectures d’obtenir la transmission d’informations émanant de la CAF ou des écoles notamment. La loi Collomb de 2018 crée un fichier biométrique des mineurs isolés étrangers.
Les gouvernements réduisent par ailleurs l’accès aux soins des sans-papiers. Alors que ces derniers disposaient depuis 1945 de la même couverture médicale universelle que n’importe quel Français, ils doivent se tourner à partir de 1993 vers l’Aide médicale départementale (AMD) réservée aux soins hospitaliers.
En 1999, le gouvernement de Lionel Jospin crée la Couverture médicale universelle (CMU) pour les Français et les étrangers en situation régulière, ainsi que l’Aide médicale d’État (AME) pour les étrangers en situation irrégulière. L’AME donne accès à un panier de soins limité. En 2003, un délai de trois mois de résidence ininterrompue en France est exigé pour pouvoir en bénéficier, sauf pour les urgences vitales ou les naissances. En 2011, un droit d’entrée de 30 euros est instauré pour bénéficier de l’AME – finalement supprimé en 2012.
En revanche, alors que les sans-papiers arrêtés ont longtemps risqué la prison, des amendes et une interdiction d’entrée sur le territoire français, ce n’est plus le cas depuis 2012.
Autre porte d’entrée en France pour les étrangers, le droit d’asile ou le statut de réfugié sont demandés par un nombre toujours plus important d’étrangers, en particulier à partir des années 2000. Les guerres en Afghanistan, en Irak, au Soudan, au Soudan du Sud ou en Syrie ont provoqué d’importants mouvements de populations. Si bien que le nombre total de réfugiés dans le monde est passé d’environ 13 millions de personnes en 2005 à environ 35 millions en 2022, selon le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR).
En conséquence, les demandes d’asile ont explosé en France, passant d’environ 23 000 en 1998 à environ 156 000 en 2022. Face à cette explosion, les gouvernements ont restreint ce droit, notamment en excluant certaines nationalités avec la création en 2003 d’une liste de "pays sûrs" (un pays qui veille au respect des principes de liberté, de la démocratie, de l’État de droit, des droits humains et des libertés fondamentales), puis en plaçant en 2007 l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sous tutelle du ministère de l’Intérieur.
Les demandeurs d’asile, qui depuis 1985 pouvaient directement travailler après leur arrivée en France, doivent demander une carte de travail à partir de 1991 et sont même contraints d’attendre un an pour faire cette demande à partir de 2005, sans certitude de l’obtenir en cas de taux de chômage jugé trop élevé. Ce délai d’attente pour demander la carte de travail a depuis été réduit à neuf mois en 2015 et à six mois en 2018.
Surtout, les délais pour faire les demandes ont été réduits. Depuis la loi Collomb de 2018, les étrangers arrivant en France disposent de 90 jours pour faire leur demande d’asile, contre 120 jours auparavant. De plus, le recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en cas de refus de l’Ofpra d’accorder le droit d’asile ne permet plus de suspendre une expulsion pour les personnes originaires de pays dits "sûrs".