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Live Instagram, chaînes Twitch, comptes TikTok... A quoi jouent les politiques sur les réseaux sociaux ?

Ces derniers mois, de nombreuses personnalités politiques ont investi de nouveaux formats sur les réseaux sociaux afin de s'adresser aux jeunes. Pour des résultats pour le moins inégaux. "Salut les gens ! Aujourd'hui on a rendez-vous avec monsieur Gabriel Attal", s'exclame Tibo InShape, grand sourire sur le visage et T-shirt de sport sur le dos. En ce 29 novembre 2020, le youtubeur fitness démarre un live Instagram avec le porte-parole du gouvernement. "Yo !" lance l'influenceur alors qu'apparaît à l'écran le secrétaire d'Etat en tenue décontractée. "Damn la team shape", rigole Gabriel Attal, reprenant dans un parfait franglais la phrase d'accroche rituelle de Tibo InShape.Exit les formalités, tous deux se tutoient. Confinement, masques, vaccins... Pendant près d'une demi-heure, ils balayent les questions de la communauté du youtubeur, qui compte près de huit millions d'abonnés sur la plateforme vidéo et plus de quatre millions sur Instagram. Jouer la carte "artisanale" Depuis l'automne, le porte-parole du gouvernement, "qui gère seul ses réseaux sociaux", affirme une conseillère ministérielle, se prête quasiment chaque dimanche à cet exercice avec des influenceurs. Un rendez-vous "artisanal", glisse cette même source, qui assure que lors de son premier live, avec la youtubeuse EnjoyPhoenix, Gabriel Attal "avait juste posé son téléphone sur une pile de livres".  Ces derniers mois, de nombreux politiques ont tenté, avec plus ou moins de réussite, de s'emparer des réseaux sociaux et de leurs codes. "Salut, jeune entrepreneur !" lâchait ainsi fin novembre Marlène Schiappa dans sa première vidéo TikTok, parodiant un influenceur suisse devenu viral sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, le ministre délégué chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, s'est quant à lui fendu d'un clin d'œil aux paroles du tube de rap Bande organisée pour sensibiliser au port du masque en covoiturage. Et alors qu'Emmanuel Macron a lancé un défi aux vidéastes McFly et Carlito, même le "vintage" Jean Castex – selon ses propres mots – a fait ses premiers pas sur Twitch avec le journaliste de France Télévisions Samuel Etienne, quelques jours après le passage de l'ancien président François Hollande.  Une volonté de toucher les jeunes Mais que cherchent donc les politiques sur ces plateformes ? D'abord à toucher une cible bien identifiée : les jeunes. "Notre devoir, c'est d'aller échanger avec ceux qui s'affranchissent des médias traditionnels et qui consomment beaucoup l'information sur les réseaux sociaux", plaide l'entourage de Gabriel Attal. Une stratégie "logique", selon Thierry Vedel, chercheur au CNRS et spécialiste de l'interaction des politiques avec les nouveaux médias.  Toutefois, "les jeunes sont un public assez distant de la politique", complète Thierry Vedel, qui doute de la capacité réelle des élus à "susciter l'intérêt des jeunes" via ces canaux. Pour les politiques, il s'agit également de créer une certaine "proximité" avec les internautes, confie le député LREM Denis Masséglia. L'élu du Maine-et-Loire a créé sa chaîne Twitch en novembre. Il y jongle entre retransmissions en direct de ses parties de jeux vidéo et tables rondes virtuelles sur des sujets de société avec d'autres députés et ses 500 abonnés. "Les réseaux sociaux permettent une interactivité beaucoup plus directe et plus d'horizontalité que les médias traditionnels", fait valoir de son côté Antoine Léaument, responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon depuis 2013. Le chef de La France insoumise a fait des réseaux sociaux son terrain de campagne 2.0. En marge de l'élection présidentielle de 2017, l'ancien socialiste avait ainsi investi YouTube pour y proposer une "revue de la semaine", un tour de l'actualité lui permettant au passage de mener sa "campagne de convictions", expliquait-il dans le premier numéro.  Les réseaux sociaux permettent aussi à Jean-Luc Mélenchon de "dérouler un discours fleuve sans contradiction", remet en perspective Anne-Claire Ruel, enseignante en communication politique à l'université Paris-13.  "L'affichage de la modernité" Au-delà de la bataille de l'information, ce sont aussi celles de l'image et de la communication qui se jouent sur ces plateformes. "C'est l'affichage de la modernité, les politiques veulent montrer qu'ils utilisent les derniers moyens de communication", analyse Thierry Vedel. Sans compter que la présence sur un nouveau réseau social génère aussi un "effet de boomerang", selon Anne-Claire Ruel, qui rappelle que "l'intervention de Jean Castex sur Twitch a été reprise jusque dans les journaux télévisés".   A cela s'ajoute qu'être rapidement identifié sur une plateforme émergente peut s'avérer stratégique. "Si vous vous inscrivez en premier sur un nouveau réseau social, votre communauté sera aussi la première à s'y implanter et à se fédérer", ajoute l'enseignante. Un enjeu que reconnaît "clairement", Antoine Léaument du côté de La France insoumise, qui ne cache pas sa satisfaction d'avoir "bien perçu l'émergence de chaque réseau".  Derrière l'apparente spontanéité qu'affichent les politiques sur ces espaces, l'exercice requiert toutefois d'être préparé. Si Gabriel Attal est seul le dimanche soir face aux influenceurs et à leurs abonnés, ses équipes assurent en amont la recherche des intervenants. "Chaque live porte sur un thème que [l'instagrameur] a déjà abordé sur sa communauté", explique une conseillère ministérielle, qui précise prêter une "attention particulière aux échanges quotidiens de l'influenceur avec ses abonnés".  Décoder la "grammaire" des réseaux sociaux Débarquer sur un réseau social ne s'improvise donc pas. Le député "insoumis" Ugo Bernalicis a d'ailleurs longtemps réfléchi avant de créer sa chaîne Twitch, début mai. "Je ne voulais pas me lancer à l'arrache, il fallait préparer des visuels, des idées de concepts pour les premiers live", raconte le parlementaire du Nord. Avec ses quelque 4 000 abonnés, le "DepuTwitch" – comme il se fait appeler sur la plateforme – débat par exemple de la légalisation du cannabis tout en jouant à un jeu vidéo de simulation de culture de chanvre. Une réflexion poussée jusque dans la vidéo d'annonce du live qui convoque pêle-mêle la série animée South Park et le rappeur américain Snoop Dogg. "On essaye d'être à mi-chemin entre du contenu pop culture et du contenu politique", explique Ugo Bernalicis, qui assume "mettre ces références au service de la bataille politique". "Chaque réseau social a sa grammaire, résume Antoine Léaument. Toute la difficulté pour les hommes politiques c'est de la saisir, de réussir à parler le langage de la plateforme sur laquelle ils vont, sans perdre leur identité."  Gare à la "langue de bois" Un jeu d'équilibriste loin d'être évident. En témoigne le passage sur Twitch de Jean Castex, qui a rassemblé jusqu'à 85 000 spectateurs en même temps. Refusant de céder au "jeunisme", le chef du gouvernement a livré une prestation proche des traditionnelles conférences de presse du jeudi soir. "Il y a des mesures qu'on aurait dû beaucoup mieux expliquer, parce qu'on a toujours des progrès à faire sur la pédagogie", commente-t-il par exemple, lorsqu'il est interrogé sur ses "regrets" depuis son arrivée à Matignon.  Dans le tchat, de nombreux internautes ont fustigé la "langue de bois" du Premier ministre, malgré les relances de Samuel Etienne l'invitant à répondre plus directement aux questions. "Jean Castex a utilisé les éléments de langage habituels", commente le journaliste, qui estime que celui-ci "est passé à côté de l'exercice".  "Sur certaines questions il est compliqué pour un responsable de l'envergure du Premier ministre de répondre directement", ajoute l'élu. "On ne peut pas forcément dire ce que les gens ont envie d'entendre en ce moment, en particulier s'ils veulent entendre qu'une décision est prise, alors que ce n'est pas vrai", défend-on également dans l'entourage du Premier ministre.  L'émission "Sans filtre", lancée par Gabriel Attal en février depuis l'Elysée, diffusée sur Twitch et YouTube, n'a pas non plus convaincu les internautes. Censé s'adresser aux jeunes, le premier numéro rassemblant plusieurs influenceurs a été critiqué par de nombreux étudiants, qui ne se sont pas reconnus dans le choix des intervenants. "Des profils différents, directement concernés par les sujets abordés" seront invités pour la prochaine émission, qui doit avoir lieu "fin mars", fait savoir une conseillère ministérielle. "Il faut être partout" Malgré le risque de "bad buzz", les réseaux sociaux sont une "caisse de résonance" stratégique dont les politiques peuvent difficilement se passer, souligne Anne-Claire Ruel. Si "la télévision reste le média de masse", note l'enseignante en communication politique, "il est intéressant de démultiplier les canaux de communication politique". D'autant plus à l'approche des élections régionales et de la présidentielle. "Une campagne se joue en partie sur les réseaux sociaux, surtout en temps de pandémie", avance Antoine Léaument, même si ces plateformes ne "remplaceront jamais la spécificité d'un meeting par exemple, qui permet une forme de communion". "Il faut être partout", abonde Ugo Bernalicis. Dans l'optique des régionales, le député du Nord évoque ainsi d'éventuels live Twitch avec d'autres membres de l'union de la gauche dans les Hauts-de-France. De son côté, Samuel Etienne, qui confie avoir été sollicité par la plupart des partis, accueillera sur sa chaîne d'autres représentants politiques dans les prochaines semaines. "Vous n'avez pas fini de voir rappliquer tous les hommes et toutes les femmes politiques" sur Twitch, prédisait Jean-Luc Mélenchon, au lancement de sa chaîne, au printemps dernier.

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