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Économie et marchés

Le méthane, l'autre "tueur de climat" trop longtemps ignoré

L’ONU vient d’alerter sur la nécessité d’en faire plus pour endiguer la hausse des émissions de méthane afin de combattre le réchauffement climatique. Ce gaz à effet de serre a longtemps été négligé, éclipsé par la lutte contre les émissions de CO2. Pourtant, c’est un puissant polluant contre lequel il serait plus facile et rapide d’agir. CO2 par ci, CO2 par là. Le dioxyde de carbone accapare souvent le débat sur le réchauffement climatique. La volonté des États d’agir concrètement pour le climat est généralement évaluée à l’aune de leurs efforts pour réduire ces émissions de CO2. C’est oublier un peu vite le méthane (CH4), a tenu à souligner le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) dans un rapport publié jeudi 6 mai. Ce document souligne l’inquiétante hausse des émissions de ce gaz à effet de serre, la contribution grandissante du méthane au réchauffement climatique et, surtout, qu’agir pour maîtriser les émissions de méthane "peut permettre de marquer des points rapidement et à faible coût dans la lutte contre le réchauffement climatique", résume Grant Allen, spécialiste des gaz à effet de serre à l’université de Manchester, contacté par France 24. "Arrêter de négliger le méthane" "Comparé au CO2, molécule pour molécule, le méthane est bien plus néfaste pour le climat", avertit cet expert. Une particule de ce gaz piège 86 fois plus de chaleur que le dioxyde de carbone sur 20 ans. Si le monde est tellement obsédé par le CO2, c’est essentiellement parce que l’humanité en rejette plus dans l’atmosphère, ce qui permet au gaz d’occuper la première place du palmarès des "tueurs de climat". Mais "il devient urgent d’arrêter de négliger le méthane", soutient Euan Nisbet, chercheur à la Royal Holloway, University of London, et l’un des principaux spécialistes de l’impact climatique du méthane, contacté par France 24. En 2020, les émissions de méthane ont atteint un record historique et leur hausse n’a en rien été affectée par la pandémie, contrairement au CO2. Plus largement, "par rapport aux trajectoires qui avaient été établies lors de la COP21 à Paris (en 2015), la hausse des émissions de dioxyde de carbone correspond à peu près à ce qu’on imaginait, mais pour le méthane, cela augmente beaucoup plus vite que ce qu’on avait anticipé", note Euan Nisbet. Autrement dit, "si on ne fait pas plus pour les maîtriser, il y a potentiellement un risque que la hausse des émissions de méthane annule en partie les bénéfices des efforts que nous avons entrepris pour réduire celles de CO2", souligne Marielle Saunois, enseignante-chercheuse au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, contactée par France 24. Lutter contre les émissions de CH4 est aussi une question de santé publique, souligne le rapport du Pnud. "Le méthane joue un rôle important dans la pollution de l’air. Il contribue en effet à la formation de l’ozone près du sol", explique Euan Nisbet. C’est la concentration de ce gaz dans l’atmosphère qui favorise, en partie, les pics d’ozone qui peuvent entraîner des problèmes respiratoires ou cardiaques. L’ONU estime ainsi que réduire les émissions de méthane pourrait directement faire baisser le nombre de décès annuel à cause de la pollution. Mystère du début du XXIe siècle La mauvaise nouvelle est que les scientifiques ont du mal à comprendre précisément les raisons de l’accélération des émissions de méthane. On sait qu’elles proviennent à 60 % de l’activité humaine, et plus précisément de l’agriculture, de l’extraction et du transport des énergies fossiles, à travers les fuites de méthane sur les sites industriels ou les pipelines, mais aussi des décharges à ciel ouvert, où la matière organique se décompose et produit donc du méthane. Le reste vient, essentiellement, des zones humides dans les régions tropicales et des marécages. Ce qui trouble les scientifiques, c’est que ces émissions "ont connu une période d’accalmie au début des années 2000, et puis à partir de 2007, elles sont reparties à la hausse sans plus jamais s’arrêter", explique Euan Nisbet. Ce mystère de la première décennie du XXIe siècle ne s’explique pas aisément : les éleveurs ne se sont pas multipliés du jour au lendemain et l’Homme n’avait pas arrêté d’extraire du pétrole ou du charbon jusqu’en 2007. Les raisons possibles avancées ne sont pas des plus rassurantes pour le climat. L’une d’entre elles fait de la hausse des émissions "naturelles" de méthane le principal coupable de cette évolution. Ce n’est pas pour dédouaner l’Homme, qui a continué à émettre toujours plus de méthane dans l’atmosphère. Mais parallèlement, la Terre aurait ajouté son grain de sel à l’histoire, "essentiellement à cause de l’extension des zones humides dans les régions des tropiques", explique Grant Allen, de l’université de Manchester. "Elles sont devenues à la fois plus chaudes et plus humides, un environnement parfait pour certains micro-organismes qui sont de gros producteurs de méthane", résume cet expert. En parallèle, l’extension des zones humides a entraîné un développement de l’agriculture dans ces régions du monde, ce qui contribue aussi à la production de méthane. Si ces zones humides gagnent du terrain, c’est "probablement en partie à cause du réchauffement climatique, donc un cercle vicieux est enclenché", note Grant Allen. Les changements climatiques ont façonné les conditions favorables à une hausse des émissions de méthane, qui participent au réchauffement de la planète et ainsi de suite. Par ailleurs, il y a encore d’immenses réservoirs à méthane – notamment dans la région arctique – qui attendent d’être libérés avec la hausse des températures. "Et toute la question est de savoir quand nous aurons passé le point de non-retour", conclut Grant Allen. Des effets bénéfiques possibles dans dix ans Mais la bonne nouvelle est qu’il est plus facile et moins coûteux de réduire les émissions de méthane que celles de CO2. Le rapport du Pnud insiste ainsi sur une série de mesures déjà connues qui permettraient de faire baisser jusqu’à 45 % le méthane que l’être humain relâche dans l’atmosphère d’ici 2030. "Cela pourrait faire baisser la hausse des températures de 0,3 °C, ce qui est très important", note Grant Allen. Les industries pourraient ainsi aisément colmater les fuites, qui sont responsables d’une partie non négligeable du CH4 rejeté dans l’air, estiment les experts de l’ONU. C’est aussi un domaine où les pays en voie de développement – souvent les premières victimes des conséquences du réchauffement climatique – sont moins à la merci du bon vouloir des grands pays industrialisés, qui sont les principaux émetteurs de CO2. "Ils peuvent avoir un véritable impact en recouvrant les nombreuses décharges à ciel ouvert qui sont autant de sources importantes de méthane", note Euan Nisbet. L’avantage de ces mesures est que "leur coût est bien moindre pour notre train de vie", affirme Marielle Saunois. Il n’est pas question ici de renoncer à sa voiture ou de voyager moins en avion, mais de s’occuper du problème des décharges ou des fuites industrielles. Surtout, l’effet serait bénéfique à très court terme. "Le méthane se désintègre dans l’atmosphère en dix ans environ, ce qui fait que si on réduit les émissions aujourd’hui, cela aura un impact dans une décennie, alors que le cycle de vie du CO2 est bien plus long et se compte en centaines d’années", rappelle Euan Nisbet. En clair, d’après Marielle Saunois, prendre le méthane pour cible semble tout ce qu’il y a de plus indiqué, "à l’heure où l’accent est mis sur la nécessité d’actions rapides et d’ampleur pour lutter contre le réchauffement climatique".

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