Le football cherche un nouveau souffle sur Twitch
La Ligue de football professionnel (LFP) a annoncé la semaine passée lancer sa chaîne sur la plateforme Twitch. Une stratégie "de rajeunissement de ses fans" sur le numérique dans laquelle se sont déjà aventurés de nombreux clubs et joueurs.
Tout le monde veut désormais être sur Twitch. Les gamers évidemment… mais aussi les YouTubeurs, les médias, les politiques et, désormais, le monde du football. Dans un communiqué publié mercredi 7 avril, la Ligue de football professionnel (LFP) annonçait fièrement que la Ligue 1 disposait désormais de sa chaîne sur la plateforme de diffusion en direct.
"En lançant sa chaîne Twitch, la Ligue 1 Uber Eats poursuit sa stratégie d’engagement et de rajeunissement de ses fans sur le digital", explique la ligue de football.
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La plateforme "où il faut être"
Capter l'attention du jeune public est devenu une préoccupation constante des instances dirigeantes du football depuis que plusieurs études récentes, comme celle de l’Association européenne des clubs (ECA), ont mis en évidence le désintérêt pour le football de la "génération Z" (née entre 1996 et 2012). "Un problème", soulignait Gerard Piqué, défenseur du FC Barcelone mais également homme d’affaires dans l'événementiel sportif, car "ce public est la clef pour le futur de notre sport".
La plateforme d'Amazon, qui draine des jeunes férus d’outils numériques, fait figure d'Eldorado pour toucher ces jeunes réfractaires : "C'est une plateforme sur laquelle 'il faut être' pour asseoir sa notoriété, notamment auprès des jeunes hommes de 15 à 30 ans", analyse Jean-Pascal Gayant, professeur de sciences économiques à l’université du Mans, interrogé par France 24. "Il faut se faire connaître et se faire 'aimer' par les futurs consommateurs de la Ligue 1. L'objectif est clair : amener vers le spectacle de la Ligue 1 des consommateurs qui zappent de plus en plus et dont l'attachement à l'équipe d'un territoire n'est plus systématique. Il s'agit de rendre la Ligue 1 attractive, non pas par la qualité intrinsèque du jeu pratiqué, mais par son appartenance à un environnement de buzz permanent."
Des contenus adaptés ?
Racheté par Amazon pour 970 millions de dollars en 2014, Twitch est à l'origine une plateforme destinée avant tout à la diffusion en streaming de parties de jeux vidéo. Les spectateurs ont notamment à leur disposition un chat pour interagir directement avec le diffuseur, ce qui explique que le public se voit comme une "communauté".
Une communauté qui, d'ailleurs, peut mal s'accommoder des nouveaux venus. L'arrivée de la chaîne BFMTV sur la plateforme a ainsi donné lieu à une avalanche de trolls sexistes. Consciente du danger, la LFP assure avoir travaillé "en collaboration avec des acteurs spécialisés et familiarisés aux codes de Twitch".
Pour un lancement en douceur, la LFP compte dans un premier temps rester dans les fondamentaux de la plateforme : les compétitions de jeux vidéo.
"Les fans pourront suivre toute l’actualité de l’eChampionnat de France officiel sur EA SPORTS FIFA 21 et ses matchs via 19 émissions live de 2 h animées par Quento et TPK (deux stars de la plateforme, NDLR)", assure le communiqué.
La Ligue veut aussi mettre en place deux émissions consacrées au "vrai" football. Un premier programme devrait revenir "de manière originale et divertissante" sur l’actualité de la Ligue 1. Rivenzi, visage connu de Twitch, en sera l’animateur. La deuxième émission, "Ligue 1 Legends", devrait s’appuyer sur les archives du championnat de France et être animée par Alex de Castro, journaliste habitué de la plateforme. La LFP n’a pas donné de dates précises de lancement.
Cette stratégie de miser sur des habitués du format Twitch peut-elle payer ? "Oui, auprès de ceux qui sont spontanément 'subjugués' par les personnes en question", juge Jean-Pascal Gayant. "Le problème de Twitch reste la relative vacuité des contenus. Même les 'geeks' les plus endurcis peuvent finir par se lasser…"
Les grands clubs déjà sur le coup
La Ligue n'est pas la seule à s'intéresser à Twitch, les clubs s'y sont mis avant elle. L’Olympique de Marseille y a diffusé deux de ses matches amicaux dès l'été 2020. Un succès immédiat puisqu’ils sont les seuls programmes hors gaming à avoir intégré le top 100 des audiences 2020 enregistrées sur la plateforme : 266 000 "viewers" uniques, avec un pic à 100 000 "viewers" en simultané, selon le club.
"Une étude nous avait montré que les contenus foot étaient de plus en plus plébiscités sur cette plateforme", explique Hervé Philippe, responsable des médias de l'OM, dans Ouest-France. "Twitch est centrée sur le direct et l’interaction. Et curieusement, on remarque que l’audience regarde des contenus assez longs, alors qu’ailleurs, ce sont les contenus courts qui fonctionnent, comme sur TikTok par exemple. On a décidé d’y aller parce qu’on garde l’objectif de s’adresser à un public jeune et connecté."
Fort de cette première expérience, l’OM a décroché un partenariat rémunéré – dont les sommes concernées restent secrètes – avec la plateforme et s’est constitué une grille de programmes pour exploiter au mieux le nouveau canal : elle y diffuse ses conférences de presse, des séances d’entraînement, des événements officiels ou encore les matches de ses équipes jeunes ou féminines, ainsi que son programme phare, le "Live Talk", des commentaires en direct des matches sans images mais avec une interaction avec le public. Une stratégie qui lui a permis de franchir le cap des 100 000 suiveurs au début du mois d’avril.
Le grand rival parisien, qui a également un partenariat avec la plateforme, a adopté une approche similaire tout en s’appuyant sur des personnalités établies dans le numérique telles qu'Arsène "AF5" Froon et Vincent "Vinsky" Maduro pour incarner la chaîne au côté de l’ancienne star maison Laure Boulleau, dans une ambiance décontractée qui reprend parfaitement les codes de Twitch.
Des joueurs proches de leurs fans
À titre individuel, les joueurs aussi s'y sont mis. Neymar est ainsi un habitué du stream nocturne de ses parties de jeux vidéo. Une habitude qui lui vaut d'ailleurs des critiques lorsque certains font le lien entre ce mode de vie et ses blessures à répétition.
Pendant le premier confinement, Antoine Griezmann s'était ainsi lancé dans un direct caritatif de 24 heures pour récolter des fonds en faveur de la Croix-Rouge. Ses suiveurs étaient invités à donner alors qu'Antoine Griezmann, Paul Pogba, Ousmane Dembélé ou encore le rappeur marseillais Jul s'adonnaient à des parties de jeux aussi divers que Fortnite, Football Manager ou Counter-Strike.
L'attaquant de Manchester City Sergio Agüero est quant à lui devenu un phénomène avec 3 millions d'abonnés. Là encore, le jeu vidéo est le point de départ mais l'Argentin en profite pour commenter ses parties, discuter avec ses fans, ou encore appeler en direct Lionel Messi dans une conversation devenue culte.
Pas de matchs officiels dans l'immédiat
Reste que pour le moment, les créateurs de contenu sur Twitch parlent de football sans pour autant disposer du nerf de la guerre : les images des matches, dont les droits de diffusion sont vendus à prix d’or par les différentes ligues.
Cependant, Jeff Bezos et la maison-mère de Twitch, Amazon, s’intéressent de plus en plus aux droits TV des retransmissions sportives. Preuve en est la main basse faite sur une partie de la retransmission de Roland-Garros dont l'application diffusera dix sessions nocturnes. Quatre rencontres de la fin de saison 2019-2020 de la Premier League avaient également été diffusées sur la plateforme. Et lors de l’imbrioglio entre la LFP, Mediapro et Canal+ autour des droits, la firme avait bien pris soin de déposer une candidature de diffusion à l’appel d’offres, bien loin du prix de réserve cependant.
"Il risque d'y avoir conflit entre les diffuseurs traditionnels, d'une part, et les plateformes spécialisées et Twitch, d'autre part. Je serais un diffuseur ayant payé très cher des droits de diffusion, je n'accepterais pas qu'une plateforme comme Twitch puisse se voir accorder le droit de diffuser des matchs. Bref, il faudrait un allotissement spécifique et là, les montants à engager pour Twitch seraient d'une autre envergure…", analyse Jean-Pascal Gayant.
"Aujourd'hui, nous croyons que nous pouvons grandir dans le sport avec nos communautés et les contenus proposés actuellement, sans acheter de droits de diffusion", estime cependant Farhan Ahmed, responsable des partenariats de Twitch, dans L’Équipe.
Une stratégie qui peut toujours évoluer et qui serait d’ailleurs une belle manière de boucler la boucle puisque la plateforme était à l’origine une partie du site Justin.tv qui, entre autres, servait à retransmettre illégalement des matches en direct.