Le fast-food, la mode ou l'aérien : quand un médicament chamboule des poids lourds boursiers
VICTIMES COLLATÉRALES
Le succès de l’Ozempic, un médicament pour traiter le diabète mais détourné à des fins amaigrissantes, fait des victimes en Bourse depuis début octobre. De célèbres marques de snacking ou de restauration rapide sont devenues la cible d’investisseurs qui anticipent déjà un bouleversement des habitudes des consommateurs.
La popularité de l'Ozembic, un médicament indiqué dans le traitement du diabète de type 2 et utilisé comme remède amaigrissant, a fait chuter en Bourse les principales marques de snacking ou de boissons gazeuses.
En près de dix jours, l’action de Mondelez - propriétaire des marques Oreo, Toblerone ou encore Côte d’Or - a perdu plus de 10 % en Bourse. Le géant américain n’est pas le seul à connaître une mauvaise passe. PepsiCo, Coca Cola ou encore Kellanova - qui détient les marques Pringles et de toute une gamme de céréales sucrées pour le petit déjeuner - ont suivi le même exemple, chutant de plus de 6 % en Bourse.
Pour toutes ces enseignes de snacking ou de boissons gazeuses, il y a eu un avant et un après 4 octobre 2023. Ce jour-là, John Furner, le patron de la chaîne américaine de supermarché Walmart, a accordé un entretien à la chaîne économique Bloomberg durant laquelle il explique que ses clients utilisateurs des nouveaux médicaments antidiabétiques aux effets de coupe-faim - surtout l’Ozempic du laboratoire pharmaceutique danois Novo Nordisk - achetaient “un peu moins de nourriture” et surtout des produits moins caloriques.
L'oracle Walmart
Comment Walmart peut-il connaître les habitudes médicamenteuses de ses clients ? L’enseigne “est passée maître en analyse des comportements d’achat avec des sondages et autres questionnaires qui lui permettent d’accumuler une mine d’informations sur les consommateurs”, affirme le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung qui a publié un article sur les effets économiques de l’Ozempic, jeudi 12 octobre.
Conséquence : les paroles du PDG de Walmart sont souvent “annonciatrices des grandes tendances de consommation”, poursuit le journal bavarois. Et pour les marchés financiers, cette interview a sonné le coup d’envoi d’une course à tout ce que la popularité grandissante de l’Ozempic pouvait affecter.
Ce médicament a non seulement des effets coupe-faim, mais il semble aussi réduire l’envie de boire des boissons sucrées, ont constaté des scientifiques. Pour Mondelez, PepsiCo et autres spécialistes des sucreries, c’était le début des mauvaises nouvelles boursières. Même des géants du fast-food, tels que McDonald’s, ont souffert en Bourse, souligne le quotidien économique Les Échos.
Ce phénomène de victimes boursières collatérales à l’introduction sur le marché d’une innovation “n’est pas nouveau, mais l’ampleur de ce qui se passe avec l’Ozempic est rare”, reconnaît Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement pour Pictet Asset Management, un fonds de placement.
Ce spécialiste précise que ce sont le plus souvent des nouveautés dans le secteur des biotechs qui fragilisent des sociétés de petite ou moyenne taille. Mais cette fois-ci, “on constate que l’effet Ozempic affecte même des géants du secteur de l’alimentaire”, souligne Christopher Dembik.
Ce médicament, autorisé aux États-Unis depuis 2017 comme traitement pour les diabétiques, a vu sa popularité grimper en flèche depuis plus d’un an à cause de ses effets coupe-faim qui aideraient à en faire un remède amaigrissant. Elon Musk, le controversé patron de X (anciennement Twitter), a fait la promotion en octobre 2022 du Wegovy, un dérivé plus concentré de l’Ozempic également développé par Novo Nordisk. Sur TikTok, les vidéos vantant les mérites de ces deux médicaments pour maigrir - qui se prennent sous forme d’injection - sont légion depuis fin 2022, a constaté le New York Times.
Plus fort que le PIB du Danemark
Une promotion tous azimuts qui a fait le bonheur financier de Novo Nordisk, malgré les mises en garde des scientifiques soulignant qu’on ne connaît pas encore les effets à long terme de la prise d’Ozempic pour maigrir. En Chine, par exemple, le laboratoire pharmaceutique a reconnu n’avoir pas pu suivre l’explosion de la demande qui a pris le groupe danois par surprise.
Le succès est tel que Novo Nordisk est passé de géant européen du secteur à véritable mastodonte économique. Sa valorisation boursière a atteint 409 milliards de dollars, soit plus que le PIB global du Danemark (400 milliards de dollars en 2022),souligne le Financial Times.
À lui seul, le succès de l’Ozempic a permis d’éviter au Danemark de tomber en récession. “Nous n’avions jamais connu une telle situation où une entreprise joue un rôle aussi important pour toute notre économie”, a reconnu Jens Naervig Pedersen, économiste à la Banque centrale du Danemark interrogé par le New York Times.
Une situation qui n’est pas sans rappeler la dépendance de la Finlande à Nokiapendant des années. La chute du fabricant de téléphone, dans les années 2000, avait été un coup dur pour l’économie du pays. “Certains économistes au Danemark mettent en garde contre le danger d’un scénario à la Nokia”, assure le New York Times.
Le risque d’une chute de la maison Novo Nordisk semble encore lointain. En août, le laboratoire danois est même brièvement passé devant le géant français du luxe LVMH pour devenir l’entreprise la plus riche d’Europe en Bourse.
Euphorie des investisseurs
Il faut dire que le produit phare de Novo Nordisk représente l’exemple type du bon produit au bon moment pour les marchés financiers. “Depuis la fin de la pandémie, il y a une tendance pour tout ce qui touche à une nutrition plus saine chez les investisseurs”, reconnaît Christopher Dembik.
Et les médicaments tels que l’Ozempik, le Wegovy et plus généralement les nouveaux remèdes pour lutter contre l’obésité ont “le potentiel d’avoir un impact économique important aux États-Unis où les personnes souffrant d’obésité sortent plus facilement du marché du travail”, note Christopher Dembik. Autrement dit, réduire ce fléau pourrait donner un coup de fouet à l’économie.
De quoi enthousiasmer des investisseurs qui n’ont pas tant d’autres bonnes nouvelles à se mettre sous la dent. “Sur un marché plutôt morose, c’est une rare bonne nouvelle, ce qui fait qu’il y a une certaine sur-réaction boursière”, reconnaît l’expert de Pictet AM.
Cette euphorie pour l’Ozempic explique donc en partie la défiance pour les géants du snacking. Mais pour le Washington Post, la lame de fond boursière du remède de Novo Nordisk risque aussi d’affecter d’autres secteurs comme l’habillement. ll pourrait y avoir moins d’Américains à la recherche de pulls XXL, par exemple, ce qui obligerait les marques à s’adapter.
A contrario, la banque d’investissement Jefferies a suggéré que s’il y avait moins d’Américains en surpoids, cela pourrait faire du bien… aux compagnies aériennes. En effet, écrivent ces banquiers, si les passagers sont plus minces, l’avion pèsera moins lourd ce qui se traduit par une consommation moins importante de carburant et donc des économies à la clef…
Urgent d'attendre
Mais pour Christopher Dembik, il est surtout urgent d’attendre avant d’imaginer toutes les conséquences économiques du succès de ces médicaments. D’abord, “parce qu’on ne sait pas encore vraiment quel va être l’impact sur la société”, assure-t-il.
Ainsi ce sont des remèdes plutôt coûteux, ce qui fait qu’ils sont généralement plutôt réservés à des catégories de populations plus aisées. Et “les enseignes de restauration rapide ont pour clientèle principale des personnes qui n’ont pas les moyens d’avoir recours à ces médicaments”, a assuré la banque d’investissement RBC Capital Market dans une note d’analyse. Il est donc peut-être prématuré d’anticiper que les McDo et autres vont pâtir de ces solutions amaigrissantes.
Et puis, estime Christopher Dembik, la science n'a pas encore rendu son verdict final sur les effets à long terme de l’Ozempik. Des études sont en cours pour les évaluer et les résultats finaux pourraient permettre de mieux comprendre l'importance de ce médicament que quelques vidéos d'influenceurs sur TikTok.