Étrangers radicalisés : opération fermeté de l'exécutif pour contrer la droite et l'extrême droite
ATTENTAT D'ARRAS
Symbole de la volonté de l’exécutif d’afficher sa fermeté, Emmanuel Macron a exhorté ses ministres, lundi, à "incarner un État impitoyable" face au terrorisme. Le gouvernement tente ainsi de répondre aux accusations de la droite et de l’extrême droite en mettant l’accent sur les expulsions des étrangers radicalisés et la nécessité de voter la future loi Immigration.
Le président de la République Emmanuel Macron, entouré du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin (à gauche) et du ministre de l'Éducation nationale Gabriel Attal (à droite), le 13 octobre 2023, à Arras.
Afficher de la fermeté. La consigne a été donnée au plus haut niveau de l’État et s’est exprimée dans toutes les déclarations gouvernementales depuis l’assassinat, vendredi 13 octobre, de Dominique Bernard, enseignant de français au collège-lycée Gambetta d’Arras (Pas-de-Calais).
Le président de la République Emmanuel Macron, qui a réuni des ministres et des responsables sécuritaires lundi midi à l’Élysée, a exhorté ses ministres à "incarner un État impitoyable" face au terrorisme, tout en adressant un message de soutien à la communauté éducative.
"Jamais la République ne pliera face au terrorisme", a assuré de son côté la Première ministre Élisabeth Borne, lundi, dans le collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) où enseignait Samuel Paty, professeur tué dans un attentat islamiste il y a trois ans jour pour jour, comme Dominique Bernard vendredi à Arras.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a quant à lui rapidement demandé, au lendemain du drame d’Arras, "l’expulsion systématique de tout étranger considéré comme dangereux par les services de renseignement", ajoutant que "la ligne de fermeté (était) extrêmement claire".
Ce discours prononcé à l’unisson n’est pas dû au hasard. Il s’agit pour l’exécutif de ne pas laisser planer le moindre doute sur sa détermination à lutter contre le terrorisme islamiste et de faire taire les procès en "laxisme" et en "naïveté" venus de la droite et de l’extrême droite.
Car depuis vendredi, le gouvernement se sait sous pression. Le patron du parti Les Républicains (LR), Éric Ciotti, a ainsi demandé l'instauration de "l'état d'urgence", exhortant l'exécutif à "ne plus trembler face à l'islamisme et à l'immigration de masse". Il a appelé à une "mobilisation la plus forte possible" des forces de l'ordre en faisant appel aux réservistes de la police et de la gendarmerie.
Le Rassemblement national (RN) réclame, lui, la "démission" de Gérald Darmanin. "Il y a eu des failles dans toute la chaîne de responsabilités, qui devraient conduire à la démission immédiate du ministre de l'Intérieur", a déclaré sur X Jordan Bardella, président du parti. Un peu plus tard, il a dénoncé une "faillite morale et politique du gouvernement", tandis que la patronne des députés RN, Marine Le Pen, dénonçait dimanche soir "une chaîne de défaillances tellement longue, tellement grave, qu'elle a permis que se déroule sur notre territoire un épouvantable drame supplémentaire".
Accélérer l'expulsion de 193 étrangers radicalisés
Outre un discours résolu et ferme, Emmanuel Macron veut des actes. Il a demandé aux préfets qu'ils passent au peigne fin le fichier des personnes radicalisées susceptibles d'être expulsées de France, pour s'assurer qu'il n’y ait eu aucun "oubli" dans l'examen des procédures.
Il s'agit de "s'assurer que toutes les personnes radicalisées qui sont expulsables l'ont bien été ou d'accélérer les procédures", et de "revérifier qu'il n'y a aucun oubli et qu'on est bien allés au maximum de la procédure", indique la circulaire envoyée lundi matin aux préfets.
Les personnes radicalisées sont surveillées grâce au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), créé en mars 2015, deux mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Au total, 20 120 personnes y sont actuellement inscrites, dont 4 263 étrangers en situation régulière ou irrégulière. Et depuis 2015, 922 personnes inscrites au FSPRT ont été expulsées, selon le gouvernement.
En sortant de la réunion sur la sécurité organisée lundi midi à l’Élysée, le ministre de l’Intérieur a annoncé vouloir accélérer l'expulsion de 193 étrangers radicalisés en situation irrégulière. Parmi eux, 85 "ne sont sans doute plus sur le territoire", a toutefois précisé l'entourage du ministre à l'AFP, précisant qu'il avait été demandé une "vérification au cas par cas" sur ces personnes.
Gérald Darmanin a aussi été invité par le chef de l’État à étudier une "approche spécialisée pour les jeunes hommes originaires du Caucase sur la tranche 16-25 ans", a expliqué à l’AFP un conseiller de l’Élysée, qui part du constat que dans le cas de Samuel Paty, assassiné il y a trois ans, et de Dominique Bernard, tué vendredi, l'assaillant était à chaque fois originaire de cette région.
"On sait qu'il y a un rapport à la violence qui est particulier", "des formes de radicalisation qui sont très fortes", "une culture très radicale de la pratique de l'islam", a fait valoir le conseiller de l'Élysée.
Le président a donc demandé un "suivi spécifique", pour réfléchir à des "mécanismes de dépistage ou d'accompagnement de ces jeunes", et "travailler sur le décrochage de la radicalisation" et la "prévention", selon son entourage qui rejette toute idée de "discrimination".
Il s’agit également de trouver une solution concernant l’obtention de laisser-passer consulaires de Moscou, le dialogue avec les autorités russes, et donc les expulsions vers la Russie, étant à l’arrêt depuis le début de la guerre en Ukraine.
Contraindre LR et RN à voter la loi Immigration
L’autre volet de la réponse gouvernementale concerne sa future loi Immigration. Dès vendredi soir, Gérald Darmanin a présenté son projet de loi, dans les tuyaux depuis plus d'un an, comme le remède à ce type de situation. Cette loi "me permettra d'expulser tous ceux qui, même arrivés à l'âge de 2-3 ans, sont étrangers et méritent de retourner dans leur pays d'origine (...) parce que ce sont des dangers en puissance", a-t-il avancé.
"Il faut adopter cette loi désormais très vite [afin] de pouvoir expulser du territoire national des personnes qui jusqu'à présent sont protégées par ce qu'on appelle des ‘réserves d'ordre public’", a-t-il répété lundi à l'issue de la réunion de sécurité présidée par Emmanuel Macron.
Un argument régulièrement utilisé par le ministre de l’Intérieur ces derniers mois, mais contesté, notamment par l’ancien président François Hollande, lundi matin sur RTL, et par la Cimade, qui souligne que "l’autorité judiciaire (pour les interdictions du territoire) et l’autorité administrative (pour l’arrêté d’expulsion) conservent toujours la faculté de contourner les mesures de protections".
Peu importe pour l’exécutif, qui a choisi d’exploiter cette question pour mettre les oppositions devant leurs responsabilités. Dimanche, la Première ministre Élisabeth Borne a assuré que le cas particulier de l'attentat d'Arras légitimait le projet de loi Immigration. "Je compte sur ceux qui nous critiquent aujourd'hui pour qu'ils votent notre texte demain", a-t-elle dit.
Et lundi, c'est le pouvoir législatif qui est passé à l'offensive. La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a réclamé une accélération de l'examen du projet de loi au Parlement. "Faire sauter" la "protection absolue" dont bénéficient certains étrangers sur le sol français, "c'est l'objet de la loi", a-t-elle certifié. "Quand nous avons des personnes qui ne sont pas intégrées, qui sont radicalisées, qui vouent une haine farouche à la République, (...) il faut effectivement pouvoir les éloigner", a-t-elle insisté, estimant possible que le projet de loi soit examiné à l'Assemblée dès le mois de décembre, pour une adoption définitive "avant la fin de l'année".
"Je ne crois pas au 49.3 sur ce texte, je pense que nous arriverons à avoir une large majorité", a-t-elle ajouté, exhortant les oppositions à "passer des paroles aux actes". Un message directement adressé à LR et au RN, dont la majorité présidentielle relative à l’Assemblée nationale a besoin pour faire adopter son texte.
Avec AFP