La justice française s'oppose à l'extradition de dix anciens militants italiens d'extrême gauche
L'ancienne membre des Brigades rouges Marina Petrella, avant une audience judiciaire à Paris, le 20 avril 2022.
La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris s'est opposée mercredi à l'extradition de dix anciens militants d'extrême gauche réclamés par l'Italie pour des "faits de terrorisme" dans les années 1970-1980.
La justice française s'est opposée mercredi 29 juin à l'extradition de dix anciens activistes italiens d'extrême gauche réclamés par l'Italie pour leur rôle pendant les "années de plomb", un dossier qui empoisonne les relations entre les deux pays depuis quarante ans.
Au printemps 2021, après des mois de tractations, le président Emmanuel Macron avait décidé de favoriser la mise à exécution des demandes d'extradition de ces deux femmes et huit hommes, renouvelées un an auparavant par Rome.
Ces dix militants, âgés aujourd'hui de 61 à 78 ans, étaient réclamés par l'Italie pour des "faits de terrorisme" dans les années 1970-1980.
Mais la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a rendu un avis défavorable à leur remise à l'Italie, s'appuyant sur le respect du droit à la vie privée et familiale et sur le respect du droit à un procès équitable (articles 8 et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme).
La présidente a écarté le complément d'information requis par les deux avocats généraux au regard de la date des faits et de la durée de la procédure, a-t-elle ajouté.
À l'annonce de la décision, les ex-militants ont étreint leurs proches présents dans la salle d'audience.
"Triomphe de l'humanité et de la justice contre la raison d'État"
"C'est le triomphe du droit des droits, de l'humanité et de la justice contre la raison d'État", s'est réjouie Me Irène Terrel, qui défend sept des anciens militants, dont la médiatique Marina Petrella.
Que le président Emmanuel Macron ait ordonné l'an dernier l'arrestation des dix anciens militants était "une trahison de la parole donnée et un manque total de connaissance de ce qu'est une amnistie", a considéré Me Jean-Louis Chalanset, avocat d'Enzo Calvitti.
Les trois demandes d'extradition visant Sergio Tornaghi "ont toutes été rejetées par des cours d'appel en France", a rappelé son avocat, Me Antoine Comte. "De mon point de vue, il faut que les Italiens puissent régler leur histoire et examiner leur passé."
Époque de violentes luttes sociales, les "années de plomb", marquées par une surenchère entre ultradroite et ultragauche composée d'une myriade de groupuscules révolutionnaires, dont les Brigades rouges, se solderont par plus de 360 morts attribués aux deux bords, des milliers de blessés, 10 000 arrestations et 5 000 condamnations.
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La décision de la justice française était attendue "depuis longtemps par les victimes et le pays tout entier, concernant une page dramatique et encore douloureuse de notre histoire", a commenté la ministre italienne de la Justice, Marta Cartabia.
Cette décision est une "gifle", s'est indigné le responsable politique d'extrême droite italien Matteo Salvini.
"Ces meurtriers n'ont jamais payé leur facture à la justice italienne et à la lumière de la décision d'aujourd'hui, ils ne le feront probablement jamais", a regretté Giorgia Meloni, dirigeante du parti Frères d'Italie, déplorant une décision "inacceptable et honteuse".
Un possible pourvoi en cassation
Lors des audiences qui se sont déroulées du 23 mars au 15 juin, les anciens militants acceptant de s'exprimer ont raconté aux magistrats leur vie en France depuis parfois quarante ans.
Tous se croyaient protégés par la doctrine Mitterrand, ont-il fait valoir. Le président socialiste François Mitterrand (1981-1995) s'était engagé à ne pas extrader les anciens activistes ayant rompu avec leur passé.
La présence dans l'Hexagone de ces anciens militants a empoisonné les relations entre la France et l'Italie depuis les années 1980.
"C'est un moment historique de la relation franco-italienne" et "une prise de conscience par la France, après des années d'atermoiements, voire une certaine complaisance, du traumatisme des années de plomb", s'était félicité l'Élysée lors des arrestations.
Emmanuel Macron "a souhaité régler ce sujet. Ces interpellations clôturent totalement ce dossier", avait ajouté la présidence.
La décision d'ordonner ces dix arrestations "est un signe de la pleine compréhension des drames vécus dans notre pays pendant les années de plomb et surtout de la confiance du gouvernement français" dans les institutions italiennes, a précisé mercredi la ministre Cartabia.
Dans un communiqué, le procureur général près la cour d'appel Rémy Heitz a indiqué que les décisions étaient "susceptibles de faire l'objet d'un pourvoi en cassation".
"L'autorité judiciaire française s'est prononcée souverainement et le ministère de la Justice n'a pas à commenter cette décision", a déclaré la Chancellerie, sollicitée par l'AFP, tout en affirmant "le haut niveau de confiance réciproque entre les autorités françaises et les autorités italiennes qui partagent une conception exigeante de l'État de droit".
L'avocat de l'État italien William Julié a dit attendre la position du parquet général et le détail des motivations de la cour.
Avec AFP