La Fédération de la lose célèbre l'art de perdre à la française
Une des "loses" les plus célèbres de ces dernières années : Julian Alaphilippe célèbre trop tôt sa victoire à Liège-Bastogne-Liège et est dépassé sur la ligne d'arrivée par Primož Roglic.
D’une blague lancée dans une discussion entre amis est née la Fédération française de la lose (FFL), une page satirique se moquant des grandes défaites du sport français. Ses fondateurs sortent un livre qui retrace avec panache la grande histoire des presque victoires.
"Les Français ne perdent pas plus que les autres, mais ils perdent mieux." Dès l'introduction de la "Bible de la lose du sport français" (éd. Marabout, 29,90 €), le ton est donné. Ici, on se refuse à célébrer les vainqueurs. On y préfère les perdants, les grandes défaites, les retours bredouille qui ont construit une partie de la légende du sport.
On retrouve d'ailleurs le ton et la plume acérée de la Fédération française de la lose – FFL pour les intimes. Cette page satirique et sous-titrée "La défaite est en nous", créée en 2015 et qui, tous les jours, met en avant les petites bourdes et les grands craquages des athlètes tricolores. Une aventure désormais suivie par 246 000 personnes sur Twitter, 518 506 abonnés sur Facebook et 105 000 sur Instagram.
"La France a ce panache, cette 'French Touch' comme on dit au rugby. On ne perd pas dans l’anonymat. On perd avec le cœur, quand on fouille, c’est toujours rocambolesque", explique Antoine Declercq, cofondateur de la FFL. "Lors de l’Euro-2020 de football, on aurait pu simplement perdre 1 à 0 ce huitième contre le Suisse à l’issue d’un match peu intéressant. On a préféré ce scénario incroyable… [3-3 au bout du temps règlementaire avec deux buts encaissés en fin de match par la France et 4-5 aux tab]."
Des pintes de bière au succès
Antoine Declerq et Louis Roulet, deux des fondateurs de la FFL, rembobinent le fil de son histoire pour France 24 : "L’aventure a commencé avec une bande de potes qui aiment le sport. À force de discussions et de pintes, on a fini par conclure qu’on était un pays qui adore se plaindre et se complaire dans la défaite. Il y a presque un malin plaisir à les ressasser", se remémore Antoine Declerq. "On a grandi en entendant nos parents parler davantage du drame de Séville 1982, plutôt que de la victoire à l'Euro-1984 ; des huit secondes de Fignon [contre Lemond en 1989] plutôt que de ses deux victoires du Tour ou celles de Hinault."
"On a tenté de créer un blog, mais finalement ça marchait mieux sous forme d’une page Facebook. On a commencé par faire rire nos potes et, finalement, ça a explosé avec les Jeux de Rio en 2016. On est ensuite allés sur Twitter et Instagram. On a créé un site Internet et finalement, le livre c’est la suite presque logique d'arriver dans les librairies avec un objet tangible."
La bande de trentenaires est trop jeune pour se rappeler des défaites fondatrices, que ce soit Séville (1982), les poteaux carrés de Glasgow (1976) ou encore de Kostadinov, qui prive en 1993 les Français de la Coupe du Monde-1994 aux États-Unis.
La première "lose" marquante d’Antoine Declercq, c’est en 2002. Cette année-là, la France, championne du monde en titre, se présente en Asie en archi-favorite de la Coupe du monde qui se tient en Corée du Sud et au Japon, et avec une attaque composée de Thierry Henry, David Trezeguet et Djibril Cissé – soit les meilleurs buteurs des championnats anglais, italien et français –, et les maillots à deux étoiles sont déjà imprimés et les publicités vont bon train. Las, la campagne coréenne tourne au fiasco avec deux défaites, un match nul et pas un seul but inscrit.
L’éternel Français qui peut gagner
Pour Louis, c'est la Coupe du monde suivante, en 2006, qui représente sa première expérience de la "lose". Cette année-là, Zidane, sorti de sa retraite, marche sur l'eau et emmène la France jusqu'à la finale. Et là, c'est le drame : le Ballon d'or français est expulsé à la suite d'un coup de boule sur Materazzi et les Italiens l'emportent aux tirs au but, après un penalty manqué de Trezeguet. Le calice est amer pour Louis, en vacances à la pointe sud de la Corse, qui voit des feux d'artifice être tirés depuis la Sardaigne voisine.
"C’était très FFL comme expérience", se remémore Louis. "J’avais 10 ans et c’était la première fois que je pleurais pour du foot. Je me revois porter ma petite casquette FFF avec une étoile."
"Globalement, on est surtout d’une génération à qui on ressasse que chaque année, c’est la bonne : 'un Français va faire quelque chose à Roland-Garros’, ‘un Français va enfin gagner le Tour de France'... On se moque beaucoup de cet espoir médiatique présent à chaque événement", décrit Antoine.
Des JO de Paris en 1900 au pénalty raté de Mbappé lors du dernier Euro, la Bible rédigée par ces aficionados de la défaite recense en 240 pages les glorieux perdants. Tout y passe : du penalty manqué de Trezeguet en 2006 au lever de bras trop précoce de Julian Alaphilippe sur Liège-Bastogne-Liège en 2020, en passant par un hommage au geste technique préféré (et quasi rituel) de Benoit Paire : le cassage de raquette.
Des athlètes qui leur rendent bien. Les cyclistes Pierre Rolland et Julian Alaphilippe ont salué la sortie du livre. D'autres réclament une carte de membre de la FFL lors de défaites mémorables. Benoît Paire s'est lui-même un jour autoproclamé ambassadeur de la Fédé de la lose.
"Avec moins de poisse, je serais un peu moins populaire aujourd'hui"
"En général, on n'a pas de problème avec les athlètes. Souvent, ils ont du second degré et rient avec nous. Sinon, ils nous ignorent simplement. Ce sont les fans qui sont parfois plutôt virulents", sourit Antoine. "On n’est pas insultants, on essaie de ne pas être malveillants. On n’est pas bien bienveillants non plus : notre job consiste quand même à rigoler du malheur des autres."
C’est d’ailleurs un cycliste bien connu qui signe la préface du livre : Thibaut Pinot, l’un des plus grands grimpeurs français de sa génération, dont la carrière est un concentré de FFL : des bas rocambolesques, comme cet abandon du Giro 2018 sur pneumopathie alors que le podium lui tendait les bras. Oucelui en 2019 sur le Tour de France alors que le maillot jaune était à portée de main.
"Il est possible qu'avec moins de poisse, je serais un peu moins populaire aujourd'hui. J'ai l'impression que c'est une mentalité très française de s'attacher à des sportifs et des clubs qui ont des hauts et des très bas", écrit-il rappelant que "l'humour et l’autodérision sont les remèdes les plus efficaces pour digérer les grandes déceptions.
Il rappelle qu’il a la double peine d’être supporter du PSG, un club qui est entré dans le panthéon de la FFL entre "remontada”, "come-back”, 3-5-1 et autres scénarios improbables en Ligue des champions.
Début 2020, la FFL s’est offert un nouveau challenge : se structurer pour devenir une activité professionnelle à part entière. Antoine et Louis cessent leurs autres activités respectives pour se consacrer à celle-ci à temps plein. Entre Euro et Jeux olympiques, la période était propice… Le Covid-19 rendra cela beaucoup plus "FFL”.
Entre les partenariats avec les marques, la boutique en ligne, les publicités et sa très grande popularité, la marque se porte bien économiquement.
"Désormais, c’est la planque. On ne souffre plus. Quand on regarde un événement, on est gagnants dans tous les cas. Si un Français se plante au dernier moment, ce sera bon pour la FFL et, s’il gagne, je vais sauter de joie personnellement et la FFL va prendra le contrepied en l’excluant de la fédé", rigole Louis. "On est assez lâches finalement."
Et l’avenir ? "On aimerait ne plus rigoler sur les sportifs, mais rigoler avec eux. Les gens aiment les sportifs capables d’autodérision et on aimerait développer ça." Peut-être en vidéo. Peut-être pas. Car tel est l’ADN de la FFL : l’improbable peut toujours s’inviter.