NFT : plongez au cœur du marché de l'art en ligne avec les collectionneurs et les créateurs
Depuis plus d’un an, l’art numérique explose sur internet. Grâce aux NFT ("non fongible tokens" en anglais) il est désormais possible d’être le propriétaire d’une œuvre immatérielle, disponible uniquement en ligne… Une nouvelle pratique dans le monde de l'art, révolutionnaire pour certains, difficile à comprendre pour d’autres…
Connus seulement depuis quelques mois par le grand public, les NFT prolifèrent sur internet et intéressent de plus en plus de collectionneurs. En mars dernier, la maison d'enchères Christie’s avait fait parler d’elle lors d'une vente exceptionnelle : Everyday : the First 5.000 days, oeuvre de l'artiste Beeple a été vendue sous la forme d'une NFT69,3 millions de dollars. Qu’est-ce qui fait donc le succès de ces oeuvres numériques ? Est-ce un effet de mode ou l’art du futur ?
Oeuvre de l'artiste Beeple, vendy 69,3 millions de dollars chez Christie's. (AFP PHOTO /CHRISTIE'S AUCTION HOUSE/HANDOUT)
Un succès grâce à la pandémie
Avant tout, que se cache-t-il derrière le barbarisme "NFT" ? Nommé "jeton non-fongible" en français, il désigne un certificat permettant d’être le propriétaire exclusif d’une oeuvre numérique. Celle-ci peut être une peinture, un dessin 3D, une photographie, un avatar ou même un tweet ! Les possibilités sont vastes.
Si les NFT connaissent un succès fulgurant aux Etats-Unis, ils ne créent pas encore le même enthousiasme en France. Plusieurs ventes aux enchères ont été organisées sur l'Hexagone au cours de l’année 2021 mais sans provoquer de réels mouvements de foule. Pourtant, pour Mathilde Le Roy, fondatrice de la galerie d’art en ligne KAZoART, qui a organisé une vente de NFT en avril dernier, depuis la pandémie, un nouvel engouement est né autour de l'art numérique. "Pendant plusieurs mois, l’art physique n’était plus accessible. Les passionnés d’art n’ont donc pas eu d’autres choix que de trouver de nouvelles manières de collectionner", explique-t-elle, "mais je pense que cet emballement va finir par se normaliser et retomber un peu".
Achat du NFT du groupe de musique allemand Scooter vendu en lien avec son nouvel album "God Save the Rave" sur le site Open Sea, en avril 2021. (PICTURE ALLIANCE / PICTURE ALLIANCE)
Malgré tout, les NFT sont sujets à débat. À quoi cela sert-il d’acheter une oeuvre en ligne des milliers d’euros alors que nous pouvons la trouver en haute définition gratuitement sur Internet ? Pour Nikola Niksic, fondateur du site NFT France, la réponse est simple : "Prenons la Joconde : il existe plein d’exemplaires et de copies de l’oeuvre originale et certains lui ressemblent parfois au détail près. Vous pouvez afficher l’un de ces tableaux dans votre salon mais pourtant tout le monde sait que ce n’est pas la Joconde que vous possédez puisque la vraie est au Louvre. C’est la même chose pour les NFT".
Jeunes et geeks
Ce qui fait aujourd’hui défaut aux NFT reste leur accessibilité. Pour en acheter, il faut être initié à l’univers de la blockchain - technologie de stockage et de transmission d'informations sécurisée et sans organe de contrôle - et posséder de la cryptomonnaie. "Ce n’est pas du tout évident d’acheter des NFT", explique Lucas Podevin, fondateur de l'agence de NFT Cryptagency : "il faut avoir un wallet (un portefeuille en ligne ndlr), injecter de l’ethereums (une cryptomonnaie comme le bitcoin) et se connecter à un site internet de vente de NFT, tel qu’Open Sea", détaille-t-il. L'accès est donc trop complexe pour certains collectionneurs habitués des galeries d’art, qui ne sont pas forcément à l’aise avec les nouvelles technologies. Metakovan, le groupe d’acheteurs de l’oeuvre de Beeple chez Christie’s était effectivement composé de deux traders millionnaires en cryptomonnaie. Donc pas vraiment des collectionneurs traditionnels. S'ils aiment probablement le travail de l'artiste, ils ont également réalisé un investissement sur le long terme en effectuant cet achat.
Mais tous les acheteurs de NFT sont-ils avant tout des investisseurs ? "Au début, les NFT intéressaient plus les investisseurs, mais maintenant certains les collectionnent vraiment pour le plaisir. Et j’en fais partie", nous explique Nikola Niksic, fondateur du site NFT France. Cet étudiant à la Sorbonne s’est laissé séduire par l’univers des NFT fin 2020 lorsqu’un ami artiste lui a annoncé se consacrer à l’art numérique. Il a acheté son premier NFT, un Cryptotoon, quelques semaines plus tard et en possède actuellement plus d’une cinquantaine. "Il y a des NFT que j’achète parce que je pense qu’ils prendront rapidement de la valeur, mais j’en achète aussi parce que j’apprécie le travail de l’artiste. La majorité des acheteurs sont à la fois collectionneurs et investisseurs, je pense".
Pour ce passionné, les NFT permettent aussi d’atteindre un nouveau public, plus jeune et surtout un peu geek : "la porte d’entrée vient beaucoup des jeux vidéo. Les joueurs peuvent acheter des accessoires et en devenir l’unique propriétaire. Bientôt, ils pourront gagner de l’argent en jouant et le réutiliser dans la blockchain pour collectionner ou investir dans l’art". Ce nouveau public est bien au rendez-vous au vu de l'augmentation fulgurante des prix des NFT. "Sur Twitter, on voit des personnes qui investissent 1000 dollars un jour et le lendemain, ils en ont gagné 40 000 !", constate Lucas Podevin.
Attrait pour les artistes
Les NFT intéressent de plus en plus de collectionneurs mais aussi par conséquent de plus en plus d’artistes, même ceux habitués à des techniques artistiques plus classiques. L'artiste Morgan Paslier a participé à la vente organisée par KAZoART. Il réalise des tableaux à partir de collages mais utilise également des logiciels de montage et de dessin. S’il apprécie la possibilité de vendre des oeuvres uniquement au format numérique, il rencontre encore des difficultés à trouver des acheteurs : "En France, les NFT fonctionnent auprès des collectionneurs traditionnels pour des artistes qui sont déjà reconnus, qui ont une cote", remarque-t-il. "Mais je ne vais pas m'arrêter d'en faire pour autant, ça me donne même de nouvelles idées de créations".
Oeuvre au format NFT de l'artiste français Morgan Paslier, "Flower_2 - 1/1", vendu sur Open Sea par la galerie en ligne KAZoART. (MORGAN PASLIER)
Léo Simon, co-fondateur de Cryptagency, témoigne pourtant du contraire. Les NFT lui ont permis de mieux vendre ses oeuvres. "Dans le design, beaucoup de personnes se sont tournées vers les NFT. C’est une vraie aide pour les artistes qui avaient du mal à monétiser ce qu’ils pouvaient faire", nous déclare-t-il. "Elles poussent les artistes à tester de nouvelles techniques. Je pense que d’ici quelques années les plus grands artistes qu’on aura seront ceux qui font du NFT parce que ça ouvre beaucoup plus de possibilités que l'art traditionnel".
Certains artistes arrivent effectivement à vendre leurs oeuvres mais en adaptant leur art. Une oeuvre de Bansky, Morons (white), acquise aux enchères pour 95 000 dollars a par exemple été détruite après la vente pour être "réincarnée" en NFT. Le graffeur américain, AlecMonopoly, suivi par 1,2 millions de personnes sur Instagram, a commencé aussi à vendre pour la première fois ses graffitis grâce aux NFT. Ce certificat de propriété rend accessible à la vente des oeuvres qui ne l'étaient pas jusque-là.
En route vers le futur
Les NFT peuvent se consommer et être affichés de différentes façons. Mais pour le moment, c'est surtout sur les réseaux sociaux qu'ils prennent une place importante. Les collectionneurs n'hésitent pas à mettre en photo de profil les oeuvres qu'ils ont acquis et dont ils sont le plus fiers : "La règle est de ne pas mettre de NFT qui ne nous appartiennent pas sur notre profil", ajoute Léo Simon de Cryptagency. "Aujourd’hui avoir un CryptoPunk en photo de couverture est une preuve de richesse, c’est comme s’afficher avec une Lamborghini".
En dehors des réseaux, plusieurs marques seraient déjà en train de développer des manières d’afficher les NFTs chez soi, à l’aide d’écrans numériques. "Les cadres utiliseraient la technologie blockchain. Seuls les propriétaires des oeuvres pourraient alors les diffuser" s’imagine Nikola Niksic, enthousiaste.
Profil twitter d'Anonymous Fucking Nobody dont la photo est un cryptopunk. (CAPTURE D'ÉCRAN)
Plusieurs collectionneurs, comme Nikola Niksic ou encore Lucas Podevin, voient un réel avenir dans les NFT, considéré comme l’art du futur. "Pour que cette technologie arrive au grand public, il faut enlever les barrières. Je suis sûr que tout va être simplifié rapidement : bientôt, on pourra acheter des NFT avec une simple carte bleue", commente Nikola. "Je n’ai aucun doute que les NFT vont durer dans le temps, ce n’est pas un effet de mode parce qu’il y a deux gros avantages : déjà, les frais de commission sont renouvelables à l’infini. À chaque fois que l’oeuvre est revendue, l’artiste touche une commission. De plus, d’ici 5-10 ans, il y aura des plateformes comme Instagram ou on pourra afficher des NFT. Ces oeuvres deviendront des moyens de communication : si Gucci offre des NFT à un influenceur, ceux qui le suivent vont avoir envie d’acheter du Gucci".
Les NFT ne sont qu'aux prémices de leur développement. Pour ceux en seraient effrayés, Lucas Podevin se veut rassurant : "Les NFT et la cryptomonnaie paraissent compliqués aujourd'hui, mais n'était-ce pas aussi le cas d'internet il y a une trentaine d'années ? Pourtant, en 2021, rares sont ceux qui ne surfent pas sur le web ! "