La Cour des comptes appelle l'État français à mieux maîtriser le recours aux cabinets de conseil
Dans son premier rapport rédigé à la demande des citoyens, la Cour des comptes plaide lundi pour que l’État français redonne une place "mieux maîtrisée" aux missions de conseil privées, dont l’usage a parfois été "inapproprié" ces dernières années.
Le ton est courtois mais ferme. La Cour des comptes appelle lundi l'État à clarifier les règles encadrant le recours aux cabinets de conseil privés, une pratique qui doit être "mieux maîtrisée" malgré de récents progrès de l'administration.
Plus d'un an après le rapport du Sénat qui avait qualifié de "phénomène tentaculaire" les missions confiées par l'État aux cabinets privés, l'institution de la rue Cambon s'inquiète de certains usages "inappropriés".
La Cour accuse notamment l'État de laisser certains prestataires privés remplir des missions relevant du "cœur de métier de l'administration", voire même "intervenir dans le processus de décision".
Des pratiques dénoncées dès mars 2022 par la sénatrice communiste Eliane Assassi et son collègue Les Républicains Arnaud Bazin.
Leur rapport, sorti à quelques semaines de l'élection présidentielle, avait embarrassé les équipes d'Emmanuel Macron, épinglé pour sa proximité alléguée avec de grands noms du conseil comme le cabinet américain McKinsey.
"Solution de facilité"
De quoi pousser les citoyens français, consultés au printemps 2022 par la Cour des comptes, à demander à l'institution d'enquêter sur les pratiques de l'administration en matière d'achat de conseil.
Dans le rapport publié lundi, elle estime que le recours aux consultants privés a eu tendance à devenir une "solution de facilité" pour une administration aux moyens et aux délais contraints.
Les magistrats financiers insistent : ils n'ont pas "d'objection de principe" à "l'externalisation d'une partie des tâches" de l'administration.
Mais cette externalisation doit retrouver "une place plus ajustée et mieux maîtrisée parmi les différents instruments des administrations pour conduire leurs missions", jugent-ils.
En 2021, les prestations commandées par l'État aux consultants ont coûté 233,6 millions d'euros, soit 0,04 % des dépenses de l'État. En incluant les prestations commandées aux cabinets dans le domaine informatique, la facture grimpe à 890 millions, un total très proche des 893,9 millions recensés dans le rapport du Sénat.
Entre 2017 et 2021, les dépenses de conseil de l'État ont triplé.
La Cour des comptes le concède, les dépenses sont retombées à 200,2 millions en 2022, année durant laquelle le gouvernement a défini par circulaire "une 'nouvelle politique de recours aux prestations intellectuelles', qui introduit, pour l'avenir, de sensibles améliorations".
Mais la circulaire a été diffusée "sous la pression de l'actualité" et doit impérativement être "complétée".
L'État s'est aussi doté d'objectifs chiffrés de réduction de ses dépenses de conseil : -15 % en 2022 et -35 % en 2023 par rapport à 2021.
Réinternaliser les compétences de conseil
Ces cibles donnent un "signal utile" mais "ne sauraient se substituer à des mesures ciblées, décidées après une analyse préalable et documentée des déterminants de la décision d'externaliser certaines prestations", estime la Cour.
En plus de clarifier sa doctrine de recours aux consultants, l'État doit poursuivre ses efforts de réinternalisation des compétences de conseil et faire appel "chaque fois que c'est possible" à ses agents, recommande-t-elle encore.
Toute la question est désormais de savoir si le rapport aura des suites politiques.
Très largement adoptée au Sénat en octobre 2022, une proposition de loi visant à davantage encadrer le recours aux consultants privés attend toujours d'être examinée à l'Assemblée nationale.
Deux députés, issus des groupes communiste et Renaissance, doivent présenter mercredi les conclusions d'une mission d'information sur le champ d'application de la proposition de loi.
Lors des débats au Sénat, le ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini avait en effet suggéré d'étendre le périmètre du texte aux collectivités locales de plus de 100 000 habitants.
Interrogé par l'AFP, un parlementaire de l'opposition voit dans ces débats sur le champ d'application de la proposition de loi une manœuvre dilatoire du gouvernement.
Quant aux cabinets eux-mêmes, leur syndicat Syntec Conseil juge le texte "déconnecté de la réalité" et certaines dispositions inconstitutionnelles.
Avec AFP