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Sports

Judo, boulot, JO ? La course contre-la-montre du Franco-Béninois Valentin Houinato

PORTRAIT Originaire de la région parisienne, le judoka Valentin Houinato espère décrocher la qualification pour les JO 2024 sous les couleurs du Bénin. Pas facile quand on mène une double vie de journaliste et d’athlète de haut niveau. Pourtant, le jeune homme de 27 ans s’accroche et y croit. Rencontre. Pour Valentin Houinato, la route vers Paris 2024 ressemble à un marathon disputé au rythme d'un sprint. Le judoka franco-béninois ambitionne d'être sur le tatami du Champ-de-Mars Arena, le 30 juillet, pour disputer la compétition olympique dans la catégorie des -81 kg. Dans le gymnase Georges-Pompidou de Maisons-Alfort, l’ambiance est détendue même si l'entraînement du club est estampillé "haut niveau". Tout le monde se dit bonjour chaleureusement avant le salut plus solennel du cours. Même lors de l’échauffement, l’heure est à la plaisanterie : une partie de foot d’une trentaine de minutes sur les tatamis durant laquelle s’illustre particulièrement Valentin. Torse nu, le judoka se mue en renard des surfaces un brin opportuniste et tente même une jolie bicyclette. Passé ce prélude, place au judo. La vingtaine de judokas enchaînent les randoris (“combats” en japonais) au sol puis debout sous l'œil attentif de leur coach. Valentin Houinato se donne à fond, profitant de chaque instant pour travailler son redoutable Uchi-mata (littéralement “fauchage par l'intérieur de la cuisse”), sa prise préférée qui lui a permis de remporter plusieurs combats dans sa carrière.  "Tout se joue sur des détails" “Dans le haut niveau, tout se joue sur des détails. Tu peux rater une séquence et ça ne pardonne pas. On travaille beaucoup sur le placement de mes mains. Avoir la main gauche 5 cm plus haut ou plus bas sous l'aisselle, ça peut te permettre de lancer l’attaque qui va faire la différence dans le combat… ou de te faire contrer. On travaille d'arrache-pied là-dessus et on va le faire jusqu’aux JO”, explique-t-il.  "J'ai tellement de souvenirs liés aux JO !" Le natif de Melun, au sud-est de Paris, a des étoiles dans les yeux au moment de les évoquer : "Pour Athènes, j'ai tellement regardé de vidéos d’Ilias Iliadis, champion olympique [grec] dans ma catégorie alors qu’il avait 17 ans, que c'est comme si je m'en rappelais. Pour Pékin, les épreuves étaient en pleine nuit et je descendais l'escalier en bois qui craquait pour regarder. Et Londres, c'était un truc de fou : j'avais eu la chance d'y aller une journée ! Avec une médaille française en plus." "Je veux participer à la plus grande compétition de tous les temps. Les JO, c'est tous les quatre ans…. Tous les meilleurs athlètes du monde sont là. C'est une saveur incomparable", explique le gaillard de 1 m 78. La modestie fait partie des huit valeurs cardinales du judo et Valentin Houinato le reconnaît : il n'aurait jamais pu être sélectionné en équipe de France. "Il y a Alpha Djalo [qui est déjà sélectionné pour les Jeux, NDLR] et même au-delà, je serais sans doute le 10e judoka français dans ma catégorie…", explique le Francilien. Un lien avec le Bénin qui grandit à chaque combat Malgré la concurrence en France, le judoka a toujours voulu participer à des compétitions internationales et c'est finalement une rencontre avec un judoka béninois qui va lui ouvrir les portes du rêve olympique. Il lui propose de rencontrer la Fédération, d'adopter la nationalité sportive et de se lancer. Depuis 2022, passeport béninois en poche, il part à la chasse aux points pour grimper dans la hiérarchie mondiale et surtout africaine : en effet, pour avoir sa place à Paris, il doit faire partie des douze meilleurs combattants du continent. Si au départ, le lien avec le Bénin était tenu, Valentin Houinato voit la connexion avec le pays de son père grandir au fur et à mesure. “Mon père est Béninois mais j’ai grandi avec ma mère, Française et Vendéenne. J’allais au Bénin quand j'étais petit mais j’avais du mal à comprendre cette partie là de mes origines”, admet-il.  “Mais depuis que je combats pour le Bénin, je me sens davantage en contact avec la réalité du pays. Il y a des Béninois partout en France et en Afrique. On n'a pas beaucoup d'athlètes sur la scène internationale, tous sports confondus. Même en foot, c’est compliqué. Mais les gens nous soutiennent à fond”, poursuit le judoka. “Au Bénin, le judo n’est pas un sport très connu, c’est une petite fédération. Mais j’espère qu’on arrivera à susciter des vocations petit à petit.” La chasse à la qualification sans filet L’avantage avec le Bénin, c’est que Valentin Houinato n’a pas à batailler pour être le numéro 1 de son pays. Mais en contrepartie, il doit faire face à une multitude de désagréments. D’ailleurs, la question “Comment la fédération vous aide-t-elle ?” provoque un rire nerveux. “Ils m’inscrivent en compétition. Ils me remboursent les coûts avancés quand ils le peuvent mais il y a quand même pas mal de choses payées de ma poche”, raconte le sportif. “Quand tu arrives en compétition, normalement, tu as juste à te concentrer sur ton poids puis à combattre. Moi, quasiment à chaque fois, il faut que je paye l'hôtel sur place qui n'a pas été réglé, voire réservé. En fait, je ne souffle qu’au moment où j’arrive sur le tapis parce que j’ai réussi à prendre l’avion, aller à l’hôtel, prendre ma chambre, réussir ma pesée… Je souffle alors que c’est le moment où ma concentration devrait être au max”, déplore-t-il.  Une double vie de journaliste Comme de nombreux athlètes espérant disputer les JO, Valentin Houinato ne vit pas de son sport. Avec le peu de soutien financier que peut lui accorder le Bénin, et en l’absence de gros sponsor ou de bourse olympique, le judoka n’a pas le choix, il travaille à côté… Dans un métier intense et chronophage : “Journaliste, c’est peut-être le pire métier pour faire du sport de haut niveau”, résume-t-il froidement avant de détailler son rythme de vie. Sept entraînements par semaine, un suivi médical complet, une préparation mentale et physique quotidienne et un travail de journaliste à temps plein pour la radio France Info. “C'est un avant goût de l'enfer parce que je ne dors pas. Je me lève tôt, je me couche tard. Je vais à la musculation le matin avant de venir à la radio. J’arrive pour la conférence de rédaction, je fais ma journée, et, quand l’actu le permet, je vais directement au judo après”, raconte-t-il.  Dans les couloirs de la Maison de la radio, à Paris, Valentin Houinato est comme chez lui. Les autres journalistes le connaissent et lui demandent des nouvelles de son projet olympique. En parallèle du judo, il balade donc son dictaphone à travers l’Hexagone comme reporter pour France info. Quand il n'est pas sur le terrain ou le tapis, il est  à son bureau avec vue sur la Seine, où aura lieu la cérémonie d’ouverture des JO. Sourire affable, coiffure tressée impeccable, il est aussi à l’aise derrière le micro que sur le tapis.  Radio France le soutient à sa manière : le journaliste anime avec talent un podcast hebdomadaire sur France Inter, "La prépa”. Dans chaque épisode de 3 minutes, il raconte son quotidien et ses sacrifices à la manière d’un message vocal. “Mes objectifs dans la vie étaient de travailler à Radio France et de participer aux JO. Donc, si tout se passe bien en 2024, ça aura été une belle année...”, glisse-t-il en tentant de continuer à voir le verre à moitié plein. “C’est dommage, ce sont mes rêves mais toutes ces difficultés les gâchent un peu.” Sur la corde raide Mais cette longue route vers Paris commence à peser lourdement sur le jeune judoka : “J'ai la chance de ne pas être né trop stressé. Il y a une limite humaine. Tout cela représente une charge mentale incroyable. Il y a une bonne raison si les athlètes professionnels ne travaillent pas à côté”, soupire-t-il. Le journaliste-judoka court en permanence après le temps… Et après les transports. Près d’une heure de métro entre son lieu de travail et son lieu d’entraînement. Il n’est pas rare que ses journées se terminent à 23 h.  Entre le rythme infernal, les double journées, les frais à avancer, la logistique à gérer… Valentin Houinato le concède, il a du mal à s’en sortir et cela commence à se ressentir. De lourdes cernes marquent son visage. Il est à bout.  “J’ai des soucis de sommeil. Pendant longtemps, les médecins m’ont dit que c’était du surmenage et qu’il fallait que je me mette en arrêt de travail. Mais ce n’est pas possible pour des raisons financières. D’autres tests ont indiqué une apnée du sommeil et maintenant, on me parle de syndromes dépressifs… Ça m'a surpris mais c’est vrai que ça y ressemble. Avec les médicaments qu’il m’a donnés, ça va un peu mieux. Mais les Jeux sont dans quatre mois et je compte bien aller jusqu’au bout”, confie-t-il.  Physiquement aussi, la machine commence à craquer. Les derniers podcasts relatent sa bataille contre les blessures : le ligament d’un doigt qui reste gonflé, un tendon du coude arraché, une hanche gauche qui grince et qui devra être opérée après les Jeux… Des complications qui l’ont déjà empêché de participer à plusieurs tournois en mars. En attendant, le guerrier cache la douleur au lieu de soigner les maux.  “Si tu t'arrêtes six semaines, il te faut au moins un mois d'entraînement complet pour retrouver ton niveau”, soupire-t-il en serrant les dents, la douleur se réveillant en plein entraînement. Alors que les combats s’enchaînent, Stéphane Trompille garde un œil attentif sur les mouvements effectués par Valentin Houinato. Car en plus du travail technique, il doit parfois tempérer l’ardeur de son élève. “C’est jamais évident avec les Jeux dans quelques mois. On a envie de se donner à 100 %. Donc à moi de lui demander du calme et de ne pas aggraver la blessure”, explique l’entraîneur du club de Maison-Alfort qui suit de près le projet olympique de Valentin. “Valentin a une situation professionnelle et un projet olympique, ce qui donne un emploi du temps bien chargé. Mais il aurait une grosse marge de progression s’il venait à se consacrer intégralement au judo”, veut croire son entraîneur. Ne pas être à Paris pour faire de la figuration Actuellement, malgré les tournois manqués en mars, le judoka est dans les clous pour être de la fête à Paris. Mais il lui reste deux échéances qui comptent particulièrement pour la qualification : les championnats d'Afrique fin avril en Égypte et les championnats du monde à Dubaï à la mi-mai. S'il parvient à défendre sa place dans le top 12 continental, alors le Grand-Palais éphémère s'ouvrira à lui. Superstitieux, Valentin Houinato refuse de se projeter jusqu'aux JO tant que la qualification n'est pas officiellement validée. Mais dans sa tête, s'il va jusque-là,  pas question de faire de la figuration aux JO. "Certains diront que je suis fou mais je ne veux pas juste participer et perdre au premier tour. Je pense que sur une journée où tu es en forme, où les planètes sont alignées, où tu es à 100 %. Tout est possible", veut-il croire. Valentin Houinato ne perd pas de vue sa vocation de journaliste non plus et espère qu’il pourra mener les deux de front durant la quinzaine olympique : “Il ne faut pas que je perde de vue mon objectif sportif mais en juillet, il y aura des émissions spéciales. Dans l’idéal, j’aimerais quand même continuer à faire de la radio même pendant les JO”. “Si tout se passe bien, après mon tournoi, il restera 10 jours de compétition. J'aurais envie de couvrir pour la radio, sur les réseaux sociaux ou sur l'antenne. En plus, j’aurais mon accréditation d’athlète”, dit-il en riant. Chasser l’optimisme de Valentin Houinato, il revient au galop.

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