Jean-Louis Trintignant est mort : le monstre sacré du cinéma avait 91 ans
Le légendaire acteur Jean-Louis Trintignant, grand Monsieur du cinéma tricolore, vient de nous quitter. Il est mort le 17 juin 2022.
"Je n'étais pas très gai. Je pensais déjà beaucoup à me suicider enfant, déjà. Je n'ai pas été gâté par l'optimisme. [...] Je revois cette époque avec beaucoup de tendresse. Il y a des gens que j'ai beaucoup aimé. Je n'ai pas eu le temps de le leur dire" expliquait Jean-Louis Trintignant, disparu à 91 ans ans le 17 juin 2022, à Laurent Delahousse en mai 2018. Né le 11 décembre 1930 à Piolenc dans le Vaucluse, Jean-Louis Trintignant est profondément marqué par son enfance. Le retour de son père industriel, Raoul, sur un char américain, les violences subies par sa mère Claire, tondue à la Libération pour avoir eu une histoire d'amour avec un Allemand. Le reproche cinglant de son père qui le blâmait de n'être pas intervenu dans l'idylle de sa mère. La reprise tumultueuse du couple de ses parents. "Ils sont restés encore 20 ans ensemble. Ça a été 20 années terribles."
Jean-Louis Trintignant : "Une vie de beau mec"
Devenu étudiant en droit, jeune homme timide bien que d'une beauté irréelle — lui préfère dire qu'il était "joli" — il plaque tout en 1949 après avoir vu une représentation de L'Avare pour suivre des cours de comédie à Paris. Il débutera en 1951 sur scène et en 1956 au cinéma dans Si tous les gars du monde signé Christian-Jaque. À l'époque, Jean-Louis Trintignant venait de quitter Stéphane Audran qu'il avait épousé en 1954. Sur le tournage de Et Dieu... créa la femme, le timide Jean-Louis Trintignant se consume d'amour pour Brigitte Bardot alors mariée au réalisateur Roger Vadim. Être aimé par celle qui était considérée comme l'une des plus belles femmes du monde lui fait un bien fou à l'ego. "J'ai eu une vie de beau mec, un peu prédateur." épiloguera Jean-Louis Trintignant. Mais, à peine sous les feux des projecteurs, Jean-Louis Trintignant en sort. Direction le service militaire en Algérie. Un traumatisme qu'il mettra longtemps à surmonter d'autant plus aggravé que le jeune comédien, lors d'une permission, constatera de visu que sa belle Bardot l'a oublié pour nouer une brève aventure avec Gilbert Bécaud.
Autant que Belmondo et Delon
À son retour trois ans plus tard, c'est le peu rancunier Vadim — dont le couple avec Bardot avait pourtant explosé à cause de lui — qui lui remet le pied à l'étrier avec Les liaisons dangereuses (1960). Sa carrière prend une envergure incroyable grâce au Un homme et une femme de Claude Lelouch, couronné d'une Palme d'or en 1966 et d'un Oscar du meilleur film étranger. Jean-Louis Trintignant enchaîne alors, à une allure quasi-industrielle, les tournages : avec pas loin de soixante films en 20 ans, il tourne presque autant que Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon !
Amours et drames
Il joue avec les plus grandes, qu'il s'agisse de Jeanne Moreau, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert ou Fanny Ardant. Il en aime certaines comme Romy Schneider dont il s'éprend en secret et brièvement en 1973 sur le tournage du film Le train. Il s'immerge aussi avec gourmandise dans des rôles beaucoup plus sombres, peut-être mieux ajustés à cette profonde mélancolie qu'il éprouve ou cultive depuis l'enfance. En 1961, Jean-Louis Trintignant s'est marié à Nadine Marquant qui lui donnera trois enfants. Marie, Pauline et Vincent. Le couple Jean-Louis et Nadine Trintignant vivra plusieurs drames terribles avant de se séparer bons amis au début des années 80. La mort de leur seconde fille Pauline, emportée dans son berceau à quelques mois en 1970, un chagrin que Nadine Trintignant portera à l'écran dans le film Ca n'arrive qu'aux autres. En 2003, une autre abominable perte survient : sa fille aînée Marie Trintignant, dont il avait toujours été très proche, meurt, battue à mort par son compagnon Bertrand Cantat. Des années après, en 2018, Jean-Louis Trintignant témoignera auprès de Laurent Delahousse que la béance laissée par la mort de Marie ne s'est jamais affaiblie. "C'est arrivé en 2003. Ça m'a complètement détruit, je n'arrive pas à m'en remettre. Mais, en même temps, on est fait de nos bonheurs et de nos drames. [...] je vais de plus en plus mal depuis 15 ans."
Pour l'amour de la vitesse
Dans les années 80, Jean-Louis Trintignant se lasse des tournages qui deviennent beaucoup plus parcimonieux (Trois couleurs Rouge, Ceux qui m'aiment prendront le train) et leur préfère sa maison d'Uzès dans le Gard ou, plus tard, sa propriété viticole de Vergèze, achetée en 1996. Le comédien reste prolixe en théâtre et rencontre sa future nouvelle compagne, Marianne Hoepfner, ex-pilote professionnelle de rallye. Trintignant, lui aussi grand amateur de courses automobiles depuis des lustres, participera aux 24 h du Mans en 1980 et en 1984 au Rallye de Monte-Carlo avec Marianne Hoepfner. Sa passion pour la grande vitesse lui coûtera cher. Un crash à 325 km/h manque de le tuer dans ses jeunes années. Un autre accident, cette fois de moto et à 60 ans, lui laisse un genoux fragilisé et lui impose l'utilisation d'une canne.
Long silence et retour en prince
Les films et les collaborations passent mais, au final, Jean-Louis Trintignant n'en chérira que très peu. En 2016, le comédien expliquait à Libération que "sur 130 [films], il y en a 10 [que je préfère]. Le conformiste de Bertolucci, Ma nuit chez Maud de Rohmer, Un homme et une femme..." Puis survient une longue interruption cinéma. Quatorze ans sans plus tourner avant de revenir en prince dans le film Amour, Palme d'or 2012, qui lui vaudra un César du meilleur acteur. À propos d'Amour, Jean-Louis racontait en feignant plaisanter : "J'ai dit à la productrice : je ne peux pas faire le film. Je vais me suicider. La productrice m'a répondu : "Faites le film d'abord, vous vous suiciderez après." Elle avait raison, le film m'a fait du bien."
En 2018, le visage parcheminé et tiré face aux caméras de France 2, frappé par un cancer qu'il avait révélé en 2017, l'éternel pessimiste qu'était Jean-Louis Trintignant, profitait d'un spectacle musical de lectures à Lyon, pour livrer sans tristesse un froid constat : "Quand je suis sur scène, ce sont les plus heureux moments de ma vie. Ça et quand je dors, quand je ne pense à rien. J'oublie que je suis vieux."