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"Il était le Brésil" : avant la veillée funèbre de Pelé, son fief de Santos se souvient

REPORTAGE Pelé a passé la majorité de sa carrière et de sa vie à Santos, une ville portuaire au sud de Sao Paulo. Une veillée funèbre aura lieu lundi dans le stade où il a accompli certains de ses exploits, mais les habitants n'ont pas attendu sa dépouille pour lui rendre hommage. Reportage. Sous le soleil écrasant de l'été tropical, les résidents et touristes de passage à Santos prennent deux directions diamétralement opposées en ce dimanche 1er janvier. Une grande partie se dirige vers le Sud et le front de mer de cette station balnéaire prisée par les habitants de Sao Paulo. Le reste se dirige vers le Nord, maillot du Brésil ou du Santos FC sur le dos, pour rendre hommage à la légende du football Pelé qui a évolué quasiment toute sa vie sous les couleurs noires et blanches locales. Aux abords du stade Vila Belmiro, l'heure est aux derniers préparatifs. Le lendemain, lundi 2 janvier, la dépouille du "Roi" sera transférée de l'hôpital Albert-Einstein ou il a passé ses derniers jours vers l'enceinte de 16 000 places pour une veillée funèbre grandiose, à la hauteur de sa place dans le panthéon du football. Les employés du Santos FC s'affairent pour déployer des kilomètres de barrières afin d'accueillir la foule qui viendra rendre un dernier hommage à son héros. Plus loin, ce sont des groupes de supporters qui viennent étendre des bâches dans le stade. "Ça va être la folie”, glisse un journaliste local. “Il n’y aura jamais assez de place pour tout le monde.” >> À lire aussi : Pelé et Maradona : frères ennemis pour l'éternité Certains, trop pressés, ne font qu’un arrêt rapide aux abords du stade. Un stationnement en double file à côté de l’enceinte, le temps de prendre un selfie familial qui ira nourrir les réseaux sociaux avant de repartir profiter de la douceur de ce jour de l'An. Mais d'autres prennent le temps de réfléchir à la place de la légende dans leur vie et celle de leur pays. "C'est un sentiment d'union" À l'image de Ruan et Gabriela, jeune couple venu de Sao Paulo. "Nous sommes ici car c’est un moment historique. Pelé est une légende. Il a transcendé le football et il a laissé une trace partout où il est passé", raconte le designer de 28 ans, originaire de Bauru, là où le "roi" a fait ses premiers pas de footballeur. "Je suis devenu supporter de Santos à cause de mon grand-père qui était fan de Pelé. Et je pense que tous les pères et grands-pères qui ont vu jouer le 'roi' ont transmis ça aux générations suivantes. La légende de Pelé va continuer." "J’ai beaucoup réfléchi à ce qui nous amène ici et, selon moi, c’est le sentiment d’union que procure le football”, continue Gabriela, journaliste institutionnelle pour une marque de voiture. "Pour moi, le ballon rond est une connexion avec ma famille. Le football me rapproche de mon père. Et même si je ne suis pas le football en permanence, ce lien nous rapproche. Pelé a permis aux gens de se rapprocher malgré leurs équipes et leurs différences." À la porte numéro 10, le numéro que Pelé a arboré tout au long de sa carrière et contribué à élever au rang de mythe, un mémorial s’est improvisé au pied de la statue du seul homme ayant remporté trois Coupes du monde football. Des fleurs et des couronnes ont été déposées, beaucoup de passants viennent s’y recueillir un moment. Un grand homme avec du temps pour tout le monde Ana Varela observe l’agitation qui a gagné le quartier. Elle habite en face de l'entrée principale du stade, une maison verticale bleue et rouge. Elle est la présidente et fondatrice de la Torcida Seria Santista, le tout premier groupe de supportrices du Brésil. Cette femme de 65 ans n'a vu jouer qu'une seule fois Pelé, il y a bien longtemps dans les années 1970, mais elle le place plus haut que tout. "Il était ami avec le ballon. Le ballon le comprenait et il comprenait le ballon", métaphorise-t-elle, maillot de Santos FC sur le dos. "Il était comme un GPS : il savait en permanence où il était sur un terrain ainsi que ses coéquipiers, ses adversaires et le ballon. Surtout, il a emmené Santos et le Brésil dans le monde entier." Cette dame aux cheveux gris se souvient surtout de l’homme derrière la star. Car après avoir si longtemps brillé sur la pelouse de Vila Belmiro, le Brésilien avait ses habitudes dans le quartier. "C’était aussi un grand homme. Il avait du charisme mais attirait les gens par sa simplicité. Il parlait avec tout le monde. Il prenait toujours le temps de s’arrêter. Il donnait de l’attention. Il signait tous les autographes, prenait des photos. Il était humain, il se comportait pas comme une star. Et tout ça faisait de lui ce qu’il était : le meilleur de tous", énumère-t-elle, légèrement émue.  Santos FC dans la peau L’"Allemand" ne dit pas autre chose. Alberto Francisco de Oliveira, de son vrai nom que personne n’utilise, tient le bar attenant au stade. Un haut lieu de rassemblement des inconditionnels du maillot noir et blanc. Le tenancier de l’échoppe est lui un fan absolu du club. Il s’est fait tatouer sur les bras un écusson du club daté pour chaque victoire au championnat régional décroché par Santos depuis qu’il les suit. Et au milieu du front, un autre écusson, dû à un pari celui-ci. “En 2006, j’avais promis à l’entraîneur de me tatouer à un endroit où personne ne mettait de tatouage s’ils étaient champions. Ils l’ont été et je me suis donc tatoué la tête”, raconte ce personnage haut en couleur. "Mais s'il n'y avait pas eu Pelé, j’aurais supporté une autre équipe. C’était un joueur différent. Sur le terrain, c’était un monstre. Ses dribbles, ses tirs. Personne n’arrive à ses pieds. Ce qu’il faisait avec le ballon, c’est quelque chose que personne n’osait imaginer." Il concède que le quartier est marqué par la disparition de l’icône du football. Didi, le célèbre "coiffeur de Pelé" dont l’échoppe est collée au bar, a fermé le rideau dès qu’il a entendu la nouvelle. "C’est une nouvelle très triste pour finir l’année. Ça va être deux jours très difficiles…", explique le barman.  "C’est la vie… Mais si Edson Arantes do Nascimento est parti, Pelé lui est éternel", préfère penser sa voisine. Alors que le pays est divisé, "il y a eu une union à travers lui. Vous voyez tout ces gens ? Ils sont venus simplement pour lui dire au revoir. Je n’ai pas de mots." Pelé a placé Santos sur la carte En plus d’unir le pays, Pelé a placé Santos sur la carte du football brésilien. Avec sa star, l'équipe de la modeste ville portuaire a concurrencé les grosses écuries de Sao Paulo - les Corinthians, Palmeiras et autres Sao Paulo FC. Avec lui, le club a gagné - entre autres - dix fois le championnat régional, deux Copa Libertadores, deux Mondiaux interclubs... La renommée du "roi" lui a même fait dépasser les frontières du Brésil avec des invitations à se mesurer à des clubs en Italie, en Angleterre, en Afrique... Il est donc logique que pour son dernier voyage, Pelé ait choisi sa ville d'adoption. Il est arrivé à Santos à l'âge de 15 ans avant d'y jouer 18  années (1956-1974), marquant 1 091 buts en 1 116 matches. Si sa carrière s'est conclue par une pige à New York, il n'a jamais vraiment quitté cette ville. Malgré sa mort, il y est encore partout : une statue en centre-ville, sur les banderoles qui disent "Obrigado rey" ("Merci le roi"), sur des immenses fresques à son image ou encore sur les bâtiments qui portent son nom, comme le centre de formation de Santos FC. Après la veillée funèbre de 24 heures, le "roi" va parcourir une dernière fois ce fief qu’il a tant aimé au sein d’un cortège triomphal qui le portera du stade de Santos FC aux quatre coins de la ville sous les acclamations de la foule, passant notamment devant la maison de sa mère, qui va sur ses 100 ans. Pour finalement revenir à 500 mètres de son point de départ : il sera inhumé à la nécropole verticale œcuménique de la ville et reposera au neuvième étage, dans le mausolée familial, l'œil sur le terrain qui l’a rendu célèbre. Pour l’éternité.

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