Faut-il craindre une vaste offensive russe en Ukraine au cœur de l'hiver ?
l'hiver comme arme de guerre
Kiev affirme que la Russie se prépare à lancer une "vaste offensive terrestre" en Ukraine durant l'hiver.
Les responsables ukrainiens ne cessent de l'affirmer : la Russie prépare une “vaste offensive d’hiver”. Une perspective qui peut sembler étonnante pour une armée russe souvent présentée comme un contigent en piteux état. Mais à défaut d’un assaut d'envergure, Moscou pourrait effectivement profiter de la période pour mener des attaques localisées.
Malgré la neige, le froid et les récents succès militaires ukrainiens, la Russie se préparerait à lancer une offensive majeure cet hiver, martèle, depuis le 14 décembre, des responsables ukrainiens auprès des médias internationaux.
Les Russes “sont en train de planifier des attaques d’ampleur menée par l'infanterie", a assuré Mykhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, au New York Times, dimanche 18 décembre. Trois jours plus tôt, le dirigeant ukrainien et son chef des armées, Oleksandr Syrsky, faisait le même constat dans un article du magazine The Economist.
Opération de communication ukrainienne ?
Il serait même question, d’après certains responsables militaires ukrainiens, d’une nouvelle tentative russe de prendre Kiev avant la fin de l’hiver, souligne le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. Valeri Zaloujny, commandant en chef des armées ukrainiennes, a ainsi indiqué que les Russes pourraient intensifier leur effort dans le Donbass, viser la ville de Dnipro (au nord de Zaporijia) ou même tenter d'atteindre Kiev depuis la Biélorussie.
Des affirmations ukrainiennes qui ont de quoi surprendre. La plupart des observateurs qui suivent l’évolution du front en Ukraine, tel que l’Institute for the Study of War (Institut américain d’études sur la guerre), soulignent depuis des semaines que l’armée russe renforce actuellement ses positions défensives.
La succession de revers militaires russes ces dernières semaines - dont la perte notable de Kherson début novembre - et les rapports sur le manque chronique d’équipements des soldats russes suggèrent aussi qu’une sorte de trêve hivernale aurait pu permettre aux Russes de se renforcer. “Ils n’ont clairement pas les moyens logistiques de mener une opération d’envergure actuellement”, assure Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.
D’où l’hypothèse que Kiev a pu noircir quelque peu le tableau pour s’assurer que les pays occidentaux continuent à envoyer du matériel militaire à l’Ukraine, souligne le New York Times.
Ce ne serait d’ailleurs pas étonnant que Kiev brandisse avec tant de véhémence le spectre d’une “vaste offensive terrestre” à venir, suggère Huseyn Aliyev, spécialiste du conflit ukraino-russe à l'université de Glasgow. “Les Occidentaux envoient actuellement essentiellement de quoi renforcer les défenses anti-aériennes pour contrer les bombardements russes, mais avec les combats autour de la ville de Bakhmout [dans l’est de l’Ukraine, NLDR], et la possible volonté de lancer une nouvelle contre-offensive, Kiev a aussi besoin de matériel terrestre, comme des tanks et des munitions”, souligne Huseyn Aliyev.
Des généraux russes qui veulent sauver leur poste
Pour autant, les avertissements au sujet d’une “offensive d’hiver” russe ne sont pas forcément qu’une vaste opération de communication. “On assiste actuellement à une intensification de mouvement de troupes et d’équipement vers des positions, en Russie, proche de la frontière”, affirme Sim Tack, un analyste militaire pour Forces Analysis, une société de surveillance des conflits.
Cet expert a lui-même observé une concentration récente de nouveaux véhicules blindés et la construction de tentes autour de bases militaires proches de la ville de Rovenki, à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne entre Kharkiv et Louhansk. “Il est possible que le même phénomène se produise actuellement dans d’autres bases militaires à la frontière russo-ukrainienne actuellement”, précise ce spécialiste.
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Ce déploiement d’équipement et de nouvelles troupes peut être un signe avant-coureur, mais “il peut également s’agir simplement de l’envoi de matériel et d’hommes pour renforcer les lignes de défenses”, tient à nuancer Sim Tack.
L’idée d’une offensive d’hiver tient aussi la route d’un point de vue politique en Russie. “Après les récents revers de l’armée russe, le Kremlin cherche des boucs émissaires, et beaucoup de généraux voudront rapidement obtenir un quelconque succès militaire pour prouver qu’ils restent utiles”, note Jeff Hawn.
Cela est d’autant plus urgent que des figures en marge du monde militaire russe traditionnel - comme Evgueni Prigojine, le patron du groupe de mercenaires Wagner, ou le leader militaire tchétchène Ramzan Kadyrov - essaient de convaincre Vladimir Poutine qu’ils pourraient faire mieux que l’état-major en place.
La morsure de l'hiver
Ces militaires voudraient aussi attaquer au plus vite car “ils savent que l’avantage technologique ukrainien, dû au soutien occidental, ne fera que croître au fur et à mesure que les réserves de matériel militaire s’épuiseront en Russie”, explique Jeff Hawn.
Quitte à affronter le grand froid en Ukraine. Tous les experts interrogés par France 24 s’accordent à dire que l’armée russe devrait davantage pâtir de l’hiver que les forces ukrainiennes. “Les Ukrainiens ont des équipements plus modernes et fiables, tandis que les Russes ne disposent plus de suffisamment de vivres pour tenir longtemps sur le front”, note Sim Tack.
C’est l’une des raisons pour laquelle la perspective de plusieurs offensives russes pour reprendre des villages ou des villes - mais pas une grande attaque sur tout le front - semble crédible à ce spécialiste. Les troupes russes préfèreront passer l’hiver dans des villes plutôt que dans des abris de fortune construits en rase campagne. À cet égard, “la bataille de Bakhmout est exemplaire de ce qui pourrait se préparer : cette ville est non seulement une porte pour pousser l’offensive vers les cibles stratégiques de Sloviansk ou Kramatorsk, ce pourrait aussi être une base arrière pour les forces russes durant l’hiver”, résume Sim Tack.