Guerre en Ukraine : volte-face et ambiguïtés des candidats Mélenchon, Roussel, Le Pen et Zemmour
ÉLYSÉE 2022
Le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine a obligé Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Marine Le Pen et Éric Zemmour a faire évoluer leur discours sur Vladimir Poutine et la Russie.
Opération volte-face en cours. Jusque-là, les positions concernant le conflit ukrainien de Marine Le Pen, Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel semblaient inébranlables : pas d’alignement sur les États-Unis et une sortie rapide du commandement intégré de l’Otan. Sauf que l'invasion russe en Ukraine est venue semer le trouble dans les discours très tranchés de ces prétendants à l’Élysée. À 41 jours de la présidentielle, ces candidats jugés conciliants avec la Russie, à gauche comme à droite, tentent donc de négocier un virage périlleux.
L’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, qui affichait depuis le début de la campagne un certain penchant pour Moscou, s’est vu contraint de condamner, le 25 février, l’attitude de Vladimir Poutine. "La Russie agresse l’Ukraine, manifestant une volonté de puissance sans mesure, a-t-il déclaré lors d’un déplacement à La Réunion. La Russie (…) crée le danger immédiat d’un conflit généralisé qui menace toute l’humanité."
"Jamais en retard d’une complaisance vis-à-vis de Poutine"
Pourtant, celui qui a soutenu l’intervention russe en Syrie en 2015 ne tenait pas les mêmes propos dans un entretien accordé au Monde et publié le 18 janvier. "Les Russes mobilisent à leurs frontières ? Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ?", lâchait-il, rappelant plus tard sur TF1 que la France devait être "non alignée, ce qui signifie que ni les Russes ne doivent entrer en Ukraine, ni les Américains ne doivent annexer l'Ukraine dans l'Otan".
Jean-Luc Mélenchon se défend pourtant de tout revirement politique. "Depuis le début, je dis que si vous essayez d'établir l'Otan à la frontière de la Russie, en Ukraine, vous aurez un incident majeur", s’est-il justifié vendredi sur France Info. D'ailleurs, le député des Bouches-du-Rhône, qui prône la "désescalade", n’appelle toujours pas à de quelconques sanctions contre la Russie. Tout comme il se refuse de qualifier le président russe de dictateur, préférant le terme d'"autocrate". Une position peu claire que ses adversaires n’ont pas manqué de fustiger. Jean-Luc Mélenchon n’est "jamais en retard d’une complaisance vis-à-vis de Poutine", a persifflé Yannick Jadot dans un communiqué publié vendredi. "Il reprend à son compte les arguments de la propagande russe selon lesquels, au fond, Poutine aurait été poussé par l’Otan à agresser militairement l’Ukraine."
Mêmes acrobaties politiques chez Fabien Roussel. Quelques jours avant l’invasion russe, le candidat communiste plaidait pour un non-alignement aux grandes puissances : "Il y a l’ours de la taïga, et (…) les faucons américains (…) qui poussent depuis des années pour que l’Ukraine rejoigne l’Otan." Mais depuis jeudi matin, le député du Nord condamne lui aussi l’attitude de Moscou : "Le président russe fait le choix de la guerre. Il décide de violer les règles internationales. Tout doit être fait pour le retour de la paix !" Pourtant, Fabien Roussel n’a pas levé toutes les ambiguïtés de ses positions concernant la Russie. Comme Jean-Luc Mélenchon, il n’évoque pas de sanctions vis-à-vis de Moscou, ni de retrait des troupes russes du territoire ukrainien.
La pirouette de Marine Le Pen
À l’extrême droite aussi, la rhétorique a également changé. Marine Le Pen, qui avait déclaré en 2011 dans le journal russe Kommersant qu'elle "admirait" Vladimir Poutine, a elle aussi regretté "l’acte d’escalade". "Aucune raison ne peut justifier le lancement d'une opération militaire contre l'Ukraine par la Russie qui rompt l'équilibre de la paix en Europe. Elle doit sans ambiguïté être condamnée", a-t-elle fait savoir le 24 février dans un communiqué. Contrairement à Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel, elle a pour sa part dit souhaiter "le retrait des troupes russes de l’Ukraine".
Fin mars 2017, Vladimir Poutine avait pourtant reçu Marine Le Pen en pleine campagne présidentielle. Celle qui était alors la candidate du Front national s'était exprimée à cette occasion sur les sanctions infligées à la Russie dans le cadre du conflit ukrainien, après l'annexion de la Crimée en 2014. Le ton était tout autre. Plus récemment, en janvier, invitée à signer une déclaration commune avec ses alliés nationalistes européens, Marine Le Pen avait refusé de parapher le passage condamnant les actions militaires russes.
Il faut dire que son parti doit beaucoup à la Russie. En 2014, le Front national avait emprunté quelque 9,4 millions d’euros auprès d’une banque privée russe après avoir essuyé le refus de plusieurs établissements bancaires français. Interrogée vendredi sur BFMTV sur ses liens avec la Russie, et notamment sur le prêt russe de 2014, Marine Le Pen a fermement nié être un relais du pouvoir de Vladimir Poutine en France. "J'ai été l'une des seules responsables politiques à essayer de conserver une équidistance entre les États-Unis et la Russie (…). Le simple fait de conserver cette équidistance entraîne cette accusation", a objecté la candidate, raillant les responsables politiques "extrêmement dépendants de la vision américaine".
"Je rêve d'un Poutine français"
Changement de paradigme aussi notable chez Éric Zemmour. Celui qui affirmait encore en décembre sur France 2 que "la Russie n'envahirait pas l'Ukraine", dénonçant la "propagande" américaine, a lui aussi dû se résoudre à blâmer l’attitude de Moscou. "Je condamne sans réserve l'intervention militaire russe en Ukraine", assurait jeudi le candidat de Reconquête! lors de sa conférence de presse.
Ses prédictions ratées s'expliquent peut-être par l’admiration qu'il voue au président russe. "Je rêve d'un Poutine français", confessait-il en 2018 lors d'un entretien à L'Opinion. "Je suis pour l'alliance russe. Je pense que c'est l'allié qui serait le plus fiable", ajoutait-il en septembre dernier sur CNews. "Vladimir Poutine est un patriote russe. Il est légitime qu'il défende les intérêts de la Russie", assurait également début février le pamphlétaire sur France Inter.
Ceci explique pourquoi le candidat russophile s’est aussitôt empressé de condamner les autres acteurs du conflit : l’Europe, l’Otan et, plus généralement, "chacun de nous". "Nous sommes tous responsables, nous devons comprendre les revendications russes contre l'expansion", a-t-il ajouté, cherchant à dédouaner Vladimir Poutine. Pas étonnant que le candidat d’extrême droite plaide pour un "traité consacrant la fin de l'expansion de l'Otan". Des positions qui ne sont pas nouvelles. Dans son livre "Un quinquennat pour rien", publié en 2016, il prétendait déjà que "l'Ukraine n'existe pas", car "l'Ukraine moderne est un pays de bric et de broc".