news-details
Actualités

En marchant contre l’antisémitisme, Marine Le Pen fait un pas de plus vers sa normalisation

EXTRÊME DROITE La participation dimanche à la marche contre l’antisémitisme de Marine Le Pen et du Rassemblement national, un parti au passé antisémite, est un pas de plus dans la stratégie de normalisation de ce parti d’extrême droite, qui bénéficie de plus en plus de la reconnaissance de la classe politique. Marine Le Pen, entourée de Sébastien Chenu (à gauche) et Jordan Bardella (à droite), le 12 novembre 2023, sur l'esplanade des Invalides lors de la marche contre l'antisémitisme organisée à Paris. Malgré quelques insultes et un défilé en queue de cortège, c'est cette image qui restera : Marine Le Pen applaudie lors de son arrivée à la marche contre l’antisémitisme. L’image est saisissante et en dit long sur le chemin parcouru par le Rassemblement national (RN) sur la voie de la normalisation. Car même s’il n’y avait en réalité pas grand monde pour accueillir chaleureusement les élus du RN, dimanche 12 novembre, sur l’esplanade des Invalides, la simple présence de ce parti à une telle marche constitue un revirement majeur. En 2018, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale avait déjà voulu participer à une marche blanche en hommage à Mireille Knoll – cette octogénaire assassinée à son domicile parisien parce que juive –, mais avait dû être exfiltrée sous les sifflets. Cinq ans et demi plus tard, le Rassemblement national a pu participer à la marche contre l’antisémitisme dans un calme relatif. En parallèle, il n'a pas hésité à multiplier les paroles pour se présenter comme un garant de la lutte contre l'antisémitisme. "Je regrette l'absence du président de la République, parce que je pense que sa présence aurait permis d'accorder plus de poids à cette cause qu'est la lutte contre l'antisémitisme", a ainsi déclaré son président, Jordan Bardella, lundi 13 novembre sur RTL, au sujet de la décision d’Emmanuel Macron de ne pas participer à la marche. Une poignée de militants de l'organisation juive de gauche Golem a bien tenté de s'opposer à la présence du RN, avant d'être rapidement contenue par la police. Et les responsables socialistes, communistes et écologistes ont, eux, voulu créer un "cordon républicain" pour séparer l'extrême-droite du reste des manifestants. La Première ministre Élisabeth Borne a de son côté estimé sur X que "la présence du Rassemblement national ne trompe personne", allant dans le sens de ceux qui rappelaient depuis plusieurs jours l’histoire de ce parti, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen et un ancien Waffen-SS, Pierre Bousquet. Édouard Philippe ne fait "pas le tri des bonnes volontés" Car en déclarant le 5 novembre sur BFMTV que le père de Marine Le Pen n’était pas antisémite, Jordan Bardella a provoqué une tempête médiatique dont son parti se serait bien passé. Toutes les saillies antisémites de Jean-Marie Le Pen ont alors été exhumées des archives : de la Shoah considérée comme "détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale" au jeu de mot avec le nom du ministre Michel Durafour ("crématoire") en passant par la prochaine "fournée" promise à Patrick Bruel. Mais ce rappel des faits n’a pas empêché de nombreux Français de considérer que le Front national, devenu Rassemblement national en 2018, avait toute sa place dans la marche contre l’antisémitisme. Ainsi, 45 % d'entre eux jugeaient la présence du RN à la marche contre l'antisémitisme "légitime" et ils étaient 59 % à réprouver le refus de certaines personnalités politiques de défiler au côté du RN, selon un sondage Backbone-Odoxa Consulting pour Le Figaro. La France insoumise, en particulier, n'a pas souhaité participer à cette marche en raison de la présence du RN, mais aussi du parti Reconquête d'Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon jugeant sur X que "les amis du soutien inconditionnel au massacre [avaient] leur rendez-vous", en référence aux nombreux civils tués par Israël dans la bande de Gaza. Une partie de la classe politique a d'ailleurs ouvertement salué l'évolution du Rassemblement national, dont l’ancien Premier ministre Édouard Philippe. "Le fait que le Rassemblement national dise de façon explicite, peut-être désormais, qu'il lutte contre l'antisémitisme est quelque chose à prendre en compte. Je ne fais pas le tri des bonnes volontés qui veulent lutter contre l'antisémitisme", a déclaré dimanche, sur BFMTV, l’actuel favori des sondages dans le camp macroniste pour la présidentielle de 2027. Or, c’est bien là que réside le tour de force de Marine Le Pen. Faire oublier le passé de son parti, écarter les personnalités susceptibles de causer du tort, veiller à présenter des candidats "propres" aux élections est une chose, mais se faire accepter par le reste de la classe politique en est une autre. Le soutien à Israël, un coup politique à trois bandes Cette mission semble ainsi désormais quasi accomplie. Depuis juin 2022, Marine Le Pen et ses 87 députés font tout pour apparaître respectables à l’Assemblée nationale. Ils ont été bien aidés en ce sens par l’exécutif et la majorité présidentielle, d’une part, qui ne cessent depuis 2017 de présenter le Rassemblement national comme leur unique adversaire tout en diabolisant La France insoumise (LFI) ; et par le leader des insoumis Jean-Luc Mélenchon, d’autre part, qui, par ses multiples sorties jugées outrancières jusque dans les rangs de ses alliés de la Nupes, fait apparaître chaque jour un peu plus Marine Le Pen comme présidentiable. Le soutien sans faille apporté par le RN à Israël après l’attaque du Hamas du 7 octobre, quand, dans le même temps, les députés insoumis refusaient de qualifier le Hamas de groupe terroriste, a constitué en cela un coup à trois bandes. Celui-ci lui a permis de se débarrasser de l’étiquette de parti antisémite, d’intégrer pleinement ce que la majorité appelle "l’arc républicain" et de diaboliser encore davantage LFI. "Ceux qui soutiennent l’insoutenable, l’excusent ou le relativisent, et dont certains siègent sur ces bancs, attentent aux valeurs humaines", affirmait ainsi Marine Le Pen dans l’Hémicycle, le 10 octobre, sous les applaudissements de ses députés, mais aussi des députés Les Républicains et d’une partie des députés Renaissance. Résultat : le regard porté par les Français sur le Rassemblement national évolue. Le parti de Marine Le Pen est désormais vu comme un parti proche des préoccupations des gens par 40 % des Français – ils n’étaient que 30 % à le penser en juin 2017 – et comme un parti capable de gouverner le pays par 44 % des Français – contre 25 % seulement en juin 2017, selon l’enquête "Fractures françaises" publiée en octobre 2023 et menée par Ipsos / Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne. De même, à la question "le RN est-il un parti dangereux pour la démocratie ?", à peine un Français sur deux (52 %) répond par l’affirmative, un chiffre en diminution de 9 points par rapport à 2020.

You can share this post!