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Emmanuel Macron face aux agriculteurs : comment faire converger des intérêts contradictoires ?

MISSION IMPOSSIBLE Emmanuel Macron a prévu samedi un grand débat au Salon de l’agriculture. Il tentera d’éteindre une crise qui dure depuis de longues semaines, malgré plusieurs annonces gouvernementales. Mais il aura face à lui de nombreux acteurs aux intérêts divergents, qu'il sera très difficile de mettre d'accord et qui soulignent régulièrement les propres contradictions du président. La rencontre promet d’être électrique. Le président de la République, Emmanuel Macron, inaugurera le Salon international de l’agriculture (SIA), samedi 24 février, avec "un débat sans filtre et à bâtons rompus", selon la formule de l’Élysée, avec les agriculteurs. La colère de ces derniers, qui a culminé fin janvier avec plusieurs autoroutes bloquées, n’est que partiellement retombée depuis les différentes annonces du gouvernement. La conférence de presse du Premier ministre, Gabriel Attal, mercredi 21 février, en est la dernière illustration. Malgré de nouvelles mesures concernant l’usage des pesticides en France ou l’annonce d’une nouvelle version de la loi Egalim pour l’été, les agriculteurs maintiennent la pression. Le syndicat agricole majoritaire FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA) ont notamment prévu à Paris vendredi soir un "cortège" d'agriculteurs emmenés par quelques tracteurs et se terminant devant les portes du Salon, où plusieurs d'entre eux pourraient camper jusqu'à la venue du président le lendemain. De son côté, la Coordination rurale, deuxième syndicat du secteur, prévoit aussi une manifestation vendredi à Paris. L’attente autour de la visite du chef de l’État au Salon de l’agriculture est très forte. Le président de la République doit incarner "le changement de logiciel" de la France et de l'Europe sur l'agriculture, et l'accent mis sur "la souveraineté alimentaire française", a souligné le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau, mercredi sur France 5. À ce contexte s’ajoute la nécessité d’une transition écologique présentée par le gouvernement comme indispensable et des élections européennes qui se profilent (9 juin), pour lesquelles les sondages donnent le Rassemblement national (RN) largement en tête, loin devant la liste de la majorité présidentielle. Or, en voulant satisfaire les principaux syndicats d’agriculteurs, tout en poursuivant à la fois les objectifs environnementaux et climatiques de la France et des objectifs électoraux face au RN, la tâche d’Emmanuel Macron s’annonce délicate, tant les contradictions sont nombreuses. Tour d’horizon. Gabriel Attal a promis mercredi de placer l’agriculture "au rang des intérêts fondamentaux" du pays, au même titre que la sécurité ou la défense. "L'objectif de souveraineté agricole et alimentaire" sera inscrit "noir sur blanc" dans le futur projet de loi d'orientation agricole, a-t-il affirmé. Depuis que l’exécutif a évoqué la souveraineté alimentaire lors de la pandémie de Covid-19 en 2020 puis lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la notion n’a jamais été clairement définie. Le futur "projet de loi pour une agriculture souveraine" s’y attelle, selon Le Parisien, qui a pu consulter le document. "La souveraineté alimentaire française s’entend dans la capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’Union européenne et de ses engagements internationaux", indique le projet de loi, selon le quotidien. Pour autant, il y a dans cet objectif "plusieurs contradictions", note Thierry Pouch, économiste, chef du service études et prospective à l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture, chercheur associé au laboratoire REGARDS de l’Université de Reims Champagne-Ardenne. "Sur l’interdiction des importations de fruits et légumes traités au thiaclopride, par exemple, l’idée de souveraineté voudrait qu’on enclenche une politique de production qui permette de faire face à la pénurie annoncée de ces produits. Or, rien n’a été annoncé concernant ce volet", souligne le chercheur. De plus, et même si l’exécutif répète à l’envi que la France s’oppose à la conclusion du traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay, Uruguay), elle reste non seulement bien présente à la table des négociations, qui durent depuis plus de 20 ans, mais souscrit également à la logique des traités de libre-échange voulus par Bruxelles. Or ces traités ont pour conséquence d'entraîner l'importation de produits étrangers qui menacent certaines filières françaises, en plus d'accroître les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, en attendant la définition précise du gouvernement de la "souveraineté agricole et alimentaire", "chacun pourra entendre ce qu’il veut", estime Thierry Pouch. Une façon pour l'exécutif de contenter à la fois les tenants de la transition écologique et les plus réticents. La série d’annonces du Premier ministre concernant les pesticides, notamment, a particulièrement irrité les défenseurs de l’environnement. Entre la mise en pause du plan Écophyto et l’abandon du Nodu, l’indicateur utilisé pour mesurer la réduction de l’usage des pesticides en France, au profit de l’indicateur européen HRI-1, jugé moins efficace par les ONG, la déception est grande. "C'est un renoncement à une ambition française plus protectrice de la santé des citoyens et des agriculteurs", a estimé auprès de l'AFP Sandrine Bélier de l'association Humanité et Biodiversité. "Cette décision, c'est aller clairement à rebours de l'Histoire", a pour sa part déploré Thomas Uthayakumar, directeur du plaidoyer de la Fondation pour la Nature et l'Homme. "Cela va clairement à contresens de toutes les recommandations. Changer le thermomètre n'est pas la solution", a-t-il ajouté. C'est "un reniement total" du plan Écophyto et un "vrai tour de passe-passe qui va mettre à l'arrêt toute dynamique en matière de changement vers des systèmes de production agroécologiques", fustige l'association Générations futures. "Il n’y a pas de remise en question de nos objectifs en matière de protection de l’environnement, il en va de même sur la lutte contre le réchauffement climatique", insiste pourtant l’Élysée, alors qu’Emmanuel Macron avait affirmé, dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle 2022, que son futur quinquennat "sera écologique ou ne sera pas". Au-delà de la question des pesticides, le gouvernement reste dans une logique productiviste mise en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale et prônée par la Politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne, alors même qu’une étude de la Société française de nutrition et du Réseau Action Climat publiée le 20 février invite les Français à diviser par deux leur consommation de viande pour réduire leur empreinte carbone notamment. "On ne peut pas faire cohabiter des agricultures fondamentalement différentes", a affirmé le 21 février sur France Bleu Paris Gaspard Manesse, porte-parole de la Confédération paysanne d’Île-de-France, troisième syndicat agricole qui défend une autre vision de l’agriculture que celle de la FSNEA. Façon de dire : le gouvernement doit faire un choix et cesser d’essayer de contenter tout le monde. Gabriel Attal a annoncé le 21 février une nouvelle version pour l’été de la loi Egalim, dont le but était d’améliorer les revenus des producteurs. Il s’agira d’une quatrième version de ce texte, qui n’a pas réussi à atteindre ses objectifs jusqu’ici. La question des revenus est centrale dans les revendications des agriculteurs et est partagée par l’ensemble des syndicats. Pour autant et contrairement à d’autres problématiques pour lesquelles le gouvernement se targue d'avoir su répondre rapidement – 50 % des 62 engagements pris ont déjà été réalisés selon Matignon –, "la question de la rémunération est encore devant nous", a reconnu le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, jeudi matin sur France Bleu Armorique. "Nous avons face à nous des enseignes de grande distribution principalement (...) qui ont des batteries d'avocats" qui "savent contourner" la loi, a-t-il déclaré. "À la vérité, un certain nombre de gens de la grande distribution ne voulaient pas d'Egalim (...) parce qu'ils ne veulent pas de régulation (...). On ne va pas reculer devant ces puissances-là", a ajouté le ministre. "On voit bien dans ce discours qu’il y a en toile de fond les élections européennes, juge Thierry Pouch. L’économie et la politique s’entremêlent, notamment avec l’idée lancée par le gouvernement et la majorité d’une loi Egalim européenne. Convaincre l’ensemble des partenaires européens me paraît toutefois relever de la mission impossible : quels coûts de production serviront de référence ? Ce ne sont pas les mêmes en France et en Pologne. Sans compter le fait que la guerre en Ukraine est aussi passée par là, avec un choc inflationniste qui a découragé les consommateurs d'acheter du 'haut de gamme'. Le bio a particulièrement été touché ces derniers mois." Il apparaît ainsi difficile de vouloir à la fois lutter contre l’inflation en essayant de maintenir les prix les plus bas, tout en souhaitant voir la rémunération des agriculteurs augmenter. Un distributeur pointe cette contradiction dans Challenges en rappelant : "Il y a moins d’un an, Bercy nous a imposé le lancement d’un panier anti-inflation. Aujourd’hui, les responsables politiques nous reprochent de trop baisser les prix." L’ensemble de ces objectifs contradictoires se retrouveront samedi au cœur du débat qu’aura Emmanuel Macron avec les agriculteurs. Parviendra-t-il à réconcilier l’ensemble des acteurs du monde agricole – producteurs, industriels, distributeurs et défenseurs de l’environnement ? "Ce débat doit nous rassembler tous, insiste l’Élysée. Il doit permettre de construire ensemble une vision commune de l’agriculture française." Il apparaît toutefois difficile de mettre d’accord des parties prenantes ayant des intérêts si divergents. Apprenant que l’association Les soulèvements de la Terre était conviée au débat, la FNSEA a d’ailleurs rapidement prévenu qu’elle n’y participerait pas si cette présence était confirmée. Emmanuel Macron a préféré reculer. "Pour garantir la sérénité des débats, Les soulèvements de la Terre n’y sont pas conviés", a finalement fait savoir l’Élysée jeudi soir.

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