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Des lacunes encore trop nombreuses dans le contrôle des lobbies en France

"Uber Files" Les révélations sur les pratiques de lobbying d'Uber en 2014 auprès d'Emmanuel Macron ont remis sur le devant de la scène la question de l'influence des groupes de pression sur les décideurs publics. Si la transparence a progressé depuis l'époque où l'actuel président était ministre de l'Économie, beaucoup reste à faire pour rendre ces contrôles plus efficaces et démythifier les relations entre l'exécutif et les intérêts privés. Les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur les pratiques d'Uber en France et la relation privilégiée du géant des VTC avec Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie, mettent une nouvelle fois en lumière l'influence des lobbies dans la fabrique de la loi et l'opacité qui entoure leurs relations avec les décideurs publics. Des insuffisances dans la régulation de l'activité des représentants d'intérêts privés qui ont conduit, mercredi 13 juillet, la Commission européenne à recommander à la France dans son rapport annuel sur l'État de droit de mieux appliquer les règles sur le lobbying, notamment pour les "plus hautes fonctions de l'exécutif". Depuis de nombreuses années, des parlementaires ou des membres de l'exécutif s’insurgent contre l'influence des groupes de pression. Ce débat ancien avait notamment ressurgi en 2018 lorsque Nicolas Hulot, alors ministre de l'Écologie, avait claqué la porte du gouvernement, dénonçant le poids des lobbies, en particulier celui de la chasse. Si le sujet suscite autant de crispations en France, c'est notamment parce qu'il vient remettre en cause la conception de l'intérêt général, note Jean-François Kerléo, juriste et membre de l’Observatoire de l’éthique publique. "En France, nous avons une conception très exigeante de l'intérêt général qui contribue à exclure les intérêts particuliers et à les considérer comme nécessairement néfastes. On se distingue clairement, en ce sens, de l'approche de la culture anglo-saxonne pour qui l'intérêt général est une confrontation entre des intérêts particuliers servant à dégager un consensus." "Le problème de ce tabou français, c'est qu'il encourage les décideurs à rester opaques sur leurs relations avec ses groupes de pression", abonde Kévin Gernier, chargé de plaidoyer chez Transparency International France. "Cela nourrit la défiance et des pratiques qui ne sont pas éthiques comme le montrent les Uber Files". "Une transparence en trompe-l'œil" Pourtant, le contrôle de l'activité des lobbies a beaucoup progressé en France depuis une dizaines années. Le tournant se situe en 2017 avec la loi Sapin II qui oblige tous les lobbyistes à s'inscrire auprès de la Haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) et à lister leurs activités sous peine de sanction pénale. Associations, entreprises privées, syndicats, cabinets d'avocats, fondations, cabinets de conseil... Actuellement, 2 451 représentants d'intérêts privés sont inscrits dans le répertoire de la HATVP et plus de 52 000 actions ont été recensées auprès des ministres, des parlementaires, de certains hauts fonctionnaires et, depuis le 1er juillet, auprès des responsables publics locaux. >> À lire, le webdoc de France 24 : les lobbies en France, fantasmes et réalités Cependant, de nombreux trous dans la raquette persistent, selon les spécialistes interrogés par France 24. "Cela reste une transparence en trompe-l'œil. Par exemple, aucune obligation de déclaration ne pèse sur les décideurs publics", explique Kevin Gernier. Certains lobbystes peuvent donc aisément se réfugier derrière cette faille pour ne pas se déclarer auprès de la HATVP. Autre point noir : le contenu des déclarations des lobbyistes n'apporte que peu d'informations pertinentes sur la nature de leurs activités et sur l'identité des responsables politiques avec lesquels ils sont en contact. On peut ainsi lire sur le site de l'HATVP que telle ou telle entreprise a rencontré "un ministre" ou "un député" sans indications de date ou de lieu.  "Il faudrait pouvoir savoir exactement pourquoi un lobbyste est entré en communication avec un représentant politique et quel était l'objectif recherché. À ce moment-là, il y aurait une traçabilité et on pourrait mesurer l'impact de son action sur un texte de loi", plaide Jean-François Kerléo. Amendements "clés en main" Les Uber Files ont également mis en lumière une pratique qui, sans être illégale, interroge le fonctionnement de notre démocratie : celle des amendements clés en main ou quand des lobbystes proposent des textes déjà rédigés, à voter tels quels ou légèrement remaniés aux parlementaires.  Là encore, il n'est pas question d'interdire cette pratique courante mais de la rendre plus transparente en révélant l'origine des amendements. "Certains parlementaires le font lorsqu'il s'agit de citer une association de lutte contre la corruption ou de défense de l'environnement mais lorsqu'il s'agit de mentionner que Monsanto ou Coca-cola vous a soufflé un amendement, cela pose un peu plus problème vis-à-vis de l'opinion publique", ironise Jean-François Kerléo. >> À voir : "Uber Files" : révélations sur les méthodes agressives d'Uber pour s'implanter dans le monde Pour clarifier le processus de fabrication de la loi, Transparency International milite pour "la création d'une plateforme où les lobbies pourraient déposer leurs suggestions d'amendements de façon ouverte et dans laquelle les parlementaires pourraient piocher", précise Kevin Gernier. "Cela permettrait d'évaluer ensuite la plus-value parlementaire", ajoute le chargé de plaidoyer de l'ONG.  De son côté, Jean-François Kerléo défend l'obligation d'indiquer la source des amendements pour rendre plus lisible l'action des hommes et des femmes politiques. "Cela aurait pour vertu de faire réfléchir les parlementaires et de ne pas déposer des amendements uniquement pour gonfler leurs statistiques. Par ailleurs, cela permettrait de montrer à l'opinion publique que les entreprises privées ne proposent pas forcément des choses négatives et que la loi se construit dans cette relation permanente entre la société et ses représentants".

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