Cyclisme : derniers tours de roue pour Thibaut Pinot, le perdant romantique du vélo
PORTRAIT
Thibaut Pinot va prendre sa retraite sportive samedi à l'issue du Tour du Lombardie. Personnage atypique du cyclisme, il aura marqué les fans du cyclisme et la décennie 2010 davantage par sa personnalité et le caractère rocambolesque de ses défaites comme de ses victoires.
Thibaut Pinot est bien plus qu'un simple coureur. Même si à l'heure des ogres Primoz Roglic,Tadej Pogacar ou Mathieu van der Poel, son palmarès peut apparaître bien famélique, Thibaut Pinot aura marqué le sport français par son personnage singulier et hors du temps, fuyant la célébrité et ses contraintes pour mieux retrouver son potager et ses chèvres qu'il va retrouver après le Tour de Lombardie, qu'il dispute pour la dernière fois de sa carrière samedi 7 octobre.
"Solo la vittoria è bella", seule la victoire est belle, proclame, en italien, la devise tatouée sur le bras droit du Franc-Comtois de 33 ans. Cette maxime de gladiateur lui ressemble, assurent ses proches, tellement Thibaut Pinot déteste perdre. Pour autant, le familier du massif des Vosges est davantage connu et aimé pour ses défaites, cruelles et sublimes, ainsi que pour les émotions qu'il aura semées pendant ses quatorze saisons professionnelles. Un mélange de très haut et de très bas. Comme si la mesure n'existait pas quand il s'agit de Thibaut Pinot.
Le palmarès du grimpeur de l'équipe Groupama-FDJ a tout de même de l'allure. 33 victoires arrachées pour la plupart au panache, dont trois étapes du Tour de France. Avec deux autres sur la Vuelta et une sur le Giro, il fait partie du cercle des détenteurs de la triple couronne du cyclisme. Il a également un monument à son actif, ce Tour de Lombardie sur lequel il fait ses adieux.
Mais ses échecs ont la beauté d'une tragédie grecque, comme lorsqu'il finit dans une ambulance, malade comme un chien, sur le Giro en 2018, ou qu'il abandonne sur le Tour de France 2019 à cause d'une blessure mystérieuse à la cuisse après avoir levé le fol espoir d'une première victoire française depuis 1985.
"Être fan de Thibaut, ça ne devait pas être toujours facile. Un coup c'est tout blanc, un coup c'est tout noir. Mais ça fait partie du personnage. C'est pour ça que les gens l'aiment tellement. Il va laisser un gros vide", explique à l'AFP son équipier David Gaudu.
Thibaut Pinot, c'est la ténacité. Un coureur qui a toujours su relever la tête malgré les épreuves. Quand il abandonne le Giro en 2018, il revient en remportant deux étapes sur le Tour d'Espagne et le Tour de Lombardie. Alors après son abandon en 2019, la France de la petite reine retient son souffle, surtout quand il finit deuxième du Dauphiné à quelques jours du Tour 2020. Las, il est pris dans une chute massive lors de la première étape provoquant une douleur au dos qui l'empêchera de revenir à son plus haut niveau
Une popularité qui frôle l'irrationnel
Alors qu'à ses débuts, "Thib"" agaçait parfois par son côté ronchon, pleurnichard et défaitiste, la trajectoire sinusoïdale du perdant magnifique de Mélisey, ses doutes et ses fragilités, ont forgé, au fil des abandons théâtraux suivis de renaissances flamboyantes, une popularité qui frôle l'irrationnel.
L'hystérie collective a atteint des sommets lors du dernier Tour de France où ils étaient des milliers à l'acclamer dans un "virage Pinot" monté de toutes pièces dans ses Vosges natales. Fan du PSG, "Tibopino" a son propre kop de supporters et de nombreux comptes à sa gloire qu'il adoube avec un sens certain de l'autodérision.
"Les gens se reconnaissent en lui parce qu'il est resté simple et qu'il ne cache pas ses émotions", soulignait sur le Tour son père Régis, à la vue de la marée humaine venue s'incliner devant son fils.
Lui n'aime pourtant rien de plus que le "silence" et s'occuper de ses animaux dans sa ferme de Mélisey, en Haute-Saône. Interrogé sur la première chose qu'il allait faire une fois retraité, il répond : "aller au jardin tranquille, tout seul au potager", entre deux parties de pêche et de pétanque, en rêvant à son projet de monter des chambres d'hôte ou d'alimenter le compte Instagram de sa chèvre Kim.
Pinot, qui se décrit "comme un peu sauvage et timide", continue à s'étonner de sa popularité et avoue que son personnage le dépasse : "J'ai toujours trouvé qu'on en faisait peut-être un peu beaucoup".
Une anecdote parmi d'autres peut résumer son caractère casanier. Dans une interview publiée dans le dernier numéro de Vélo Magazine, Thibaut Pinot explique avoir refusé une invitation d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, en 2016. La raison invoquée ? Un barbecue prévue de longue date. Son père, Régis, maire de Mélisey, est pourtant associé au parti présidentiel.
"Thibaut, c'est un romantique égaré au XXIe siècle"
"Son statut d'icône, il s'en fout complètement. Il pense à sa vie et à sa ferme. C'est un passionné de vélo mais il ne veut pas être une star. Il préfère être anonyme", affirme le coureur de Cofidis Anthony Perez, un de ses meilleurs amis dans le peloton.
À Mélisey, Pinot va couper sans regret avec un cyclisme ultra pro dans lequel il ne se reconnaît plus. "Aujourd'hui, le vélo c'est les datas, les courbes de puissance, les watts et il est en décalage par rapport à ça. C'est un coureur spontané, instinctif, authentique. Thibaut, c'est un romantique égaré au XXIe siècle", dit à l'AFP son manager de toujours, Marc Madiot.
Pinot revendique son "côté décalé", lui qui refuse de "vivre comme un moine pour performer".
Aurait-il pu aller plus loin ? Gagner le Tour de France, alors que certains estiment que son abandon improbable en 2019 était une sorte d'acte manqué vu son peu d'appétence à devenir quelqu'un de "vraiment célèbre" ?
"On ne le saura jamais", balaye Madiot, qui relève toutefois "le paradoxe d'un coureur que l'on croit faible mais qui est en réalité un vrai dur au mal".
"Je pense qu'il est content surtout de la trace qu'il va laisser humainement. Celle d'un mec qui a galéré, qui a vécu des échecs mais qui s'est battu avec ses moyens, proprement", insiste Pérez.
À défaut d'avoir porté le maillot jaune dans sa carrière, Thibaut Pinot le restera dans le cœur des fans de cyclisme.
Avec AFP