Crise énergétique : la Moldavie à la merci des appétits de Gazprom
Natalia Gavrilita, la Première ministre de Moldavie, tente actuellement de négocier avec le russe Gazprom une baisse des prix du gaz.
La Moldavie a décrété l’état d’urgence énergétique, vendredi, pour tenter de trouver des alternatives au gaz russe. Gazprom menace de fermer le robinet à énergie de ce petit pays européen, s’il n’accepte pas une hausse drastique des prix.
Panique en Moldavie. Le petit pays européen à la frontière de l’Ukraine a décrété l’état d’urgence énergétique, vendredi 22 octobre, alors que son principal fournisseur, le Russe Gazprom, menace de lui couper le robinet à gaz dans les jours qui viennent.
“La Moldavie est devenue un cas d’école de ce qui peut arriver de pire à un pays à cause de la crise énergétique actuelle”, résume Alexander Libman, spécialiste des relations entre la Russie et les pays de l’ancienne sphère d’influence soviétique à l’université libre de Berlin, contacté par France 24.
Punir un gouvernement trop pro-européen ?
“Notre situation est critique”, a reconnu Natalia Gavrilița, la Première ministre moldave, dimanche 24 octobre, en annonçant que Gazprom n’avait, en octobre, livré qu’un tiers du gaz qui était pourtant promis.
La Moldavie a commencé à rationner sa consommation d’énergie, limitant, par exemple, l’illumination des bâtiments publics. Mais fin octobre, tout le pays risque de basculer dans le noir - la Moldavie n’a quasiment pas de réserves - si le géant gazier russe met sa menace à exécution.
Gazprom a rappelé que le contrat de livraison de gaz avait déjà pris fin, en théorie, le 30 septembre, mais qu’une extension d’un mois avait pu être négociée. Problème : la Moldavie a encore une ardoise de 610 millions d’euros auprès du groupe russe, et les deux parties n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un prix pour le gaz.
Gazprom veut imposer une hausse de 40 % du tarif appliqué jusqu’à présent à la Moldavie- passant de 470 euros pour 1 000 m3 de gaz à 680 euros - pour refléter la flambée des prix de l’énergie à l’heure actuelle. Un bond tarifaire qui ne passe pas du tout à Chișinău, la capitale de la Moldavie. “C’est déraisonnable et irréaliste d’exiger un tel prix”, a affirmé Andrei Spînu, le vice-Premier ministre moldave. Le pays est, en effet, l’un des plus pauvres d’Europe avec le Kosovo, et “il est plus que probable qu’il ne pourrait pas se permettre de payer un tel prix pour le gaz”, assure le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung.
C’est pourquoi cette hausse des prix pourrait apparaître comme un chantage énergétique géopolitiquement motivé, poursuit le quotidien allemand. Gazprom chercherait à punir un gouvernement, intronisé en août 2021, qui se montre davantage pro-européen que le précédent. “On peut imaginer que Gazprom se montrerait moins inflexible sur les prix avec un gouvernement moldave plus amical envers Moscou”, souligne Adrian Rogstad, spécialiste des relations internationales à l’université de Groningue, contacté par France 24.
Cimenter l’emprise économique sur la Moldavie
Inutile, cependant, de prêter trop de sombres desseins géopolitiques à Gazprom, veut croire Alexander Libman. “C’est simplement l’application brutale et sans pitié des lois du marché par Gazprom pour maximiser ses profits”, estime ce politologue de l’université libre de Berlin.
Dans le contexte actuel de pénurie d’énergie sur les marchés, la Moldavie n’a pas d’alternatives viables au gaz russe. Le gouvernement pourrait essayer de se tourner vers les marchés internationaux, mais avec l’appétit des pays asiatiques - Chine en tête - pour toutes les sources d’énergie, “il y a fort à parier que le prix pour la Moldavie serait encore plus élevé que ce que propose Gazprom”, souligne le Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Mais il n’y a pas que les profits qui comptent aux yeux de Gazprom. Ce chantage tarifaire peut aussi lui servir à cimenter un peu plus son emprise économique sur la Moldavie. Le géant russe cherche peut-être “à ralentir l’application en Moldavie des mesures prévues par le troisième paquet énergie européen [adopté en 2009, NDLR] dont l’un des objectifs est, justement, de casser le monopole énergétique de Gazprom dans les pays d’Europe de l’Est”, souligne Adrian Rogstad. Le gouvernement moldave a d’ailleurs fait savoir qu’il était prêt à négocier un report de l’application de cette réglementation européenne en échange d’une baisse du tarif gazier, a affirmé l’agence de presse russe Tass, vendredi 22 octobre.
La crise énergétique que traverse la Moldavie “démontre avant tout que dans le contexte actuel de pénurie, Gazprom va pousser le bouchon aussi loin que possible sans prendre en considération les problèmes du pays”, résume Alexander Libman.
Le jeu dangereux de Gazprom
Cette approche sans pitié de la politique tarifaire a, cependant, ses limites. “C’est une vision clairement court-termiste qui peut se retourner contre Gazprom”, veut croire Alexander Libman.
D’une part, la Moldavie peut accélérer sa recherche d’alternatives au gaz russe afin de ne plus se retrouver dans ce genre de situation. “Ce n’est pas possible pour l’instant, car il n’y a pas d’alternative au gaz russe, mais la Moldavie peut chercher à nouer des contacts avec d’autres fournisseurs pour être prête lorsque la situation s’améliorera sur le marché de l’énergie”, assure Alexander Libman.
D’autre part, ce n’est pas non plus le genre d’attitude qui va rassurer Bruxelles sur la dépendance européenne au gaz russe. Certes, Gazprom a toujours honoré ses contrats avec l’Europe, mais la manière dont le groupe traite un pays européen comme la Moldavie ne va pas inciter l’UE à laisser la Russie gagner encore davantage de parts de marché en Europe.
Le problème, d’après les experts interrogés par France 24, est que l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. “Toutes les alternatives ont leur propre désavantage”, note Adrian Rogstad, le chercheur de l’université de Groningue. Miser davantage sur le gaz naturel liquéfié (GNL) ? La crise actuelle a montré que dès que les prix de l’énergie augmentent, les exportateurs de GNL se tournent en priorité vers l’Asie, où les pays comme la Chine sont prêts à payer plus cher. Quant au nucléaire, il est loin d’avoir la cote dans tous les pays européens, et les énergies renouvelables ne sont pas encore capables de combler tous les besoins européens. C’est toute la leçon qu’il y a à tirer de la crise énergétique moldave, d’après Alexander Libman : “elle montre les risques de devenir trop dépendant d’un monopole” tout en soulignant la nécessité de trouver les bonnes alternatives. Car pour l’instant, aucune n’est satisfaisante.