Covid-19 : quand la vaccination vire au conflit familial
Malgré les efforts du gouvernement pour monter en puissance sur la vaccination contre le Covid-19, une partie des Français reste réfractaire au vaccin. Dans certaines familles, cette situation peut générer des tensions, exacerbées depuis l’annonce du durcissement de la politique sanitaire en France. Témoignages.
Mercredi 21 juillet, le Premier ministre, Jean Castex, détaillait la feuille de route du gouvernement pour contrer la progression du variant Delta. “La clé on la connaît (…) il faut vacciner” a-t-il martelé pour justifier le durcissement des mesures sanitaires annoncé le 12 juillet par Emmanuel Macron. Alors que la vaccination était déjà un sujet sensible dans certains cercles familiaux, les annonces de l’extension du passe sanitaire et de la vaccination obligatoire pour plusieurs catégories professionnelles ont exacerbé ces tensions, allant parfois jusqu’à générer des situations de rupture.Témoignages.
“Contexte familial compliqué”
“Parmi mes proches, presque tout le monde est vacciné, mes parents, mes collègues... Ça en devient presque gênant” ironise Julien*, jeune père de famille de la banlieue parisienne. Au travail, ce cadre supérieur au sein d’un grand groupe bancaire basé à Montreuil se sent un peu seul : “Tout se sait au bureau. Une fois, mon chef m’a posé la question ‘cash’ : 'Et toi, tu es vacciné ?' Comme je n’aime pas mentir, je me suis lancé dans une explication alambiquée sur mon contexte familial compliqué. Ils me prennent tous un peu pour un ovni”.
Julien n’est pas opposé à la vaccination, il y est même plutôt favorable si cela peut permettre “de se protéger soi et les autres” et de continuer à pratiquer ses activités, notamment aller à la salle de sport. Mais il a reporté à plusieurs reprises l’échéance pour éviter les conflits avec sa compagne, Inès*, farouchementopposée au vaccin contre le Covid-19. “Elle est persuadée que le Covid se soigne et que le vaccin est dangereux car on n’a pas assez de recul sur les effets secondaires”, explique-t-il. “Elle suit le sujet de très près et au fur et à mesure, nos discussions ont viré au dialogue de sourd".
Pour Inès et Julien, la situation s’est tendue graduellement avec l’élargissement de la vaccination à toutes les classes d'âge. "Moi j'’avais pris le parti de mettre le débat sous le tapis, au moins temporairement. D’autant plus qu’on avait eu le Covid19 en janvier et donc que nous avions des anticorps" précise-t-il. "Mais la situation est devenue de plus en plus compliquée à gérer, car nos familles respectives ne sont pas du tout sur la même longueur d’onde et s’inquiètent pour nous. C’est comme si on avait basculé dans un conflit généralisé. Du côté d'Inès, ils essayent de me dissuader car ils sont persuadés qu’il y a un risque. Moi je leur oppose le même argument, ça m’inquiète qu’ils refusent le vaccin, notamment pour son père et sa mère qui ne sont plus tout jeunes. Heureusement, à cinq et deux ans, nos enfants sont trop petits pour la vaccination, donc la question ne se pose pas, même s’ils assistent parfois à nos prises de bec. Mais au sein de l’entourage familial, ce débat a pris une ampleur dingue”.
“Un climat d’autocensure permanent”
Pour Sarah*, technicienne audiovisuel de 37 ans qui vit dans les Hauts-de-Seine, les inlassables débats sur le vaccin ont également abouti à une impasse. En conflit permanent avec son père et sa belle-mère, la jeune femme a décidé, pour préserver sa famille, de faire une pause : “On ne se voit plus pour le moment, la crise sanitaire rend les discussions trop compliquées. Entre nous la question du vaccin est devenue un poison qui génère un climat de suspicion constant. J’ai dû me faire une raison, cette situation n’est pas viable”, déplore-t-elle d’un ton triste mais résolu.
Les ennuis ont commencé à Noël dernier, peu avant le lancement de la campagne vaccinale en France. “On devait se retrouver à Marseille, où vit ma famille, pour les fêtes. Mais j’étais inquiète pour ma tante, âgée et fragile, et je voyais bien en discutant avec mon père et ma belle-mère qu’ils ne faisaient pas du tout attention. Moi-même je suis une personne fragile car j’ai une maladie auto-immune".
Finalement, Sarah et son frère décident d’annuler leur voyage par précaution. Une décision alors mal perçue, raconte l’intéressée : “Mon père et ma belle-mère tentaient de nous rassurer, mais je voyais bien que quelque chose était bizarre, ils continuaient de nous dire à moi et à mon frère de venir, alors même que la situation sanitaire se dégradait. On les trouvait très désinvoltes, eux étaient agacés par nos réticences. En avril, nous avons pu aller à Marseille. Ça faisait neuf mois que nous ne nous étions pas vu et là, en plein débat national sur le vaccin, on a réalisé que le fossé s’était creusé. On a eu droit à tout, l’exposé sur les effets secondaires du vaccin, la manipulation du gouvernement... Ça a créé une très mauvaise ambiance et un climat d’autocensure permanent pour éviter les tensions”.
Sarah estime que la vaccination a agi comme un catalyseur exacerbant des différences déjà préexistantes. “Ma belle-mère a toujours été un peu méfiante sur les médicaments, elle soigne mes demi-frères et sœurs à l’homéopathie, ça m’énerve d’ailleurs parce qu’ils chopent plein de virus. La question de la vaccination a transformé ces petites divergences anecdotiques en conflit ouvert. Quand ma demi-sœur de 18 ans et ma tante me le demandent, je ne vais pas leur mentir : oui je me suis fait vacciner et oui je pense que c’est efficace. Ma belle-mère, elle, voit ça comme une attaque voire pire, une trahison. C’est d’autant plus le cas depuis que ma demi-sœur a compris qu’elle ne pourrait pas voyager sans passe sanitaire et a finalement décidé, contre l’avis de sa mère, de se faire vacciner.”
Des annonces et “des emmerdes”
Le 12 juillet, Julien, Inès et Sarah étaient devant leur télévision pour écouter Emmanuel Macron annoncer l'extension du passe sanitaire et l'obligation vaccinale pour certains professionnels. Sans surprise, les deux premiers ont passé une mauvaise soirée. “Je suis partagé sur l’élargissement du passe sanitaire” explique Julien. “J’entends que ça puisse être nécessaire contre la progression du nouveau variant, mais en même temps, je vois que l’obligation suscite un rejet encore plus grand dans mon entourage. Inès, le passe, elle ne veut pas en entendre parler, c’est devenu une question de principe. Pour moi ces annonces c’est d’abord des emmerdes”.
Sarah, de son côté, n’a pas pu réprimer un plaisir fugace : “C’est horrible à dire, mais pendant une minute je me suis vraiment dit que c’était bien fait pour eux, après toutes nos embrouilles sur le sujet. Mais bien sûr, cette politique de l’obligation ça ne me réjouit pas. En tant que société, c’est triste d’en être arrivé là. Et puis ça ne règle pas mes problèmes familiaux”. Après les dernières annonces du gouvernement, Sarah a décidé de prendre ses distances, à contre-cœur, espérant pouvoir reprendre contact avec son père et sa belle-mère dans un contexte plus apaisé.
Julien, lui, estime ne plus pouvoir reculer face à l’évolution de la politique sanitaire : “Moi, j’ai déjà annoncé la couleur : à la rentrée, c’est sûr, je me fais vacciner, je n’ai pas le choix. S'ils durcissent encore les mesures, comment va-t-on faire avec les enfants ? Avec mon passe sanitaire, on pourra sortir et faire des activités... Par contre, je ne pourrai plus rentrer chez moi !” lance-t-il dans un soudain éclat de rire. Sa compagne Inès est professeure des écoles ; une profession qui jusqu’ici ne s’est pas vu imposer d’obligation vaccinale. “Seul le risque de perdre son poste pourrait lui faire envisager la vaccination”, estime Julien. “Mais j’espère vraiment ne jamais en arriver là, car je sais à quel point ça l’angoisse et mon soutien serait très mal venu, étant moi-même favorable à la vaccination. Pour nous, il n’y a pas de solution simple, on a bien conscience que nos approches sont irréconciliables et qu’on se doit, par ailleurs, de préserver notre famille. L’évolution incertaine de la pandémie ne facilite pas les choses, mais je me rassure comme je peux, en me disant que c’est une mauvaise période à passer”.
*Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.