Corse : "La mafia, tout le monde la subit et il faut que ça s'arrête", demandent plusieurs collectifs avant la visite de Gérald Darmanin
Pour des représentants du monde associatif et des militants nationalistes, la justice doit se doter d'outils spécifiques au banditisme corse. Alors que le ministre de l'Intérieur se rend sur l'île vendredi, ils réclament l'instauration d'un délit d’association mafieuse dans le code pénal.
"Pour nous, la mafia est une évidence. Tout le monde la subit, et il faut que ça s’arrête, car le phénomène s’aggrave", Jean Toussaint Plasenzotti n’hésite plus à le dire haut et fort depuis que son neveu Massimu Susini, militant nationaliste de 36 ans, a été assassiné sauvagement au fusil, sur une plage idyllique de Cargèse (Corse-du-Sud), le 12 septembre 2019, en allant ouvrir sa paillotte.
"Massimo, ce n’était pas un voyou, c’est quelqu’un qui s’opposait à visage découvert à la spéculation foncière, c’était un militant environnemental il s’opposait au trafic de drogue dans son village, au racket, raconte Jean Toussaint Plasenzotti. En le tuant, on a fait un exemple à double titre. On se débarrasse de quelqu’un de courageux et on adresse un message à ceux qui voudraient élever la voix contre les criminels".
"L’État refuse d’admettre qu’il existe une mafia"
Aujourd’hui fondateur du collectif "Massimu Susini" du nom de celui qu’il considérait comme son fils, Jean Toussaint Plasenzotti ne cache pas sa colère face au silence de l’État et son inaction face au fléau. L’enseignant en langue Corse a d’ailleurs réclamé un entretien avec le ministre de l’intérieur de passage en Corse, vendredi 22 et samedi 23 juillet. Mais si Gérald Darmanin doit notamment rencontrer vendredi en fin de matinée à Bastia, les services de l'État contre la criminalité organisée, la demande de Jean Toussaint Plasenzotti est restée lettre morte. "L’État refuse d’admettre qu’il existe une mafia. C’est comme le nuage de Tchernobyl qui s’est arrêté aux frontières", abonde Irène Quilichini, elle aussi membre du collectif : " la mafia sévit dans toute l’Europe mais en France, non".
Le visage de Massimu Susini sur les murs de Bastia (Haute-Corse). (GAEL JOLY / RADIO FRANCE)
Une prise de position risquée qui leur a valu, non pas des menaces, mais plutôt "des conseils d’amis", comme on dit en Corse. Marie France Giovanangelli les a entendus, elle aussi, ces conseils d’amis depuis qu’elle a choisi de rejoindre, à Bastia, le collectif "A Maffia No !", fondé avec le militant nationaliste de la première heure, Léo Battesti. Pour cette directrice de l'enseigne Leroy Merlin en Corse, il s’agit de faire évoluer la législation : "Dès le début, il nous est apparu que sans l’instauration d’un délit d’association mafieuse dans le code pénal, la lutte allait être difficile".
Pour le ministère, l'organisation fonctionne bien
Le collectif "A Maffia No !" demande la révision du statut de repenti, qui pour l’instant ne peut pas être accordé à une personne soupçonnée ou condamnée pour crime de sang. "C’est réduire la possibilité d’arriver au cœur de la machine", poursuit Marie France Giovanangelli, qui s’est rendue en Italie pour des voyages d’étude sur la mafia. Pour avancer il faudrait selon elle, l’instauration d’une Cour spéciale, comme ce qui se fait pour les procès terroristes, composée de magistrats spécialisés, quand il s’agit du délit mafieux et non pas des jurés issus de la société civile. "Les pressions sont trop nombreuses, il y a beaucoup trop d’acquittements", estime-t-elle. Aux accusations de justice d’exception, elle tranche : "Qu’y a-t-il de plus liberticide que la loi de la mafia et de l’omerta ?"
En 2019, dans un rapport confidentiel, des magistrats de la JIRS de Marseille, la juridiction interrégionale spécialisée en matière de crime organisé, avait réclamé la création d’un pôle antimafia doté de pouvoirs spéciaux, "face au caractère exceptionnel du banditisme corse",révélait le journal Le Monde. Mais pour le ministère de la Justice comme pour le procureur général de Bastia, Jean-Jacques Fagni, l’organisation actuelle fonctionne bien : "Les outils on les a, le témoignage sous X on l’a, la possibilité de protection des témoins et des repentis on l’a dans la législation française, reste à convaincre les personnes dépositaires de ces renseignements à collaborer avec la justice".
Le procureur général de Bastia, Jean-Jacques Fagni. (GAEL JOLY / RADIO FRANCE)
Le magistrat refuse de parler "d’emprise mafieuse qui gangrènerait la corse". Selon lui, les collectifs grossissent le trait : "Nous avons sur le territoire corse, 25 clans criminels qui évoluent du Nord au Sud et dans les micro-régions, mais on n’est pas dans un phénomène mafieux comme il en existe en Italie ou dans certains pays de l’Est et qui nous inclinerait vers des législations largement dérogatoires au droit commun".
Même si l’État reste sourd aux revendications des collectifs, certaines lignes bougent. Gilles Simeoni, le président de l’exécutif corse a récemment annoncé, la tenue d’une session extraordinaire en octobre de l’Assemblée de Corse dédiée à la mafia, promise depuis plus de trois ans.