Avec son "Global Gateway", l'UE tente de concurrencer les nouvelles routes de la soie chinoises
Quelques réalisations au titre des nouvelles routes de la soie chinoises exposées à Pékin. Huit ans après la Chine, l'Europe vient de lancer son alternative à ce programme d'investissements dans les infrastructures.
Bruxelles a dévoilé, mercredi, son programme "Global Gateway", censé devenir l’alternative européenne aux nouvelles routes de la soie, le fameux programme chinois d’investissement dans les infrastructures à l’échelle mondiale. De quoi faire peur à Pékin ?
Chacun veut ses routes de la soie. Après la Chine, l’Europe s’est à son tour dotée, mercredi 1er décembre, d’un ambitieux programme d’investissements dans les infrastructures.
Avec ce plan, baptisé "Global Gateway", l’Union européenne compte investir 300 milliards d’euros d’ici à 2027 dans des projets d’infrastructure un peu partout dans le monde.
Pas blanc bonnet et bonnet blanc
Aucune mention à la Chine n’est faite dans le communiqué de la Commission européenne qui dévoile les détails de cette nouvelle initiative. Mais il est difficile de ne pas y voir une réponse européenne aux "nouvelles routes de la soie", le vaste programme chinois de prêts dans des dizaines de pays afin d’y développer des ports, routes, chemins de fer ou des infrastructures numériques. Et pour, du même coup, étendre dans ces pays la sphère d’influence économique chinoise.
"Cela inaugure une ère plus compétitive dans l’aide au développement. Les pays bénéficiaires auront désormais une alternative à l’argent chinois. À l’UE de prouver que son aide est meilleure", analyse Andrew Small, spécialiste des relations sino-européennes au German Marshall Fund, un cercle de réflexion basé en Allemagne, contacté par France 24.
Car les routes de la soie et Global Gateway ne sont pas bonnet blanc et blanc bonnet. Bruxelles espère bien pouvoir jouer sur ces différences. À commencer par "les structures des financements qui, du côté chinois, proviennent essentiellement de prêts, alors que le programme européen va s’appuyer sur des investissements à la fois publics et du secteur privé", souligne Francesca Ghiretti, experte des relations entre la Chine et l’Europe au Mercator Institute for China Studies de Berlin, contactée par France 24.
Ce n’est pas anodin : les prêts chinois sont perçus par les opposants aux nouvelles routes de la soie comme une manière de créer une dépendance économique du pays bénéficiaire à l’égard de Pékin. C’est ce "piège de la dette" – un concept par ailleurs controversé – qui aurait poussé le Sri Lanka, incapable de rembourser son prêt, à céder l’un de ses ports à la Chine en 2019.
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Bruxelles insiste aussi beaucoup sur des financements "qui s’appuient sur des valeurs comme la transparence, le respect de la loi ou encore des conditions de travail sur place", poursuit Francesca Ghiretti. Là encore, il s’agit d’une attaque à peine voilée contre les prêts "made in China" "accusés de contenir des clauses secrètes qui permettent de toujours avoir l’avantage sur le pays emprunteur", rappelle Andrew Small.
Enfin, Global Gateway se veut aussi une version plus moderne des routes de la soie en privilégiant des investissements dans des infrastructures d’avenir, écoresponsables et axées sur le numérique. Ce programme a des allures bien plus XXIe siècle que les nouvelles routes de la soie, qui ont surtout permis de bâtir des routes, chemins de fer ou de rénover des ponts et ports.
Trop tard ou au meilleur moment ?
De quoi faire peur à Pékin ? Pas forcément. D’abord, cette tentative européenne de vendre Global Gateway comme une sorte de version 2.0 du programme chinois ignore que ce dernier a aussi beaucoup évolué. "Au départ, c’est vrai que Pékin a surtout investi dans des infrastructures permettant de transporter les produits ou d'acheminer les hydrocarbures vers la Chine. Mais ces dernières années, les nouvelles routes de la soie se sont adaptées aux nouvelles priorités (du président) Xi Jinping dans les énergies renouvelables ou les réseaux numériques et les nouvelles technologies", rappelle Jean-François Dufour, directeur du cabinet de conseil DCA Chine-Analyse, contacté par France 24.
Ensuite, l’UE n’a pas les coffres aussi bien remplis que la Chine, qui a prévu de dépenser jusqu’à 1 000 milliards de dollars pour ses nouvelles routes de la soie.
Enfin, l’Europe dégaine son programme "très tard", assure Jonathan Holslag, spécialiste de politique internationale à l’Université libre de Bruxelles, dans une tribune publiée par le site EUobserver. Xi Jinping a commencé à bâtir ses routes de la soie en 2013, et elles sont devenues "une machine bien huilée, capable de mobiliser les fonds rapidement. L’Europe doit encore démontrer qu’elle peut faire aussi vite", note Francesca Ghiretti.
Pour autant, cette experte ne pense pas que le retard européen à l’allumage soit un réel handicap. L’image des nouvelles routes de la soie s’est dégradée avec le temps à cause des polémiques autour du piège de la dette et des autres conditions attachées aux prêts chinois.
Autrement dit, Global Gateway et ses ambitions pour un financement plus "transparent" et respectueux arrive peut-être au meilleur moment pour détourner certains pays de la tentation chinoise. Ou du moins, ce programme européen permet d’offrir à ces pays une carte à jouer dans leurs négociations avec la Chine. "Ils peuvent tenter d’obtenir de meilleures conditions en menaçant de choisir des financements européens", estime Andrew Small, l’expert du German Marshall Fund.
L'Afrique, objectif logique
L’un des plus importants tests grandeur nature pour mesurer l’efficacité du programme européen à contrer l’influence économique chinoise "sera l’Afrique, qui devrait être l’un des principaux bénéficiaires de ces investissements", estime Francesca Ghiretti.
La Commission européenne ne cite pas le marché africain comme objectif prioritaire "mais c’est logique, puisque c’est là que l’arrivée des financements chinois a fait le plus de mal aux entreprises européennes, qui ont souvent perdu des parts de marché", rappelle Jean-François Dufour.
Et Global Gateway a un avantage car "en copiant plus ou moins la manière de faire des Chinois, l’Union européenne prive Pékin de l’un de ses arguments favoris en Afrique qui a toujours été de dire que la Chine agissait différemment des anciennes puissances coloniales européennes", estime le directeur de DCA Chine-Analyse.
L’Europe n’est en outre pas la seule à vouloir faire de l’ombre aux nouvelles routes de la soie. Les États-Unis ont aussi annoncé leur propre programme, "Build Back Better World", lors du sommet du G7 en juin dernier. "Avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, il y a eu une nouvelle dynamique pour une meilleure coopération transatlantique afin de contrer la Chine, et ces programmes le prouvent", estime Andrew Small.
Pour lui, ces initiatives sont intéressantes car ce ne sont pas, comme à l’époque de Donald Trump, "des mesures purement hostiles et antichinoises, mais il s’agit de programmes plus positifs qui essaient d’offrir une alternative à la Chine", résume-t-il.
Surtout, il est important que l’Europe dispose de son propre programme. "C’est essentiel en termes de communication car Pékin ne peut pas dire cette fois-ci que l’UE ne fait que suivre Washington", affirme Jean-François Dufour. Autrement dit, avec Global Gateway, la Chine risque de devoir changer de disque et trouver un autre refrain que celui qui était de capitaliser sur le sentiment anti-américain dans le monde en suggérant qu’il n’y avait que deux alternatives, le modèle américain ou le leur.