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Avec huit milliards d'individus sur Terre, la peur de la surpopulation

Trop nombreux ? Huit milliards aujourd'hui, dix milliards d'ici à la fin du siècle. Alors que la population mondiale atteint un nouveau palier mardi, une inquiétude ressurgit : alors que la planète est déjà mise à mal par le dérèglement climatique, sommes-nous trop nombreux ? Nous sommes désormais huit milliards d'humains sur la planète. Selon les modélisations de l'ONU, l'humanité franchit ce cap mardi 15 novembre, onze ans après avoir passé celui des sept milliards, le 31 octobre 2011. Pour certains, cette annonce est à saluer comme la preuve de l'amélioration des conditions de vie des individus à l'échelle planétaire. Pour d'autres, elle apporte surtout son lot d'inquiétudes et de questionnements. Jusqu'où ira la croissance démographique ? Et alors que les dirigeants du monde entier sont réunis à l'occasion de la COP27 pour trouver des solutions au dérèglement climatique, la planète pourra-t-elle supporter et subvenir aux besoins d'une population de plus en plus nombreuse ? "Nous attendons la naissance du huit milliardième habitant de la planète Terre. Cet événement doit à la fois permettre de nous émerveiller des progrès en matière de santé, qui ont permis d'allonger la durée de vie et de réduire considérablement les taux de mortalité maternelle et infantile, mais doit aussi sonner comme un rappel de notre responsabilité partagée à prendre soin de notre planète", résumait le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, le 11 novembre. "Le plus gros de la croissance démographique est derrière nous" Selon les projections de l'ONU publiées en juillet, la population mondiale devrait atteindre un pic dans les années 2080 puis se stabiliser autour de 10,4 milliards d’habitants. "Dix milliards, cela peut paraître énorme, mais c'est finalement une faible augmentation si on la compare à celle des soixante dernières années", affirme Gilles Pison, spécialiste de la démographie mondiale, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle et conseiller auprès de l’Institut national d’études démographiques (Ined). La barre symbolique du premier milliard d'individus sur la planète avait été franchie en 1800, celle des deux milliards en 1927 puis celle des trois milliards en 1960. "À partir de là, le rythme d'augmentation de la population s'était accéléré de façon vertigineuse, avec une croissance démographique de 2 % par an. À l'aube des années 2000, nous étions ainsi six milliards sur la planète, soit six fois plus que deux cent ans auparavant", détaille le démographe. "Depuis, la population continue, certes, de croître, mais de moins en moins vite. Aujourd'hui, la croissance démographique n'est plus que de 1 %. Et elle va très certainement continuer de baisser." "La menace d'une 'bombe démographique' que certains craignaient s'éloigne", résume ainsi Gilles Pison. "Le plus gros de la croissance démographique est même derrière nous." Mais surtout, une fois le cap des dix milliards atteint, la population devrait se stabiliser puis commencer à décroître lentement. Pour cause, selon l'ONU, le taux de fécondité devrait passer de 2,3 enfants par femme, en moyenne, dans le monde aujourd'hui à 2,1 en 2050. Il se stabiliserait ensuite à 1,8 en 2100 – le seuil qui marque la fin du renouvellement des générations. Contrôler les naissances "n'est pas une solution" Face à cette perspective ressurgit cependant la question de ce que la planète peut supporter. L'angoisse n'est pas récente : dès l'Antiquité, Platon et Aristote s'inquiétaient, dans leurs écrits, de la destruction des forêts et de la disparition de sources d'alimentation. Plus tard, en 1798, dans son "Essai sur le principe de la population", Thomas Malthus s'alarmait à son tour d'un déséquilibre entre population et ressources. Mais aujourd'hui, face au dérèglement climatique, la crainte se dédouble, avec à la fois la peur que la planète ne puisse pas subvenir aux besoins de toute la population, mais aussi que cette dernière, trop nombreuse, ne finisse par détruire son habitat. Dans une tribune publiée en 2017 dans le journal Le Monde, plus de 15 000 scientifiques présentaient ainsi la croissance démographique comme "l'un des principaux facteurs de menaces environnementales". Pour certains, la réponse est donc simple : il faut diminuer la population humaine pour alléger la pression sur la planète. En France, l'association Démographie responsable milite ainsi, par exemple, pour plafonner les allocations familiales à deux enfants. Même combat, au Royaume-Uni, pour l'organisation Population Matters. >> À lire aussi : "Surpopulation : ils ne veulent pas d'enfant pour préserver la planète" Une solution balayée par Gilles Pison. "Pour arrêter la croissance démographique subitement, il n'y a que trois solutions : provoquer une hausse de la mortalité – ce que personne ne souhaite –, déménager sur une autre planète – ce qui est irréaliste – ou, effectivement, contrôler la natalité", explique-t-il. "Or, cette solution est tout aussi irréaliste. C'est illusoire de croire qu'il suffit d'adopter des politiques de contrôle des naissances pour voir la population mondiale baisser." En cause, notamment, le principe d'inertie démographique. "Il y a forcément un décalage entre la baisse de la natalité et la diminution de la population. Pendant longtemps, la fécondité était forte, donc il reste beaucoup de femmes en âge d’avoir des enfants. Même si la fécondité diminue drastiquement, la tendance à la croissance se prolonge forcément pendant plusieurs années", détaille le démographe. "D'ailleurs, la fécondité mondiale a déjà beaucoup baissé et ça n'a pas empêché la population d'augmenter", insiste-t-il. "Changer nos modes de vie" Pour le démographe, la solution ne se trouve donc pas dans un "contrôle du nombre" mais "dans un changement des modes de vie". "Pour lutter contre le réchauffement climatique, il ne faut pas être moins, mais il faut tendre, tous ensemble, à plus de sobriété et à moins de consommation." En 2015, un rapport d’Oxfam montrait en effet que les pays à forte natalité – souvent, aussi, parmi les moins développés – comme le Pakistan (3,45), le Nigeria (5,32) ou l’Éthiopie (4,15) ne représentent que 3,5 % des émissions mondiales de CO2 alors qu’ils abritent 20 % de la population mondiale. À l'inverse, les pays les plus développés, qui ont un taux de fécondité bas, comme la Chine (1,7), les États-Unis (1,71) ou les pays d'Europe, émettent 78 % du CO2 alors qu’ils ne représentent que la moitié de l’humanité. "Sur le plan de l'alimentation, par exemple, la planète a de quoi nourrir dix milliards d'individus convenablement. À condition qu'on ne lui demande pas de les nourrir comme s'alimentent les 1 % les plus riches aujourd'hui, avec un régime trop carné et totalement déséquilibré", poursuit Gilles Pison. Et cet enjeu est d'autant plus majeur que, dans quelques années, les cartes de la démographie mondiale seront complètement rebattues. L'Inde deviendra le pays le plus peuplé et un habitant sur trois de la planète vivra en Afrique. "Tout l'enjeu est de permettre à ces pays de se développer sans qu'ils deviennent plus agressifs pour l'environnement. En cela, les pays développés doivent aujourd'hui servir de modèles", plaide le démographe. "Par ailleurs, nous savons aujourd'hui qu'il y a une corrélation entre amélioration des conditions de vie et baisse de la fécondité. Si nous voulons stabiliser la population mondiale, cela devra passer par une réduction des inégalités, une lutte contre la pauvreté, un accès aux soins et à la contraception partout dans le monde…" Enfin, selon Gilles Pison, tenter à tout prix de diminuer la population à court terme pourrait même se révéler contre-productif. "Le grand défi démographique des années à venir sera le vieillissement de la population. C'est déjà un réel problème en Chine, ou encore au Japon", rappelle-t-il. "Surtout que vivre plus longtemps ne veut pas forcément dire en bonne santé. Pour répondre à la question de comment vivre à dix milliards d'individus sur la planète, il faut aussi, en urgence, se questionner sur les liens entre les générations, sur les systèmes de retraite, sur les systèmes de santé", conclut-il.

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