Athlétisme : Rojas-Duplantis, toujours plus loin, toujours plus haut
La Vénézuélienne Yulimar Rojas et le Suédois Armand Duplantis, le 20 mars 2022 lors des Championnats du monde d'athlétisme en salle à Belgrade.
Lors des Championnats du monde d'athlétisme en salle, dimanche, à Belgrade, la Vénézuelienne Yulimar Rojas et le Suédois Armand Duplantis ont établi de nouveaux records du monde dans leur discipline, le triple saut et le saut à la perche. Tous deux repoussent les limites pour atteindre des distances et des hauteurs qu'on n'osait imaginer.
Un peu comme à l'époque où le Jamaïcain Usain Bolt écrasait le sprint mondial, perchistes et triple sauteuses semblent aujourd'hui condamnés à ne pouvoir prétendre qu'à la médaille d'argent, au mieux. L'or, tant convoité, est hors de portée.
Chez les hommes, à la perche, Armand Duplantis évolue sur une autre planète depuis deux ans. Et chez les dames, au triple saut, Yulimar Rojas dicte sa loi depuis maintenant cinq ans. La concurrence, elle, ne peut que regarder ces deux monstres redéfinir les standards de leur discipline.
Illustration parfaite encore dimanche 20 mars lors des Mondiaux d'athlétisme en salle à Belgrade, en Serbie. Yulimar Rojas et Armand Duplantis n'ont pas été inquiétés, ne serait-ce qu'un instant, par leurs adversaires.
Rojas vise 16 mètres
À Tokyo, le 1er août 2021, en finale des Jeux olympiques, Yulimar Rojas avait déjà frappé un grand coup en explosant le précédent record du monde de sa discipline, 15,50m, établi lors des Mondiaux de 1995 par l'Ukrainienne Inessa Kravets. La Vénézuélienne a sauté à 15,67m.
La "Reine du triple saut" a fait encore plus fort à Belgrade. Quasi assurée du titre dès son premier essai, Yulimar Rojas s'est lancée dans la course à un nouveau record du monde. Mission accomplie à sa sixième et dernière tentative : 15,74 m. À la regarder, cela paraît presque facile tant la longiligne athlète – 1,92 m, 72 kilos – maîtrise son art. Après son sacre, elle a d'ailleurs lâché qu'elle était venue en Serbie "pour s'amuser".
Championne olympique, double championne du monde en plein air, triple championne du monde en salle, recordwoman du monde... Yulimar Rojas ne laisse aucune miette. Dimanche, sa dauphine, l'Ukrainienne Maryna Bekh-Romanchuk, a terminé un mètre derrière elle. Lors des derniers JO, la Portugaise Patricia Mamona s'était arrachée pour battre largement le record national... mais a quand même fini à 66 centimètres de la médaillée d'or. Le gouffre entre la patronne et le reste du circuit est abyssal.
À 26 ans, la Vénézuélienne défie les lois de la physique en clamant haut et fort son objectif : devenir la première femme à atteindre les 16 mètres. À l'écouter, ce n'est qu'une question de temps : "Ma devise, c'est ''rien n'est impossible''. Je vais y arriver. Je suis née pour sauter 16 mètres et c'est ce que je veux pour inspirer les autres. Je sais que j'ai 16 mètres dans les jambes." Et ce n'est peut-être pas fini, car Yulimar Rojas nourrit aussi de hautes ambitions en saut en longueur. Le 13 juin 2021, sans préparation, elle a sauté à 6,88m, nouveau record national. Puis, elle a atteint 7,27m, performance folle mais invalidée à cause d'un vent légèrement trop fort. Gare à cet appétit sans limite.
Duplantis plane à 6,20 m en attendant mieux
Adolescent, il était déjà un phénomène. Armand Duplantis n'a pas tardé à confirmer tout le potentiel aperçu du temps où il brillait chez les cadets et les juniors. Champion d'Europe en 2018 à seulement 18 ans, vice-champion du monde en plein air en 2019, le Suédois était programmé pour dominer la perche. Il n'a pas failli : depuis 2020, le perchiste plane largement au-dessus de tous ses adversaires.
À Belgrade, "Mondo" a, une fois de plus, survolé le concours. Médaillé d'argent, le Brésilien Thiago Braz da Silva a raté trois sauts avant de franchir 5,95 m, puis d'échouer à 6,05 m. Pendant ce temps-là, Armand Duplantis ne connaissait aucun échec jusqu'à 6,05 m. Assuré du titre, il a donc eu tout le loisir, comme Yulimar Rojas plus tôt, de viser un nouveau record du monde : 6,20 m, soit un centimètre au-dessus de la barre de référence franchie par lui-même il y a... deux semaines seulement. Et après deux ratés, le Suédois a effacé cette barre.
La domination d'Armand Duplantis rappelle celle de Sergueï Bubka dans les années 1980 et 1990. L'Ukrainien avait battu le record du monde 35 fois pour le faire passer de 5,85 m en 1984 à 6,15 m en 1994. Il avait ensuite fallu attendre presque 20 ans pour voir Renaud Lavillenie, modèle et grand ami d'Armand Duplantis, surpasser Sergueï Bubka en franchissant 6,16 m. Le Français n'aura gardé ce record que six ans. Maître Duplantis le lui a arraché dès 2020, année de son avènement, pour le porter à de nouveaux sommets.
Champion d'Europe en salle, champion olympique et désormais champion du monde en salle, le Suédois a déjà battu quatre fois le record du : 6,17 m puis 6,18 m en février 2020, et donc 6,19 m et 6,20 m en mars 2022. C'est à se demander jusqu'où il s'envolera. Lui ne se fixe aucune limite, comme il l'a confié après son titre à Belgrade : "Je veux repousser les barrières. Je veux être un gars qui saute haut dans les grandes compétitions. J'ai maintenant sauté suffisamment à plus de 6 m pour savoir qu'il est possible de battre des records n'importe quand. J'ai une bonne idée de ce dont j'ai besoin pour rester au sommet." Ses adversaires ont de quoi être résigné, car "Mondo" n'a que 22 ans. Son règne est bien parti pour durer.