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Amazon : pourquoi le vote sur la création d'un premier syndicat au sein de l'entreprise aux Etats-Unis est historique

Après plusieurs échecs de syndicalisation sur les terres natales du géant du commerce, cette campagne menée dans l'Alabama pourrait marquer un tournant. Avant même le résultat des urnes, le scrutin est déjà inscrit dans l'histoire. Le vote pour ou contre la création d'un syndicat dans un entrepôt Amazon de l'Alabama s'achève, lundi 29 mars, après une campagne à la David contre Goliath. Le décompte des suffrages doit commencer mardi et pourrait donner lieu à une première historique sur les terres du géant du commerce, qui ne sortira pas indemne de ce scrutin, quelle qu'en soit l'issue. Explications. La liste des revendications s'allonge Des membres du syndicat de la distribution RWDSU se sont relayés, jour et nuit, depuis l'automne, à l'entrée du complexe de Bessemer (Alabama). Cette mobilisation est née d'une alerte adressée par un ouvrier de 51 ans, Darryl Richardson, qui a contacté le syndicat pour dénoncer la peur d'être viré pour rien, les pauses trop courtes et les cadences infernales. Ce père de quatre filles travaillait auparavant pour un sous-traitant automobile, où le salaire horaire avait presque doublé en quelques années "grâce au syndicat". "Je sais ce qu'un syndicat peut apporter", dit-il. Au début de la pandémie, la société a versé un bonus de deux dollars par heure, avant de le retirer au bout de trois mois. Cette décision a été l'un des éléments déclencheurs, selon le meneur de la RWDSU dans la région, Joshua Brewer. "D'habitude, quand une entreprise comme Amazon arrive à Bessemer avec un entrepôt dernier cri et tous ces super emplois, vous n'avez pas ce genre de problèmes. Là, en quatre mois, les employés n'en pouvaient plus", se souvient-il. Parmi les employés mobilisés, Lafonda Townsend reconnaît avoir été "contente du salaire" lors de son embauche. "C'était avant que je voie à quel point c'est dur, décrit-elle désormais. La salle de pause est très loin et il faut manger comme un prisonnier, hyper vite, pour être revenu à temps, parce que si vous avez une minute en retard, on vous compte une heure non payée." Le mouvement a pris dans un Etat conservateur Les membres du syndicat de la distribution RWDSU ont tout fait pour mener à bien le projet de vote en vue de leur création. Il leur a d'abord fallu recueillir 3 000 accords de principe, sur un total de 5 800 employés au sein de l'entrepôt, avant de passer à la campagne proprement dite pour réclamer un siège à la table des négociations. Le cap des 3 000 soutiens n'allait pas de soi, dans cette région américaine pauvre et conservatrice. "C'est un Etat historiquement anti-syndicats, a souligné l'ancien candidat à l'investiture démocrate Bernie Sanders. Ce n'est pas rien, en Alabama, de se lever contre une grande corporation." Ainsi, c'est dans cet Etat que se trouve "la seule usine Mercedes sans syndicat au monde", relève l'historien Michael Innis-Jiménez. Si le mouvement a pris, c'est en partie grâce à l'histoire de la RWDSU, qui a participé, dans les années 1960, à l'organisation des marches contre la ségrégation aux côtés de Martin Luther King et de John Lewis, à Selma. Les employés de l'entrepôt sont principalement afro-américains et ont été sensibles à la démarche. Amazon livre une opposition farouche Au fil de la campagne, le deuxième plus grand employeur américain s'est empêtré dans une lutte de communication acharnée. Des porte-parole s'en sont récemment pris, sur Twitter, à des élus qui soutiennent le syndicat. Ils ont au passage nié le problème des ouvriers contraints à uriner dans des bouteilles en plastique, faute de temps pour aller aux toilettes, en référence à des révélations datant de 2018, confirmées par des documents et des photos rapportés par différents médias, dont le média d'investigation The Intercept (en anglais). En interne, le groupe a eu recours à toutes sortes de tactiques de dissuasion, des SMS vantant les avantages sociaux (dont l'assurance santé "dès le premier jour") aux affiches dans les toilettes. Selon des salariés, lors de "réunions d'information" régulières, Amazon a brandi l'épouvantail de cotisations syndicales élevées (près de 500 dollars par an) et insisté sur les revenus actuels d'au moins 15 dollars par heure, plus du double du salaire minimum dans cet Etat pauvre. La RWDSU soupçonne même la firme d'avoir demandé aux autorités locales de raccourcir le délai du feu rouge de l'intersection à l'entrée de l'entrepôt, lieu stratégique de la campagne, pour empêcher ses membres de discuter trop longtemps avec les conducteurs. Selon le média pro-syndicats More Perfect Union, le comté a confirmé avoir changé la durée sur demande d'Amazon, officiellement pour fluidifier la circulation. Des militants syndicaux se postent devant des voitures à une intersection à la sortie de l'entrepôt Amazon de Bessemer (Alabama), le 27 mars 2021. (PATRICK T. FALLON / AFP) Le mouvement pourrait faire tache d'huile Les efforts précédents de syndicalisation au sein d'Amazon ont échoué aux Etats-Unis. "Comme la plupart des employeurs américains, Amazon veut maintenir son pouvoir sur tout et s'assurer que les travailleurs ne peuvent rien négocier", analyse Rebecca Givan, professeure en relations sociales à l'université Rudgers, dans le New Jersey. Selon elle, le groupe est prêt à "des dépenses quasi illimitées" pour "prouver que toute tentative est vouée à l'échec et décourager d'avance les autres salariés". Depuis le début de la mobilisation dans l'Alabama, la RWDSU dit toutefois avoir "reçu plus de 1 000 requêtes venues d'une cinquantaines d'entrepôts différents". "Ce mouvement n'aurait pas pu arriver ailleurs qu'ici, où des gens sont morts dans la rue pour le droit de vote, s'enthousiasme le président du parti démocrate pour l'Alabama, Christopher England. Nous allons à nouveau marquer l'histoire".

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