Vingt ans après l'explosion de l'usine AZF, Toulouse tente toujours de faire face au traumatisme collectif
AZF. 20 ans après, Toulouse tente toujours de faire face au traumatisme collectif de l'explosion meurtrière
Mardi 21 septembre 2021, Toulouse commémore les 20 ans de l'explosion de l'usine AZF ayant fait 31 morts et des milliers de blessés. Les cérémonies furent sobres. Marquées par des divisions persistantes. Et pour cet anniversaire, le Gouvernement a brillé par son absence.
Il est 10h17. Sur le site de l'ancienne usine d'AZF , la sirène d'alarme retentit dans un silence de plomb. Il y a 20 ans, jour pour jour, une explosion faisait 31 morts et des milliers de blessés à Toulouse (Haute-Garonne). Des victimes dont les noms sont égrénés un à un.
Face au mémorial érigé en leur mémoire, aux côtés des officiels, des proches et des personnes marquées par la catastrophe n'arrivent pas à cacher leur émotion. Aucune prise de parole n'intervient. Seules des gerbes de fleurs sont déposées au pied du monument. Mais un malaise domine.
Des mémoires qui continuent de s'opposer
Quelques minutes avant la cérémonie officielle organisée par la municipalité de Toulouse, à quelques mètres de là, sur le site même de l'usine, l'association d'anciens salariés d'AZF "Mémoire et Solidarité" a rendu elle aussi hommage aux victimes. Parmi eux, Serge Biechlin l'ancien directeur de Grande Paroisse, condamné à quinze mois de prison avec sursis le 31 octobre 2017.
"Depuis 20 ans nous organisons toujours la même cérémonie, avec les mêmes invités", explique Jacques Mignard, ancien ouvrier d'AZF. (...) "Si d’autres nous rejoignent tant mieux, sinon tant pis."
Car depuis vingt ans, les membres de cette association rejettent les condamnations de l'entreprise et de son ancien directeur, ainsi que les causes de l'explosion retenues par la justice : des "négligences" ont permis le mélange de produits chimiques et l'explosion.
Lors de sa prise de parole, Jacques Mignard a de nouveau réaffirmé sa position à ce sujet.
Un point de vue que ne partagent pas les membres de l'association des Sinistrés du 21 septembre et ceux du collectif "Plus jamais ça". Ils ont décidé de boycotter la cérémonie officielle pour un hommage au coeur de la ville, rond point du 21 septembre, dans le quartier Croix-de-Pierre. Tous pointent du doigt la présence de la compagnie Total, reconnue coupable et condamnée par la justice française à 225 000 € d’amende. La couronne au nom de l'industriel français déposée au pied du Mémorial est vécue comme une provocation et un outrage.
Deux mémoires qui s'opposent. Et pour Stella Bisseuil, avocate des parties civiles lors du procès AZF, "une mémoire qui ne sera pas apaisée". La faute à une justice "trop lente", à un procès trop lointain et "Total qui fait toujours son œuvre en sous main pour tenter de délier ce que la justice a voulu relier."
Guy Fourest, président du Comité de défense des victimes d’AZF, espère quantà lui une réconciliation entre les deux camps et rappelle que les ouvriers sont aussi des victimes de cette catastrophe. Il souhaite les "remercier".
"Ils ont eu de la peine. Plus que nous encore. Et je le dis avec le coeur. Les salariés ont tellement souffert, ce n'est pas du baratin. On doit les respecter.(...) Les salariés ont perdu leur maison. Ils ont perdu leur travail. Ils ont perdu leurs copains. Ils ont tout perdu ces gens-là. La vérité : ce n'est pas un attentat. C'est un accident. C'est une erreur humaine mais pas dûe aux salariés."
Le Gouvernement français, grand absent de la commémoration
Cette crispation entre anciens salariés de Grande Paroisse et la population est d'autant plus forte que le Gouvernement n'a semble-t-il pas jugé utile d'être présent lors de cette matinée du souvenir. Certes, le président de la République, Emmanuel Macron, a bien adressé ses "Pensées aux victimes et à leurs familles" par le biais des réseaux sociaux, assurant que "La France se souvient".
De nombreux politiques locaux ne cachent pas leur amertume face à cette absence. Mais c'est sûrement la réaction de Frédéric Arrou, historique porte-parole des sinistrés et ancien président de l’association des Sinistrés du 21 septembre, au micro de nos confrères de France Bleu Occitanie, qui exprime le mieux le dépit des victimes : "On est habitués. Vous savez, le lendemain de la catastrophe, monsieur Kouchner est venu sur le site, seulement où il y avait les caméras. Il n'est pas allé voir les soignants et les patients de l'hôpital Marchant qui en ont pris plein la tête. Alors, je suis un peu blindé là-dessus. Peut-être que ce n'est pas assez glamour pour Emmanuel Macron, qu'un tweet lui suffit."
Le préfet d'Occitanie, Emmanuel Guyot, semble s'être senti bien seul au moment de déposer une gerbe de fleurs au nom de l'État. 20 ans après la catastrophe du 21 septembre 2001, les Toulousains ne savent toujours pas s'ils souhaitent se souvenir de cette tragédie ou si le temps est venu pour eux de tourner la page.