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VIDEO. Tout comprendre aux "NFT", ces jetons virtuels qui se vendent plusieurs millions d'euros

Ce système d'échanges sécurisés ouvre une nouvelle dimension pour les collectionneurs, mais avec une petite subtilité : le titre de propriété est souvent bien plus important que l'objet lui-même. Le système fait autant froncer les sourcils qu'il fascine les investisseurs. Les NFT, pour non-fungible tokens (des jetons non fongibles, en français) offrent une nouvelle manière de vendre et d'acheter sur internet. Ces jetons virtuels permettent notamment d'acquérir des "objets" entièrement numériques, que l'on ne peut donc ni voir, ni toucher, mais tout à fait posséder et revendre. "C'est comme si vous achetiez un article en magasin, mais que ce qui comptait vraiment pour vous c'était le ticket de carte bleue, résume Fabrice Starzinskas, responsable de filière Création digitale à l'Ecole supérieure du digital à Paris. "Ça change pas mal de choses", sourit-il. Après leur entrée fracassante dans le monde de l'art, mais aussi du sport et des jeux vidéo, les NFT feront-ils bientôt partie de notre quotidien ? Franceinfo s'est aventuré dans cette brèche numérique. Comment fonctionnent les "NFT" ? Les NFT s'apparentent à un contrat numérique unique, qui est consigné dans un registre sécurisé. Dans le monde de l'art par exemple, cette technologie améliore considérablement la traçabilité d'une œuvre, prouvant qu'elle est authentique et qu'elle appartient bien à son propriétaire. Un système qui pourrait, dans le futur, résoudre bien des querelles d'experts. Pour créer un tel jeton, il faut l'inscrire dans un registre un peu particulier, une technologie de stockage appelée blockchain. Ce réseau décentralisé garde en mémoire tous les changements qui lui sont apportés. "C'est un tiers de confiance, à l'instar d'un notaire, détaille Fabrice Starzinskas. Sauf qu'ici, c'est comme si chacun avait le registre du notaire accessible dans sa chambre. Si le notaire déménage ou disparaît, on s'en fiche, car des copies existent un peu partout." La création d'un NFT porte un nom, le minting ("la frappe", en français), et a lieu sur des plateformes spécialisées telles que les sites Mintable, Foundation ou OpenSea, moyennant des frais qui dépassent parfois la centaine d'euros.  Que peut-on acheter ou vendre grâce aux "NFT" ? Les possibilités d'échanges sont presque illimitées, car ces contrats peuvent concerner aussi bien des œuvres physiques, comme des tableaux ou des sculptures, que des créations entièrement numériques : on parle alors d'"art crypto". Il est donc possible de devenir propriétaire d'une image au format jpeg, d'une musique en MP3 ou encore de collectionner des vidéos montrant des grands moments de sport, par exemple. Et peu importe si des copies de ces fichiers existent ou circulent sur le web, le NFT garantit qu'une seule personne possède officiellement l'œuvre en question. "Au début, j'avais du mal à comprendre le principe de vendre un fichier complètement digital, souffle Joanie Lemercier, artiste visuel installé à Bruxelles. Mais avec ces certificats de sécurité, l'acheteur est vérifié et peut ensuite revendre l'œuvre sur un marché secondaire. Le créateur peut aussi percevoir des royalties à chaque fois que le NFT change de main, si cela est précisé dans le contrat." Un doute persiste : comment être sûr qu'un artiste ne vendra pas deux fois la même œuvre grâce à ce système ? "Ce n'est pas différent d'une vente en direct ou en galerie, assure Joanie Lermercier. Quand je réalise une œuvre, en six éditions par exemple, je m'engage à ne pas en faire une septième ou une huitième." Jusqu'à l'année dernière, les NFT étaient principalement connus des spécialistes en cryptomonnaie, mais en mars, une vente record a secoué le marché de l'art contemporain : l'adjudication pour 69,3 millions de dollars d'une œuvre de l'artiste américain Beeple, un collage numérique baptisé Everydays : The First 5 000 Days. Quelques semaines plus tard, l'énigmatique artiste Pak a récolté plusieurs millions de dollars en vendant une série de NFT par l'intermédiaire de la célèbre maison de ventes aux enchères Sotheby's, dont une œuvre déroutante : un simple pixel, adjugé pour 1,36 million de dollars après 90 minutes d'enchères en ligne. Cette technologie est-elle réservée au marché de l'art ? Si les NFT passionnent particulièrement les artistes, ces jetons apparaissent dans d'autres secteurs de l'économie numérique, comme les jeux vidéo. "Que ce soit pour des objets digitaux dans le jeu en ligne FarmVille, des armes particulières dans des jeux comme League of Legends ou Counter-Strike, énumère Fabrice Starzinskas, les gens dépensent déjà beaucoup pour des objets virtuels." Pour les éditeurs, les possibilités de ventes exclusives, de personnages ou d'accessoires uniques par exemple, ouvrent des perspectives alléchantes. Le contrat symbolisé par les NFT peut aller encore plus loin. Fin mars, le PDG de Twitter, Jack Dorsey, a vendu son tout premier tweet pour 2,9 millions de dollars, un message pourtant visible par le monde entier. Mais qui possède désormais un propriétaire. Le 2 avril, un couple d'Américains a enregistré son mariage* dans la blockchain, en s'échangeant deux NFT liés à une même œuvre virtuelle baptisée "Tabaat", qui signifie "bague" en hébreu. Tout aussi étonnant, Oleksandra Oliynykova, joueuse de tennis professionnelle classée au-delà de la 600e place mondiale, a mis en vente son bras droit* sous forme de NFT. La sportive s'engage en effet à laisser l'acheteur choisir un tatouage définitif qui sera visible lors de ses futurs matchs.  En la matière, le champ des possibles semble infini. "Je peux faire une capture d'écran de notre interview par Zoom puis la vendre, sourit Fabrice Starzinskas. La seule limite, c'est l'imagination ou le discours artistique qu'il y a derrière." Investir dans les NFT est-il risqué ? Passés du rang de technologie confidentielle aux salles des plus grandes maisons de ventes aux enchères, ces jetons virtuels attirent des investisseurs de tous horizons et connaissent une croissance spectaculaire. Au premier trimestre 2021, les ventes de NFT auraient dépassé les deux milliards de dollars, d'après un rapport du site spécialisé NonFungible. Une manne bienvenue pour les artistes, dont l'activité est limitée depuis début 2020. "Dans un contexte de pandémie, les artistes sont les premiers à être congédiés, souligne Fabrice Starzinskas, donc s'ils peuvent vendre une image jpeg qui leur paye trois mois de loyer, ils auraient tort de s'en priver." Qu'il soit physique ou virtuel, l'art confirme également son statut de valeur refuge. "C'est une dérive du capitalisme, ajoute l'artiste Joanie Lemercier. L'intérêt premier de nombreux acheteurs, c'est la création de valeur monétaire." Plusieurs célébrités se sont déjà emparées du phénomène NFT, comme l'héritière américaine Paris Hilton, qui a vendu sa dernière création pour plus d'un million de dollars sous cette forme. Quant aux acheteurs de l'œuvre de Beeple à 69,3 millions de dollars, ils ne sont autres que des investisseurs indiens ayant fait fortune... dans les NFT. Pour Joanie Lemercier, l'engouement autour de ces jetons a tout l'air d'une bulle spéculative, promise à un risque d'implosion. "On sait que cette hausse des prix et ce boom des ventes vont avoir une durée de vie très courte, analyse l'artiste. Mais sur le long terme, est-ce qu'on va revenir à des prix un peu plus raisonnables et développer un nouveau modèle économique pour les artistes ? C'est la question que l'on se pose tous."  La durabilité du système comporte aussi son lot d'interrogations. "Dans une ruée vers l'or, les seuls qui gagnent des sous, ce sont ceux qui vendent des pelles", ironise Fabrice Starzinskas. Les NFT sont une affaire rentable pour les créateurs des plateformes d'échanges, qui ont toutefois des coûts fixes importants. Car la blockchain virtuelle repose sur des infrastructures "en dur" : des ordinateurs dont il faut assurer la gestion, la sécurité, et qui sont surtout très gourmands en électricité. "Je me suis rendu compte que l'édition de seulement six NFT avait une consommation électrique égale à trois années de consommation de mon studio, révèle Joanie Lemercier, avec tous les vidéoprojecteurs ou les ordinateurs que j'utilise au quotidien." Face à ce constat, l'artiste a décidé de "tout mettre en pause" et s'intéresse désormais à des plateformes plus écologiques et abordables. * L'ensemble des articles vers lesquels renvoient ces liens sont en anglais.

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