Un avocat accuse la procureure de Versailles d'avoir couvert des violences policières
Selon maître Yassine Bouzrou, une procédure judiciaire a été lancée par le parquet de Versailles contre un témoin de violences policières pour l'empêcher de témoigner devant la police des polices, en novembre 2021.
La procureure de Versailles est accusée par un avocat d’avoir couvert des faits de violences policières et d’avoir fait condamner le témoin principal de ces violences en le piégeant, a appris franceinfo mercredi 26 janvier, confirmant une information de l'hebdomadaire Le Canard Enchaîné. Dans un courrier, que franceinfo a pu consulter, maître Yassine Bouzrou demande au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, d’ouvrir une enquête administrative ou de saisir le Conseil supérieur de la magistrature.
L’affaire qu’il dénonce remonte au 7 novembre 2021, à La Selle-Saint-Cloud (Yvelines). Cinq policiers du commissariat du Chesnay ont retrouvé une mineure en fugue chez la mère de son petit ami, âgé de 15 ans. Au cours de cette intervention, le jeune homme "aurait été frappé" et "menacé de mort", avant de recevoir "de nombreux autres coups" en garde à vue, explique Yassine Bouzrou dans son courrier au garde des Sceaux. La mère du jeune homme a assisté à la scène et l'a filmée.
La mère menacée parce qu'elle a filmé
Dans cette vidéo, que franceinfo a pu visionner, on voit effectivement une intervention policière musclée. "Comment vous vous appelez ?", demande un policier à la jeune fille dans la chambre pendant que le jeune homme se trouve dans le couloir de l'appartement. "Qui est là ?", demande la mère à son fils, qui ne répond pas et tente de retourner dans sa chambre. La caméra ne filme pas les quelques secondes qui suivent, puis on aperçoit de nouveau le jeune homme et un policier qui s'agrippent. Celui-ci lui prévient alors : "Arrêtez, je vais vous casser le bras !"
L'adolescent se fait ensuite plaquer sur le lit par deux policiers, dont un qui continue de lui dire qu'il va "lui casser le bras" et "la gueule" pendant qu'il tente de lui faire une clé. L'autre policier est lui à califourchon sur le torse du jeune homme pendant près d'une minute et vingt secondes, avant de réussir à le retourner et à le menotter les mains dans le dos. Il est aidé par une troisième policière qui lui tient les jambes alors qu'il tentait de se débattre en donnant des coups de pieds.
La mère continue alors de filmer le visage de son fils, face à son matelas, alors qu'il saigne du nez. "Pourquoi tu m'as mis un coup de coude ?", dit le jeune homme à un policier. "Je lui ai pété le nez parce que... il a essayé de me frapper", dit plus tard dans la vidéo un des policiers qui expliquera également à la mère : "Vous madame, de toute façon vous vous êtes opposée à la truc... Ça ne va pas aller pour vous."
Une attitude "inconcevable" selon l'avocat
Le ministère de la Justice indique "avoir contacté [maître Yassine Bouzrou], à l’issue de la parution de l’article du Canard enchainé, qui a transmis un courrier et les annexes par mail dans la journée. Les services sont saisis pour analyser les documents et le courrier". Dans ce courrier, l'avocat explique que lorsque la mère est allée récupérer son fils à la fin de sa garde à vue, "elle prévenait les policiers de son intention de dénoncer leur comportement auprès de l'Inspection générale de la police nationale" (IGPN) et "leur montrait la vidéo". Mais la veille de sa convocation par la police des polices, elle-même a été placée en garde à vue pour des faits de violences volontaires sans interruption totale de travail (ITT), une qualification qui peut être retenue pour des violences psychologiques, même s'il n'y a pas de contact physique, assure une source judiciaire à franceinfo.
"Une telle attitude est inconcevable et doit être vivement dénoncée", écrit maître Bouzrou. À l'issue de sa garde à vue, la mère a "reconnu les faits dans un procès verbal de composition pénale", une procédure qui permet au procureur de la République de proposer une sanction pour éviter un procès.
"Elle est donc définitivement condamnée" et "n'a pas pu se rendre à l'IGPN", regrette dans son courrier au ministre Yassine Bouzrou qui annonce donc que ses clients ont porté plainte pour "violences volontaires aggravées", "faux en écriture publique" et "escroquerie au jugement". "Le parquet de Versailles a détourné la loi", estime mercredi auprès de franceinfo Yassine Bouzrou, qui évoque "des manœuvres frauduleuses". "Il n’est pas sérieux de soutenir que filmer dans ces conditions serait constitutif de violences. Soit le parquet de Versailles n’a aucune compétence juridique, soit il instrumentalise la justice afin d’exonérer et d’enrichir les policiers violents."
Une source judiciaire indique cependant à franceinfo que la procédure a été respectée dans cette affaire. Le parquet de Versailles a saisi mardi l'IGPN pour savoir si cette interpellation était pertinente et proportionnée.