UberFiles : une enquête journalistique révèle des liens privilégiés entre Macron et l'entreprise
Le logo de la compagnie de taxi Uber est visible sur le toit d’un taxi de location privé à Liverpool, Grande-Bretagne, le 15 avril 2019.
Une enquête journalistique révèle dimanche des liens privilégiés entre Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'Économie et l'entreprise américaine Uber. L'affaire a suscité l'indignation des élus de gauche, l'Elysée et Uber niant tout favoritisme.
Pacte "secret" contre "toutes nos règles", "pillage du pays": des élus de gauche ont vivement dénoncé dimanche 10 juillet les liens qui ont uni Emmanuel Macron et la société Uber, après des révélations de presse.
Dans le cadre des "Uber Files", une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian et transmis au Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, Le Monde s'est intéressé aux liens entre la société américaine et Emmanuel Macron à l'époque où il était ministre de l'Économie (2014-2016).
S'appuyant sur différents témoignages et documents, dont de nombreux échanges de SMS, Le Monde conclut à l'existence d'un "deal" secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy. Le quotidien fait état de réunions dans le bureau du ministre, de nombreux échanges (rendez-vous, appels ou SMS) entre les équipes d'Uber France et Emmanuel Macron ou ses conseillers, citant notamment des comptes-rendus de réunions rédigés par le lobbyiste Mark MacGann.
Sont pointées du doigt certaines pratiques destinées à aider Uber à consolider ses positions en France, comme le fait de suggérer à l'entreprise de présenter des amendements "clés en main" à des députés.
Sollicitée par l'AFP, la société Uber France a confirmé la tenue de réunions avec Emmanuel Macron: des rencontres qui "relevaient de ses responsabilités en tant que ministre de l'Économie et du Numérique supervisant le secteur des VTC".
Uber France revient par ailleurs sur la suspension d'Uber Pop, un service en fonction entre février 2014 et juillet 2015 qui permettait aux utilisateurs d'être mis en relation avec des véhicules dont les conducteurs étaient de simples particuliers, non titulaires d'une licence de taxi ou de VTC. Cette suspension "n'a aucunement été suivie d'une réglementation plus favorable", comme suggéré dans l'idée d'un "deal", souligne Uber France.
"Pillage du pays"
L'Elysée a indiqué à l'AFP qu'Emmanuel Macron, comme ministre de l'Économie, était "naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises engagées dans la mutation profonde des services advenue au cours des années évoquées, qu'il convenait de faciliter en dénouant certains verrous administratifs ou réglementaires".
Mais la patronne des députés LFI Mathilde Panot a dénoncé sur Twitter un "pillage du pays", Emmanuel Macron ayant été selon elle à la fois "conseiller et ministre de François Hollande et lobbyiste pour multinationale états-unienne visant à déréguler durablement le droit du travail".
Le numéro un du PCF Fabien Roussel a relayé des "révélations accablantes sur le rôle actif joué par Emmanuel Macron, alors ministre, pour faciliter le développement d'Uber en France", "contre toutes nos règles, tous nos acquis sociaux et contre les droits des travailleurs".
"Uber mériterait bien une petite commission d'enquête" parlementaire, d'après le député communiste Pierre Dharréville.
Emmanuel Macron a "pactisé en secret avec le géant américain Uber pour pousser dans le sens de la dérégulation" et "va devoir s'en expliquer", selon la députée LFI Clémence Guetté.
À l'autre bord, Jordan Bardella, président du RN, a aussi jugé que "le parcours d'Emmanuel Macron a une cohérence, un fil rouge: servir des intérêts privés, souvent étrangers, avant les intérêts nationaux".
Interrogé par l'AFP, l'ancien député PS Thomas Thévenoud, qui a donné son nom à la loi d'octobre 2014 délimitant plus précisément les droits et devoirs respectifs des taxis et des voitures de transport avec chauffeur (VTC), estime qu'Emmanuel Macron "est resté un interlocuteur privilégié" d'Uber.
Il l'avait rencontré sur le sujet dès le printemps 2014 lorsqu'il était secrétaire général adjoint de l'Elysée. "Il a toujours cherché à dérouler le tapis rouge à Uber", estime-t-il.
L'ex-député et éphémère secrétaire d'État s'interroge aussi sur le rôle d'Elisabeth Borne, qui "connaît parfaitement ces sujets". La cheffe du gouvernement a été ministre des Transports au moment de la loi d'orientation des mobilités puis ministre du Travail quand a été favorisé le dialogue social dans le secteur des VTC - "sans accorder le statut de salarié aux chauffeurs Uber", pointe Thomas Thévenoud.
"Pourquoi le gouvernement défendait l'an dernier la création d'un "tiers statut" sous couvert d'organiser la représentation des travailleurs des plateformes ?", a demandé sur Twitter Boris Vallaud, président des députés socialistes.
"La violence garantit le succès"
L'enquête accuse plus largement Uber de méthodes brutales, voire illégales, à ses débuts. "Nous n'avons pas justifié et ne cherchons pas d'excuses pour des comportements qui ne sont pas conformes à nos valeurs actuelles en tant qu'entreprise", a indiqué Jill Hazelbaker, vice-présidente chargée des Affaires publiques d'Uber, dans un communiqué en ligne.
"Nous demandons au public de nous juger sur ce que nous avons fait au cours des cinq dernières années et sur ce que nous ferons dans les années à venir", a-t-elle ajouté.
L'enquête met en avant certaines méthodes employées pendant ces années d'expansion rapide mais aussi de confrontation pour Uber, de Paris à Johannesburg.
"L'entreprise a enfreint la loi, trompé la police et les régulateurs, exploité la violence contre les chauffeurs et fait pression en secret sur les gouvernements dans le monde entier", affirme le Guardian en introduction.
Les articles mentionnent notamment des messages de Travis Kalanick, alors patron de la société basée à San Francisco, quand des cadres se sont inquiétés des risques pour les conducteurs qu'Uber encourageait à participer à une manifestation à Paris.
"Je pense que ça vaut le coup", leur a répondu le cofondateur. "La violence garantit le succès".
Selon le Guardian, Uber a adopté des tactiques similaires dans différents pays européens (Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie...), mobilisant les chauffeurs et les incitant à se plaindre à la police quand ils étaient victimes de violence, afin d'utiliser la couverture médiatique pour obtenir des concessions des autorités.
"Travis Kalanick n'a jamais suggéré qu'Uber exploite la violence aux dépens de la sécurité des conducteurs", a réagi Devon Spurgeon, porte-parole de l'ancien dirigeant controversé, dans un communiqué publié par l'ICIJ, où il réfute toutes les accusations.
"Aujourd'hui, Uber est l'une des plus grandes plateformes de travail au monde et fait partie intégrante de la vie quotidienne de 100 millions de personnes. Nous sommes passés d'une ère de confrontation à une ère de collaboration, démontrant une volonté de trouver un terrain d'entente avec d'anciens opposants, y compris les syndicats et les sociétés de taxis", élabore Jill Hazelbaker.
Avec AFP