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Économie et marchés

Tiger Global : les pertes records d’une star de la finance sonnent comme une alarme

Le fonds d’investissement américain Tiger Global a perdu 17 milliards de dollars depuis le début de l’année. Une déroute sans précédent pour l’un des champions des investissements dans le secteur de la tech qui en dit long sur l’état du marché et, plus généralement, de l’économie. L’une des plus grandes stars de la finance - un fonds spéculatif abonné aux investissements qui rapportent gros - vient de se prendre une claque historique. Tiger Global a perdu 17 milliards de dollars depuis le début de l’année, a calculé le Financial Times dans un article paru mardi 10 mai. Jamais un fonds d’investissement n’avait souffert d’une telle perte en si peu de temps, confirme la chaîne économique américaine Bloomberg. Les mésaventures de Tiger Global éclipsent la débandade de Melvin Capital, qui avait perdu sept milliards de dollars en quelques jours durant l’affaire GameStop, et celle du fonds d’investissement Bridgewater qui avait vu 12 milliards de dollars se volatiliser au début de la pandémie de Covid-19. Les mésaventures de l’un des financiers les “plus importants de tous les temps” “C’est une perte très importante et d’autant plus impressionnante qu’elle concerne Tiger Global”, assure Alexandre Baradez, analyste des marchés chez IG France. En 21 ans d’existence, ce fonds spéculatif américain n’a perdu de l’argent qu’à deux reprises, dont l’une au moment de la crise financière de 2008. “En moyenne, il a un rendement annuel de 20 % pour ses clients”, précise l'analyste. Une histoire riche en succès boursiers qui a valu à son fondateur, Chase Coleman, d’être classé parmi les 15 plus importants financiers de tous les temps par LCH Investments, une société qui analyse les performances des fonds d’investissement. En 2020, il était encore l'investisseur qui avait engrangé le plus de bénéfices, avec trois milliards de dollars annuels, raconte Bloomberg. >> GameStop : quand des internautes boursicoteurs rabattent le caquet des spéculateurs D’où la stupeur suscitée par les pertes faramineuses de Tiger Global. “En quatre mois, ce fonds d’investissement a effacé près de trois quarts de l’ensemble des bénéfices réalisés depuis 2001”, constate le Financial Times. Une déroute due essentiellement au retournement de tendance dans le domaine de prédilection de ce fonds d’investissement : la high-tech. La dégringolade du Nasdaq (l’indice boursier des nouvelles technologies), qui a perdu plus de 20 % de sa valeur depuis le début de l’année, et la chute en Bourse des groupes tech chinois lui ont fait très mal au portefeuille.  “C’est l’un des fonds d’investissement les plus exposés aux valeurs du secteur de l’innovation”, résume Alexandre Baradez. Tiger Global s’est forgé la réputation d’être à l’avant-garde boursière de toutes les tendances du secteur tech, investissant aussi bien dans Facebook, Airbnb que dans les pépites moins connues de la scène tech chinoise ou européenne.  Trop exposé au secteur de la tech ? Les mésaventures de Tiger Global sont un témoignage de la vitesse à laquelle la face de la planète boursière est en train de changer. “Cela démontre que même des investisseurs chevronnés qui connaissent leur secteur sur le bout des doigts ont été pris de court”, résume Andrew Beer, analyste pour le fonds d’investissement Dynamic Beta, interrogé par le Financial Times. D’autres fonds spécialisés dans les nouvelles technologies ont d’ailleurs connu une trajectoire similaire, sans engranger pour autant des pertes aussi spectaculaires. Les placements effectués par la société de gestion Ark Invest - dont la raison d’être est d’investir dans l'innovation - “ont perdu 50 % de leur valeur depuis le début de l’année”, souligne Alexandre Baradez. Tiger Global, Ark Invest et d’autres ressemblent à s’y méprendre à la cigale de la célèbre fable de Jean de La Fontaine. Ces fonds ont “profité d’une décennie de croissance ininterrompue dans la tech, un secteur qui semblait immunisé contre toutes les crises et qui a, en outre, été l’un des grands gagnants de la pandémie”, résume Alexandre Baradez.  Ils ont dépensé sans compter, sûrs de la bonne fortune des Facebook, Apple, ByteDance (maison mère chinoise de TikTok) et autres start-up et “n’ont pas pensé à se couvrir pour le cas où la croissance de ce secteur connaîtrait un coup d’arrêt”, explique l’analyste d’IG France.  Ce retournement de tendance a pourtant fini par arriver en fin d’année dernière, et, trop longtemps, ces boursicoteurs de haute volée n’ont pas voulu y croire. “En voyant, par exemple, les sociétés tech chinoises perdre 50 % de leur valeur, certains ont pensé pouvoir en profiter, en investissant davantage pour pas cher convaincu que la Chine allait voler au secours de ces entreprises”, raconte Alexandre Baradez. Mais Pékin a laissé ces groupes continuer à s’enfoncer dans le rouge.  Victime de la lutte contre l’inflation Le changement de climat boursier doit beaucoup à la Banque centrale américaine, qui a changé de cap en quelques mois. En octobre dernier, la Fed ne semblait pas encore très préoccupée par l’inflation, rappelle Alexandre Baradez.  Et puis en début d’année, elle a indiqué que sa priorité absolue allait dorénavant être de calmer la flambée des prix, ce qui l’a poussé à rehausser les taux à plusieurs reprises. Quel rapport entre la lutte contre l’inflation et la mauvaise fortune de Tiger Global ? Pendant longtemps, les taux étaient tellement bas que les seuls investissements rentables étaient les actifs les plus risqués - cryptomonnaies et actions des jeunes entreprises de la tech -, ce qui fait que tout le monde en voulait. Mais la hausse des taux signifie que d’autres placements - comme les obligations - commencent à devenir intéressants aussi. Si les actifs risqués ne sont plus les seuls à rapporter, le jeu n’en vaut peut-être plus la chandelle. “Surtout dans le contexte de ralentissement économique actuel, avec des groupes tech qui ont annoncé des résultats financiers moins impressionnants [comme Facebooket Netflix, NDLR]”, précise Alexandre Baradez. Ces actions risquées n'étaient plus aussi recherchées, ce qui leur a fait perdre de la valeur.  Les déboires de Tiger Global semblent donc être le prix à payer pour l’entrée brutale dans cette nouvelle réalité boursière et financière, marquée par plus de prudence. Et ce n’est peut-être qu’un début. “La tech a été la première affectée par ce ralentissement. Les autres secteurs commencent maintenant aussi à pâtir”, note l’analyste d’IG France, qui craint l’effet de contagion. Les autres fonds, échaudés par les pertes de Tiger Global, commenceraient à se délester de leurs actifs les plus risqués, accélérant la tendance à la baisse de la Bourse. Jusqu'où ? Si le mouvement s'accélère, il pourrait déborder sur l'économie réelle, avec des groupes cotés incapables de lever de l'argent nécessaire sur les marchés pour financer leur croissance. 

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