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Insolite et Faits divers

TEMOIGNAGES. "Ce que vous voyez, c'est la mort en direct" : le patron des cyberenquêteurs de l'attentat de Nice raconte la collecte des images

"Ce que vous voyez, c'est la mort en direct" : le patron des cyberenquêteurs de l'attentat de Nice raconte la minutieuse collecte des images La vidéo de 2 minutes du parcours du camion qui a pris 86 vies le 14 juillet 2016 doit être diffusée aujourd'hui au procès de l'attentat de Nice. Pierre Penalba, commandant de la cellule de lutte contre la cybercriminalité en 2016, raconte son travail sur les vidéos de l'attaque terroriste. "C'est la seule fois de ma carrière où je crois que j'ai craqué en arrivant chez moi." La confession de Pierre Penalba, les yeux humides et la voix cassée par les souvenirs, en dit long sur le traumatisme qui lui reste, plus de six ans après les faits. Assis dans son salon, le jeune retraité de la police judiciaire de Nice raconte longuement cette soirée du 14 juillet 2016, lors de laquelle Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a lancé sur la Promenade des Anglais le camion de 19 tonnes qu'il avait loué, faisant 86 morts et des centaines de blessés. >> "Je n'ai plus peur des camions, je n'ai plus peur du noir" : six ans après l'attentat de Nice, les enfants du 14-Juillet meurtris mais vivants Ce jour-là, le commandant Penalba, chef de la cellule de lutte contre la cybercriminalité à la police judicaire de Nice, est en vacances à 250 km de la Promenade des Anglais. À 22h33, un premier appel arrive au Samu de Nice. Quinze minutes plus tard, Pierre Penalba reçoit une première alerte. Trente minutes après, il est officiellement rappelé et prend sa voiture direction Nice. La suite de sa nuit, il la consacre à ce qu'il fait depuis des années : rassembler les images, récupérer sur les victimes leurs appareils électroniques, et enfin, au petit matin, se jeter corps et âme dans l'analyse des vidéos. Il est resté sur le pont pendant 72 heures non-stop. L'opportunité d'une diffusion de l'intégralité de ces images a été posée dès le deuxième jour du procès de l'attentat devant la cour d'assises spéciale de Paris et qui est retransmis à Nice. Le président Laurent Raviot a regardé lui-même les vidéos, sous scellés, avant de prendre sa décision. Pierre Penalba est un expert dans son domaine. Il a monté en 2007, à Nice, la première cellule de lutte contre la cybercriminalité hors de Paris, et a écrit un ouvrage entièrement consacré au sujet (Cybercrimes, aux éditions Albin Michel). "Cet attentat, je l'ai revécu pendant des mois, j'allais dire des centaines de fois. Je l'ai revécu sous tous les angles puisqu'on a dû exploiter ces vidéos, on a dû les voir, les visionner et à chaque fois, ça vous replonge dans ce drame", se remémore le cyberenquêteur. L'opportunité d'une diffusion de l'intégralité de ces images a été posée dès le deuxième jour du procès de cet attentat qui s'est ouvert le 5 septembre devant la cour d'assises spéciale de Paris et qui est retransmis à Nice. Le président Laurent Raviot a regardé lui-même les vidéos, sous scellés, avant de prendre sa décision. "Il y avait plein de gens qui étaient en train de filmer au moment de l'attentat, se souvient le cyberenquêteur. Vous avez par exemple des gens qui se filmaient pendant la fête, comme on fait avec ses enfants, avec sa famille. Vous vous filmez et vous entendez un bruit. Vous vous retournez et vous avez un camion qui vient vous rouler dessus, vous écraser. Ce que vous voyez, c'est la mort en direct." Et ce qui est "terrible", selon les mots de l'enquêteur, c'est de devoir repasser les mêmes vidéos des dizaines de fois pour "essayer de déterminer s'il pouvait y avoir des complices qui avaient pu, par exemple, sauter du camion ou l'accompagner, ou même des gens, des suspects qui auraient filmé la scène pour faire une revendication". C'est cette enquête qui a permis de déterminer rapidement que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel avait agi seul. "C'était primordial", insiste le commandant de la police judiciaire. Il a également participé aux perquisitions au domicile du terroriste, que l'enquête avait permis d'identifier.  "On ne peut pas dire 'moi, ça ne m'a rien fait'" Il y avait le terrible, et "l'insupportable" pour ce grand-père de trois enfants : les vidéos où il a vu des enfants être écrasés par le camion, "pulvérisés" dit-il plusieurs fois. Pierre Penalba n'est pourtant pas un homme que l'on choque facilement. Avec 34 ans de service au compteur, dont près de la moitié sur la cybercriminalité, il a travaillé sur des affaires de terrorisme, de pédopornographie, sur des dossiers de meurtres. Mais la mort de ces enfants l'aura marqué à vie.  La voix assurée de Pierre Penalba tremble un peu alors qu'on l'interroge sur l'après, sur le moment où il est rentré chez lui, après d'intenses heures de travail. "J'ai du mal à en parler, confie-t-il après de longs silences. Quand on voit ça, on ne peut pas dire : moi, ça ne m'a rien fait. Ce n'est pas possible. J'ai craqué en arrivant chez moi." D'autant que le policier s'est aussi rendu sur la Promenade ce soir du 14 juillet 2016, pour assister ses collègues qui récupéraient les téléphones des victimes. "On a vu les gens qui avaient survécu, qui étaient là, qui étaient blessés, les familles qui avaient été décimées. Vous les voyez hurler, ils sont dans une douleur extrême et vous, vous l'absorbez. Vous avez beau être professionnel, dans des conditions comme ça, vous en absorbez une partie." Un "charognard" sur Le Bon Coin C'est peut-être ce traumatisme profond qui explique la colère qui est la sienne alors qu'il évoque un autre évènement, le lendemain de l'attentat. Une annonce avait été postée sur Le Bon Coin pour revendre des objets récupérés sur la Promenade : des portefeuilles, des bijoux, des objets tâchés de sang. "C'est peut-être ce jour-là ou j'ai eu la réponse la plus rapide du parquet pour aller perquisitionner en utilisant la force, parce que ça a dû être dans les deux minutes, se félicite Pierre Penalba. Il m'a dit : 'Allez-y et ne prenez pas de gants. Vous ouvrez la porte en force, vous le ramenez et prenez tout son matériel'." Le commandant de la police judiciaire de Nice a donné un surnom à cet homme : "le charognard". "J'ai conservé les photos de ce qu'il avait dérobé pour me souvenir que l'âme humaine peut être bien noire", ajoute-t-il. Longtemps, Pierre Penalba n'a pas pu retourner sur la Promenade des Anglais. Les vidéos l'ont hanté durant de longs mois. "Vous avez des images qui se superposent", raconte-t-il. Ça va mieux aujourd'hui. Il peut retourner sur la "Prom", mais n'a certainement pas oublié. De ces 34 ans de carrière, l'attentat de Nice restera l'affaire qui l'accompagnera dans sa retraite.

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