Salah Abdeslam affirme avoir renoncé à se faire exploser : "Si c'est vrai, cela change quelque chose", estime un rescapé du Bataclan
"Il y a sûrement une vérité qui émerge de ça", estime l'un des rescapés du Bataclan, président de l’association Life For Paris. "Il a une facilité à se dépeindre, lui, comme quelqu'un qui, par humanisme, a renoncé. Mais dès qu'on lui demande de condamner un peu plus largement, il ne le fait pas", note toutefois Arthur Dénouveaux.
Salah Abdeslam a donné sa version des faits du 13-Novembre 2015. Il a expliqué qu'il avait renoncé par "humanité" à se faire exploser dans un restaurant du 18e arrondissement. "Si c'est vrai, cela change quelque chose sur le regard qu'on porte sur lui", affirme jeudi 14 avril sur franceinfo Arthur Dénouveaux, président de l’association Life For Paris, rescapé du Bataclan. Aujourd'hui, le parquet et les avocats de parties civiles vont interroger le dernier membre encore vivant des commandos des attentats du 13-Novembre. "C'est aujourd'hui probablement qu'on aura le meilleur aperçu de la vérité", espère-t-il.
franceinfo : Croyez-vous cette version des faits ?
Arthur Dénouveaux : C'est assez difficile de se prononcer. Je suis victime et pas juge. Donc j'essaye de ne pas trop m'avancer sur ce terrain-là. C'est sûr qu'il y a beaucoup de vérité dans ce que Salah Abdeslam a dit. Est-ce qu'il y a toute la vérité ? C'est sûr que non également. C'est dans ces interstices qu'il faut essayer de comprendre où sont les défauts de son récit. Hier, il a parlé sans contradictions et la session a été interrompue. C'est aujourd'hui que le parquet que les avocats de parties civiles vont pouvoir l'interroger à leur tour et essayer de mettre à jour les incohérences de son récit.
Ce que dit Salah Abdeslam correspond en tout cas à la revendication de Daech à l'époque, qui avait parlé d'un commando dans le 18e alors qu'il n'y a pas eu d'attaques finalement, dans cet arrondissement parisien. On s'approche tout de même tout doucement de la vérité ?
Oui, il y a sûrement une vérité qui émerge de ça. Moi, ce qui m'a le plus marqué hier, finalement, c'est qu'il a expliqué qu'il y était allé parce que Abaaoud et son frère, Brahim Abdeslam, l'en avaient convaincu. Jusqu'à présent, il ne voulait pas s'exprimer vraiment sur le rôle de son frère. Et là, je trouve très plausible le fait que deux combattants beaucoup plus aguerris que lui, qui ont passé du temps en Syrie, aient réussi à le convaincre d'aller commettre un attentat. Sur le 18e, cela fait partie des choses qu'il ne pouvait pas nier parce qu'on savait qu'il y était passé, parce que c'était dans la revendication. C'est une part de vérité. Est-ce qu'il est vraiment allé dans un bar ? Est-ce que c'était son objectif ?
S'il a vraiment renoncé au dernier moment, cela changerait quelque chose pour vous ?
Oui. Je pense que fondamentalement, si c'est vrai, ça change quelque chose. Ça change quelque chose sur le regard qu'on porte sur lui. Je ne veux pas préjuger de sa peine, mais quand il demandera sa libération le moment venu. Ensuite, il faut quand même rappeler qu'à l'audience, quand on lui pose la question, mais si vous trouvez ça inhumain de vous faire sauter dans un bar, est ce que vous trouvez inhumain ce qui s'est passé au Bataclan ? Il refuse de répondre. Il a une facilité à se dépeindre, lui, comme quelqu'un qui a découvert 48 heures avant ce qu'il devait faire, qui a cogité pendant 48 heures et qui, par humanisme, a renoncé. Mais dès qu'on lui demande de condamner un peu plus largement, il ne le fait pas. Je pense qu'il va avoir du mal à tenir cette ligne.
Cela ne le rend pas plus humain ?
Je pense que, pour les parties civiles qui respirent le même air que lui dans cette salle depuis sept mois, il n'y a aucun doute sur le fait qu'il soit humain, aucun doute sur le fait que tous les gens dans le box soient humains. La question, en revanche, c'est de savoir s'ils sont civilisés, s'il y a une chance qu'ils soient civilisés et qu'ils puissent participer à la vie de la société un jour. Je sais que c'est choquant, mais c'est ça la vraie question.
Avez-vous vu Abdeslam changer durant son procès ?
Abdeslam a beaucoup changé depuis le début du procès. Il a aussi beaucoup fluctué. Il a été très dur au début, à dire qu'il était un soldat du califat. On voyait clairement qu'il sortait de plusieurs années d'isolement. Et ça lui faisait bizarre de se retrouver dans une pièce avec autant de gens. Cet effet-là a disparu. On sent qu'il est maintenant beaucoup plus maître de lui-même, beaucoup plus humain, quelque part, dans son expression. Mais en revanche, d'un jour à l'autre, d'une semaine à l'autre, il ne présente pas exactement le même visage. On sent que la détention pèse fortement sur son état mental.
Aujourd'hui, c'est la grande explication avec son interrogatoire ?
Probablement. En tout cas, la beauté du contradictoire et la beauté de l'oralité des débats, c'est qu'il va être mis face aux contradictions de son récit et il va pouvoir, s'il le souhaite, s'expliquer. Et si il ne s'explique pas, soit parce qu'il garde le silence aujourd'hui, soit parce qu'il refuse de répondre aux questions les plus compliquées, comme il l'a fait hier. On arrivera probablement à deviner en creux ce qui est vrai dans son récit et ce qui n'est pas vrai. Donc, c'est aujourd'hui probablement qu'on aura le meilleur aperçu de la vérité.